"On va rester et on va reconstruire" : à Saint-Martin, dévastée, des sinistrés refusent de quitter l'île
Alors que des centaines d'habitants cherchent à quitter l'île, d'autres tentent déjà de se relever, une semaine seulement après la catastrophe.
Dans les rues de Concordia, jonchées de débris une semaine après le passage de l'ouragan Irma sur l'île de Saint-Martin, des hommes en T-shirt orange s'activent sous le soleil. Munis de pelles et de râteaux, ils déblaient les décombres et jettent les tôles des toitures arrachées dans la benne d'un camion. Kevin, patron d'une entreprise de nettoyage locale, dirige les manœuvres. Il n'a pas attendu l'arrivée des secours pour agir, vite rejoint par ses salariés et des bénévoles. "C'est mon pays. Il faut qu'on nettoie, il faut avancer. On est des vrais Saint-Martinois et on fait ce qu'on doit faire. On a nulle part où aller", explique-t-il aux envoyés spéciaux de France 3. Comme lui, de nombreux habitants n'imaginent pas quitter leur île malgré l'ampleur des dégâts.
"C'est chez moi ici. Ma fille est née ici, elle a grandi ici. Elle a été à l'école ici. Je n'irai pas ailleurs", assure Pascale, 57 ans, Saint-Martinoise depuis trois décennies, jointe par franceinfo. Avec son mari, Charles, 80 ans, elle gère des villas de luxe pour le compte de propriétaires américains et européens. Le couple habite les Terres-Basses, à la pointe ouest de l'île. De leur maison, "il reste les quatre murs et le toit, mais à l'intérieur tout a volé". Depuis, ils ont trouvé refuge chez des proches. "Je ne retournerai pas vivre chez moi avant un petit moment", estime-t-elle. Pas de quoi la décourager. "On va rester et on va reconstruire. Il faut y croire. Avant, c'était splendide", se motive-t-elle, alors que les hélicoptères militaires poursuivent leur incessant ballet au-dessus de sa tête.
"On a sans doute traversé la plus grosse épreuve de notre vie"
Depuis son appartement sur les hauteurs du port de Galisbay, Vanessa regarde l'armée et les secours débarquer sur l'île. Elle a perdu l'un de ses trois chats dans le cataclysme. "J’ai encore mon appartement, ma résidence tient debout", tempère-t-elle, contactée par franceinfo. L'esthéticienne est arrivée à Saint-Martin neuf mois plus tôt avec son conjoint. Elle était en train de lancer son activité de soins à domicile.
"On a sans doute traversé la plus grosse épreuve de notre vie. Quand on vit une telle expérience, on se dit qu'on veut partir, quitter cette situation angoissante... Mais on n’est pas prioritaires et toutes nos affaires ne sont pas en sécurité", explique-t-elle.
On ne veut pas abandonner l’île dans cet état. On ne veut pas partir au pire moment. Ce serait tirer un trait sur tout ce qu’on a pu vivre. On veut essayer de reconstruire quelque chose ici, on veut pouvoir se dire qu’on a été capables de se relever de cette catastrophe.
Vanessa, habitante de Saint-Martinà franceinfo
"Quitter le navire quand il coule, ce n’est pas dans mon tempérament"
Pas question de partir non plus pour Benjamin, entrepreneur presque quinquagénaire, arrivé à Saint-Martin à l'âge de 18 ans. "Cette île m'a tout donné et je lui ai tout donné", confie-t-il par téléphone à franceinfo. "C’est comme une plaie : il faut qu’elle se referme et qu’elle cicatrise." Propriétaire notamment d'un bistrot gastronomique, d'une cafétéria et d'une cave à vin, il a souffert de l'ouragan et des pillages qui ont suivi. A peine la tempête passée, il a monté la garde une nuit entière dans sa voiture devant l'un de ses établissements. Mais il raconte qu'un autre de ses locaux a été forcé à coup de transpalettes et il a vu des hommes armés de clubs de golf et de machettes lui voler des bouteilles de grands crus sous ses yeux.
"On a pris un gros coup dans la gueule, mais on va se redresser, on n’a pas le choix. De toute façon, quitter le navire quand il coule, ce n’est pas dans mon tempérament, affirme-t-il. Il faut qu’on se retrousse les manches. On va avoir besoin de couvreurs, de plombiers, de maçons… De nouvelles têtes vont arriver pour travailler sur l'île. Il y aura aussi un noyau d’irréductibles qui vont tenir le coup. Ça va prendre un an, un an et demi pour tout reconstruire. C'est bien, je vais être occupé."
Il s'est déjà attelé à la tâche : "Je vais faire ce qu’il y a à faire : établir un bilan des stocks et du matériel qui me reste. J’ai déjà contacté mon avocat et mon comptable pour savoir si je peux mettre mes employés au chômage technique. Je ne veux pas avoir à les licencier. Ma structure fait vivre pas loin de 200 personnes. J’ai pratiquement réussi à avoir des nouvelles de tout le monde. Quand bien même je pourrai rouvrir demain avec des marchandises, ça ne servirait à rien. Je travaillais avec des gros hôtels de l’île, mais je pense que 95% de mes clients professionnels n’ont plus rien du tout."
On est sans doute des fadas, mais il faut être fou pour vouloir continuer après ce qu’on a vécu.
Benjamin, entrepreneur à Saint-Martinà franceinfo
"On va se relever, on va y arriver"
Au bord de la plage de Baie-Orientale, l'une des plus prisées de l'île, Bruno avait aménagé trois studios sous sa maison. Son toit s'est effondré et ses locations de vacances sont sens dessus dessous. Tout est à refaire. "On va se relever, on va y arriver", veut-il croire face à la caméra des envoyés spéciaux de France 2. Il devait accueillir ses derniers clients de la saison pour Noël. Ils ont évidemment annulé leur réservation.
"Ça va redémarrer, ça va même être plus joli qu'avant peut-être, imagine, optimiste, Jean-Paul, gérant de patrimoine immobilier, au milieu des décombres d'un hôtel en ruine. On connaît les catastrophes, les cyclones, on va s'en remettre, il n'y a pas de problème, argumente-t-il. Mais il faut que l'Etat nous aide, il faut que les banques nous aident. Si on est aidés, il n'y a pas de souci."
A Saint-Martin, le seul secteur de l'hôtellerie et de la restauration représente 15% des emplois. En dévastant l'île, l'ouragan a détruit le pilier de son économie : le tourisme. Et il faudra entièrement rebâtir pour que les habitants puissent imaginer l'avenir.
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