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Quatre questions sur l'autorisation controversée accordée à Total pour forer du pétrole en Guyane

Ce permis Ă©tait arrivĂ© Ă  expiration et il vient d’ĂȘtre resignĂ©, malgrĂ© le refus opposĂ© par l'ancienne ministre de l'Ecologie, SĂ©golĂšne Royal, dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat.

Article rédigé par franceinfo
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Le siĂšge de Total Ă  la DĂ©fense, dans les Hauts-de-Seine, le 23 janvier 2018. (ERIC PIERMONT / AFP)

La dĂ©cision n'est pas passĂ©e inaperçue. Dans un communiquĂ©, la collectivitĂ© territoriale de Guyane (CTG) a annoncé mercredi 24 octobre que le groupe Total venait "d'obtenir l'arrĂȘtĂ© prĂ©fectoral lui permettant de commencer ses explorations dans les eaux territoriales de la Guyane". Par "explorations", il faut entendre forage pĂ©trolier. "L'arrĂȘtĂ© a Ă©tĂ© pris et signifiĂ© Ă  Total", a confirmĂ© mardi la direction gĂ©nĂ©rale des services de la CTG, fusion depuis dĂ©cembre 2015 de la rĂ©gion et du dĂ©partement. "La prĂ©fecture de Cayenne vient d'attribuer Ă  Total l'autorisation de forer sur le 'permis de Guyane Maritime', au large des cĂŽtes guyanaises", a Ă©galement indiquĂ© une porte-parole du groupe pĂ©trolier mercredi.

Cette autorisation a soulevé de nombreuses réactions du cÎté de la classe politique et des ONG de défense de l'environnement. Voici quatre questions que pose ce "permis de forer" dans les eaux guyanaises.

Pourquoi l'Etat a-t-il autorisé ce forage ?

Le ministre de la Transition Ă©cologique, François de Rugy, explique, sur Twitter, que ce forage est le rĂ©sultat d’un permis d’exploration accordĂ© en 2001. Selon le ministre de la Transition Ă©cologique, "il est lĂ©galement impossible de revenir" sur ce permis. "Mais soyons clairs, ajoute-t-il. Il devra ĂȘtre conduit dans le strict respect de l’environnement et de la loi qui le protĂšge. J’y serai particuliĂšrement vigilant !"

Une explication que rejette sa prĂ©dĂ©cesseure au ministĂšre de l'Ecologie, SĂ©golĂšne Royal : sur le mĂȘme rĂ©seau social, elle assure qu'elle avait "refusĂ© Ă  Total" de resigner ce permis "arrivĂ© Ă  expiration" en raison de l’accord de Paris sur le Climat. 

Toujours sur Twitter, le journaliste Hugo Clément, prenant à partie François de Rugy, ajoute que le ministre mélange "volontairement deux choses" : "Le permis d'exploration avait été accordé initialement à Shell en 2001, dont Total a obtenu la mutation et la prolongation en 2017" et "l'autorisation de travaux (donc de forage) accordée ce lundi par l'Etat français via le préfet de Guyane". "Ce qui est légalement difficilement contestable pour vous aujourd'hui, c'est le permis d'exploration, qui n'implique pas de forage. En revanche, l'Etat pouvait tout à fait décider, en prenant en compte le risque environnemental, de ne pas accorder l'autorisation de travaux", écrit le journaliste.

ContactĂ© sur ce point par franceinfo, le ministĂšre de la Transition Ă©cologique n'avait pas encore rĂ©agi au moment de la publication de cet article. Comme l'indique le rapport de la commission d'enquĂȘte publique relative Ă  cette nouvelle demande d'ouverture de travaux miniers offshore, le permis dit "Guyane Maritime" a en effet Ă©tĂ© accordĂ© Ă  Shell en 2001 avant d'ĂȘtre prolongĂ© jusqu’au 1er juin 2019 et transfĂ©rĂ© Ă  Total par arrĂȘtĂ© ministĂ©riel du 14 septembre 2017.

Dans le cadre de ce permis, cinq forages ont déjà été réalisés entre 2012 et 2013 dans la partie Sud-Est des eaux guyanaises, sans succÚs. 

Que compte faire Total dans les eaux guyanaises ? 

Selon sa demande, la société Total Exploration & Production Guyane française SAS vise dans un premier temps le forage d'un puits d'exploration dans la partie centrale du permis de "Guyane Maritime" à partir de fin 2018 début 2019 et sur une période de quatre mois. "Nous sommes aujourd'hui mobilisés pour préparer la campagne de forage que nous souhaitons démarrer d'ici à la fin de l'année à partir de la base logistique de Cayenne", a indiqué la porte-parole du groupe pétrolier. 

Dans la partie Nord-Ouest du pĂ©rimĂštre, "la zone centrale n'a jamais, elle, Ă©tĂ© forĂ©e", avait notĂ© fin septembre le rapport de la commission d'enquĂȘte publique relative Ă  cette nouvelle demande d'ouverture de travaux miniers offshore. "Les Ă©tudes menĂ©es par Total entre 2014 et 2015, intĂ©grant toutes les donnĂ©es recueillies, permettent de mettre en Ă©vidence un potentiel d'exploration intĂ©ressant dans la zone centrale du permis", avait encore rappelĂ© le rapport de la commission.

Comme indiqué dans ce rapport, cette zone se situe à environ 170 km des cÎtes de Guyane. Cette carte réalisée par Total et relayée par La 1Úre permet de visualiser la localisation du puits d'exploration. 

Carte de localisation du puits d'exploration pĂ©trolifĂšre au large de la Guyane, qui doit ĂȘtre exploitĂ© par Total Ă  partir de fin 2018, dĂ©but 2019.   (TOTAL)

"Si ce puits s’avĂ©rait positif", Total "pourrait dĂ©cider de forer jusqu’à quatre autres puits d’apprĂ©ciation de la dĂ©couverte effectuĂ©e, d’ici Ă  2022", Ă©crivent les auteurs du rapport. 

Ils précisent également que Total "fera appel tout au long de la phase de préparation des opérations au tissu économique local. Le marché économique local devra se positionner sur certains contrats, le but recherché est de maximiser le contenu local".

La collectivitĂ© territoriale de Guyane, favorable aux travaux, a soulignĂ© cet intĂ©rĂȘt Ă©conomique mardi soir. Selon la CTG, la signature de cet arrĂȘtĂ© prĂ©fectoral permet de concrĂ©tiser un accord de partenariat avec "le groupe pĂ©trolier qui fixe la mobilisation de 10 millions d'euros par ce dernier au profit de l'Ă©conomie locale", accord qui Ă©tait subordonnĂ© "Ă  l'autorisation du projet de forage". 

L'autorisation a-t-elle été délivrée dans les rÚgles ? 

Non, selon Chantal Jouanno, ancienne secrĂ©taire d'Etat Ă  l'Ecologie et actuelle prĂ©sidente de la commission nationale du dĂ©bat public (CNDP) : "L'autorisation a Ă©tĂ© dĂ©livrĂ©e Ă  Total sans respect du droit de la participation, puisque la CNDP aurait dĂ» ĂȘtre saisie du dossier."

ContactĂ©e par franceinfo, Chantal Jouanno explique que "la loi qui encadre le droit Ă  la participation depuis une vingtaine d'annĂ©es prĂ©voit que la CNDP soit saisie au dĂ©but du processus d'un grand projet" ayant potentiellement des incidences sur les citoyens. "Total n'avait pas la mĂȘme lecture que nous, estimant que ce permis d'exploration et non d'exploitation ne relevait pas d'un grand projet", prĂ©cise l'ancienne ministre des Sports, qui pointe le flou qui entoure les conditions de la saisie de la CNDP.

Au cours d'une enquĂȘte publique conduite entre les 16 juillet et 23 aoĂ»t derniers, sur 7 183 avis, "un record en matiĂšre d'enquĂȘte publique en Guyane" selon la commission, 7 173 avis Ă©taient dĂ©favorables Ă  ces forages en mer, 8 avis non dĂ©finis et 2 favorables. La commission d'enquĂȘte avait tout de mĂȘme Ă©mis un avis favorable Ă  cette demande de campagne de forages le 24 septembre avec trois recommandations : "Remettre en activitĂ© la commission de suivi et de concertation (CSC) sur le pĂ©trole en Guyane", "Ă©tablir un cahier des charges spĂ©cifique sur les procĂ©dures de rejet des boues dans l'ocĂ©an et le traitement des boues toxiques" et "mettre en Ɠuvre un contrĂŽle effectif par l'autoritĂ© publique de ces rejets et traitements des boues toxiques". 

Ce forage menace-t-il le récif corallien ? 

L'ONG Greenpeace s'est dite "atterrĂ©e", dans un communiquĂ©. Elle fait valoir que les forages se trouveraient Ă  proximitĂ© d'un rĂ©cif corallien unique dĂ©couvert au large de l'embouchure du fleuve Amazone. L'ONG rappelle l'opposition exprimĂ©e lors de l'enquĂȘte publique et souligne la contradiction Ă  autoriser une exploration pĂ©troliĂšre "moins d'un mois aprĂšs la publication du rapport du Giec" recommandant une rĂ©duction massive des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre, issues aujourd'hui pour les trois quarts des Ă©nergies fossiles, pour Ă©viter un emballement climatique.

En mai dernier, aprÚs avoir déposé sa demande auprÚs de la préfecture de Guyane, Total avait rappelé qu'une campagne océanographique avait été menée en octobre 2017 par le Muséum national d'histoire naturelle, qui a mis en évidence un plateau rocheux avec "des peuplements biologiques épars" qui ont fait l'objet de prélÚvements.

Le groupe soulignait, carte à l'appui (voir ci-dessus), que ce plateau rocheux se trouve à prÚs de 100 mÚtres de profondeur, alors que sa zone de forage est localisée à plus de 2 000 mÚtres de profondeur et se trouve 30 km plus loin. 

François de Rugy affirme de son cĂŽtĂ© que "les rĂ©cifs coralliens se trouvent Ă  environ 20 km de la zone du forage". Mais le ministre ajoute que "le prĂ©fet a dĂ©cidĂ©, dans cet esprit d’extrĂȘme prĂ©caution, de la mise en place d’une surveillance supplĂ©mentaire et spĂ©cifique de la flore et la faune de la zone concernĂ©e". Il souligne par ailleurs que "nous vivons la fin de l'exploitation pĂ©troliĂšre en France. Avec la loi de dĂ©cembre 2017, nous avons pris une dĂ©cision majeure, historique : l’interdiction de tout nouveau permis d’exploration et exploitation d’hydrocarbures sur l’ensemble territoire".

Le collectif Stop pétrole offshore Guyane ne l'entend pas de cette oreille. "Le bras de fer est engagé", écrit-il dans un communiqué. Le collectif condamne "une attitude irresponsable en totale contradiction avec les choix que nous devons opérer pour préserver le climat et notre biodiversité".

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