: Reportage "Ici, on voit de tout" : en vigilance rouge canicule, les bains-douches municipaux de Lyon sont un "repère" pour les plus précaires
Un homme en claquettes ouvre la porte, se faufile entre les agents et s'éclipse dans l'une des deux salles des bains-douches municipaux de Lyon. Il en ressort à peine cinq minutes plus tard, le visage trempé sous son bob, avant de quitter le bâtiment en pierre en glissant un "merci" poli. Les employés esquissent un sourire. "C'est un dealer, il est venu se rafraîchir entre deux ventes", glisse l'un d'eux. Dehors, la température frôle les 40°C à l'ombre, mardi 22 août, alors que le département du Rhône est toujours en vigilance rouge à la canicule.
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"Ici, on voit de tout : il y a des migrants, des sans-abri, des sans-emploi, des précaires, et même des travailleurs ou des gens du quartier qui ont gardé l'habitude d'aller dans les bains publics", explique Marc Foucan, responsable des bains-douches municipaux Delessert. Un établissement public du 7e arrondissement, le dernier de la ville de Lyon, qui met gratuitement 20 douches et une laverie à disposition des personnes les plus précaires.
Détresse personnelle et psychologique
En ce moment, Marc Foucan voit passer environ 200 personnes par jour, contre 400 en hiver. Et il leur répète la même chose : "Pensez à boire". "On est plus vigilants que d'habitude, plus à l'écoute, plus attentifs, on a l'œil. On met de l'eau au frais, on leur demande si tout va bien, parce que tout le monde subit la même chose avec cette chaleur", assure-t-il. Marc Foucan, qui voit certains venir "prendre trois douches par jour", s'étonne pourtant de la fréquentation en baisse.
"On pensait qu'avec ces chaleurs, on aurait plus de monde, que les gens viendraient prendre une douche froide, mais non. Peut-être qu'ils évitent à tout prix les déplacements", avance le responsable. Et d'analyser : "80% du public qu'on accueille a des problèmes personnels ou psychologiques, ils n'ont pas le même raisonnement." Assise sur un banc à l'entrée, l'une des agentes, Kamaria, pense que beaucoup "restent dans les centres commerciaux et dans le métro, où tout est climatisé."
Richard vient trois fois par semaine depuis deux ans. Ce retraité occupe une chambre à Champagne-au-Mont-d'Or, une commune du nord-ouest lyonnais, à une heure en transports en commun de l'établissement. "Je n'ai pas de douche chez moi, alors je viens ici pour me laver, me sentir propre", explique le vieil homme, qui se contente d'un "pas facile" à l'évocation des fortes chaleurs.
"Si je pouvais venir tous les jours, je le ferais, mais c'est trop compliqué, confie celui qui a longtemps fréquenté d'autres bains-douches municipaux, qui ont fermé depuis. Je pourrais aller à la piscine, j'y ai pensé, mais ce n'est pas toujours bien vu de venir avec son gant de toilette, son savon et de se laver", regrette-t-il avant de quitter l'établissement, un grand cabas en plastique à la main.
"Certains ont des logements mais n'ont pas accès à l'eau, d'autres viennent ici pour faire des économies, et il y a ceux qui viennent avec leur vie dans leur sac."
Marc Foucan, responsable des bains-douches Delessertà franceinfo
"Je me suis rendu compte de la misère en France depuis que je bosse ici", soupire Kamaria. Un homme passe devant elle, la salue. Chaque jour, il lui dit que sa douche est cassée. Elle imagine qu'il a honte d'avouer qu'il dort dans la rue. Quelques minutes plus tôt, un homme avait quitté les bains-douches en doudoune, ce qui a fait dire à l'équipe que celui-là, sûrement malade, n'avait "pas chaud".
Il faut dire que le bâtiment, qui date des années 1960, n'est pas vraiment adapté aux fortes chaleurs. Malgré la climatisation et les deux ventilateurs installés dans l'entrée, juste à côté des poubelles pour les serviettes, dont les indications sont inscrites en plusieurs langues (français, albanais, arabe...), le thermomètre installé dans le coin réservé aux agents affiche 34°C. "Hier [lundi], je n'ai pas assez bu d'eau dans la journée et le soir, j'ai eu les jambes lourdes", sourit Kamaria.
"Avant, j'avais une petite douche à côté du salon"
Une grande bouteille à la main, un homme ressort d'une longue douche et passe une tête devant le ventilateur. "Il fait tellement chaud", commente-t-il. Agé d'une cinquantaine d'années, il fait des ménages et vient souvent après le travail pour se doucher et se raser. Depuis quelques mois, il dort dans la rue. "Avant, j'avais une petite douche à côté du salon. Maintenant, j'habite un peu partout dans Lyon. Et avec cette chaleur, j'essaie de m'adapter, je limite mes déplacements, mais c'est compliqué. On n'a pas de clim chez nous, ni au bureau, et encore moins dans notre voiture comme vous", grince celui qui préfère ne pas donner son nom.
"Etre à la rue, c'est ne plus avoir de repères, alors ces bains-douches, c'est mon repère. Ça me fait du bien à la tête et au corps." Il s'apprête à passer une énième nuit dehors, à se faire "bouffer par les moustiques" et à chercher un endroit un peu frais pour tenter de se reposer. L'homme reviendra quelques minutes plus tard. "Vous noterez qu'il faut remercier les associations, ceux qui travaillent ici et nous permettent d'avoir ces douches. Ces petites choses font du bien."
Les épisodes de fortes chaleurs peuvent être dangereux pour la santé, en particulier pour les personnes âgées, handicapées ou isolées, qui sont plus vulnérables. Afin de limiter les risques, pensez à boire de l'eau régulièrement, à éviter les sorties et les efforts physiques aux heures les plus chaudes de la journée, ainsi qu'à fermer les volets et les rideaux des fenêtres exposées au soleil. Si des symptômes inhabituels surviennent (crampes, fatigue soudaine, nausées, vomissements, maux de tête…), n'hésitez pas à contacter le 15. Pensez enfin à prendre des nouvelles de vos proches les plus fragiles durant ces fortes chaleurs.
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