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Sponsors, contrats, chômage... après le report des Jeux, les sportifs touchés au porte-monnaie

Après l'annonce du report des Jeux olympiques à 2021, nombreuses sont les conséquences sur les sportifs qui devaient rejoindre Tokyo l'été prochain. En premier lieu, c'est leur porte-monnaie qui va être touché. Et pour certains sportifs, peu médiatisés, difficile de se priver d'une caisse de résonance aussi importante que celle des Jeux.
Article rédigé par Emmanuel Rupied
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
  (LEON TANGUY / MAXPPP)

Ils sont tous unanimes. Les Jeux olympiques de Tokyo ne pouvaient pas se tenir dès cet été. La pandémie de Covid-19 qui frappe le monde entier a finalement fait entendre raison aux instances. Le soulagement est ainsi de mise pour les athlètes. Mais désormais, une autre question se pose. Pour certains sports "mineurs", les Jeux représentent une opportunité sans commune mesure de rayonner. Pour les sportifs, c'est aussi là qu'une carrière se joue. Dans les stades mais aussi dans le porte-monnaie. 

Un report nécessaire mais coûteux

Le constat est là et il est martelé à chaque entretien avec Philippe Gonigam, le président de l'Union nationale des sportifs de haut niveau (UNSHN) : en 2016, la moitié de la délégation française aux Jeux vivait bien en dessous du seuil de pauvreté, soit moins de 1026 euros par mois. Loin des paillettes et de la lumière des podiums, les mois peuvent être parfois difficiles. Un documentaire de Complément d'Enquête relatait déjà cette réalité en 2015 : des sportifs qui ne peuvent pas se payer une deuxième paire de chaussures, une championne du 400 mètres haies qui doit faire double emploi et frôler le burn-out pour seulement survivre.

Si ces athlètes ont quitté depuis le devant de la scène, ils sont beaucoup encore aujourd'hui à devoir composer avec des moyens parfois limités. Alexis Miellet entre dans cette catégorie. Le spécialiste du 1500 mètres est uniquement rémunéré par le biais de sa Fédération, ses sponsors et des aides de l'État. En 2019, il avait touché 24 000 euros au total sur l'année soit 2000 euros par mois. Et cette année, il ne pourra pas compter sur les JO pour toucher une prime. S'il reconnaît ne pas payer ses déplacements et avoir un coach bénévole, il paye cependant les voyages de ce dernier. Un coût important quand on doit se déplacer sur des meetings à l'autre bout de la planète plusieurs fois par mois. Alors il a trouvé une solution pour ne pas être en difficulté. "Je vis toujours chez mes parents, c'est le seul moyen pour pouvoir me projeter sur le long terme pour le moment". 

Ce n'est pas le cas de la jeune athlète Laura Valette (23 ans). Propriétaire depuis peu de son premier appartement, elle attendait une rentrée d'argent grâce aux Jeux. Ce ne sera pas le cas. Pour le moment, elle arrive à s'en sortir mais difficile de se projeter. Spécialisée sur le 100 mètres haies, la Française est sponsorisée par la marque Puma. Un contrat qui s'arrête à l'été prochain.  Mais elle préfère relativiser. "Ça me fait penser à une grosse blessure. Mais au final, je ne sais pas si c'est nous qui allons perdre le plus d'argent".

Car si les sponsors aident les sportifs les plus connus et permettent à ceux-ci d'engranger jusqu'à plusieurs centaines de milliers d'euros par mois, d'autres ne vivent presque exclusivement que grâce aux aides de l'état, 95 millions d'euros versés aux athlètes au total en 2017, et des primes de compétition. À l'heure où la pandémie est devenue mondiale, il est compliqué désormais de compter sur cette deuxième rentrée d'argent. Et même certains sportifs de premier plan sont touchés. Avec une médaille d'argent aux Jeux olympiques et deux breloques (argent et bronze) aux Mondiaux sur le disque, on pourrait ainsi penser Mélina Robert-Michon loin de ces considérations. Mais ce n'est pas le cas. "Sans compétition, il n’y a pas de prime de résultat. Après il faut voir avec les partenariats. On avait déjà des contacts avant les Jeux mais tout s’est arrêté avec la situation actuelle. Tout dépend désormais si les entreprises auront l’opportunité d’investir".

Un constat partagé par Camille Lecointre, l'une des favorites sur le 470 en voile avec Aloïse Retornaz, sa coéquipière. La Française craint que le covid-19 empêche certains sponsors de pouvoir les aider désormais faute de moyens ce qui pourrait avoir des conséquences désastreuses. "Sans eux, ce sera impossible de faire quelque chose de bien" souffle-t-elle.

  (GLYN KIRK / AFP)

Le service public comme solution d'appoint

L'autre solution, c'est alors l'armée des champions, un service public qui permet aux sportifs de haut niveau d'intégrer différents corps militaires tout en continuant à exercer à temps plein leur sport. Payés entre 1300 et 2000 euros, les athlètes peuvent ainsi assurer en partie leurs arrières. Camille Lecointre est dans la Marine mais son contrat se termine en janvier 2021. L'incertitude règne sur la suite. "Comment je vais faire ? Mes sponsors vont-ils me suivre ? Tout dépendra de mes partenaires personnels. Ils me permettent de payer mon matériel".

Favorites de leur course cette année au Jeux, elles ne le seront peut-être plus la saison prochaine, ce que craint Camille Lecointre. Difficile à avaler, surtout quand l'on sait que la médaille d'or rapporte 50 000 euros à chaque sportif. Aloïse Retornaz, elle, est dans une situation similaire. Elle bénéficie d'une convention d'insertion professionnelle (CIP) et travaille quelques jours par an dans une banque en tant que responsable d'application. Mais comme chaque année, dans quelques mois elle devra renégocier son contrat. 

Pas de contrat, pas de chocolat

Les deux athlètes pourront cependant toucher le chômage si leur situation se complique. Ce qui n'est pas le cas de tous. Entre les primes, les aides de l'État et les sponsors, aucun contrat de travail n'est établi officiellement, ce que regrette Philippe Gonigam qui se bat depuis des années pour la professionnalisation des sportifs de haut niveau. "Depuis des mois et des mois on discute avec l'Assemblée nationale et le Sénat. L'agence nationale du sport nous a proposé des bourses de 3000 euros par mois pour les sportifs mais ce n'est pas la bonne méthode, il nous faut des contrats plutôt que des bourses. Car sans cela, il n'y aura pas de chômage partiel dans le cas où tout s'arrête". Le dossier est en suspens pour le moment mais il devrait reprendre son cours d'ici le mois de juin d'après Gonigam. Si la conjoncture le permet.

Alors que le monde se fige, les sportifs vont ainsi désormais devoir redoubler d'efforts dans le but de combler ces manques. Pour Alexis Miellet, ce n'est pas gagné. "Je n'aime pas aller voir quelqu'un et lui demander de l'argent. C'est pas facile. Et comme il faut avoir plusieurs partenaires privés pour arriver à une somme, l'arrêt des compétitions ne va aider personne. Ni eux, ni nous". Un constat que partage Philippe Gonigam mais qui reste fataliste quant à la condition des sportifs les plus touchés. "Quand vous avez l'habitude de faire avec moins de 500 euros par mois, ça ne change finalement rien". 

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