Pourquoi les Russes sont nuls en ski ?
Si les Russes excellent en ski de fond et sur la glace (hockey, patinage artistique), leur talent sur les descentes ou les slaloms géants de ski ne crève pas les yeux. « Les derniers bons Russes, c’était à l’époque de l’URSS», confirme Luc Alphand, consultant de France Télévisions.
Des descentes de volcans pour s’entraîner
« C’était dans les années 80 avec Valery Tsiganov et Vladimir Makeïev. Tsiganov gagne peut-être un slalom en Coupe du monde (en fait, une descente, NDLR). Ensuite le ski s’est perdu alors qu’il y a du potentiel », poursuit-il. « Deux filles du Kamtchatka sont actuellement dans l’équipe. C’est le Français Lionel Finance qui s’en occupe. Un an et demi qu’il est avec elles, près du Détroit de Bering. Elles skient sur les volcans. Chez les filles, il y a toujours une petite tradition. Chez les hommes, Alexander Korrochilov se qualifie quasiment toujours pour la 2e manche du slalom. Il est dans les 25-30 premiers mondiaux, mais il est tout seul », regrette-t-il.
Montillet : "Des filles ont brillé à mon époque"
Carole Montillet se souvient avoir vu des Russes flamber il y a une quinzaine d’années. « Il y avait deux filles d’un très bon niveau quand je skiais, Varvara Zelenskaya et Svetlana Gladysheva », souligne notre consultante. « Elles étaient là dans les années 1996-98. Les deux évoluaient dans les disciplines de vitesse et elles ont brillé en Coupe du monde (respectivement 4 et une victoire). Varvara avait une glisse de folie, et Svetlana a même failli faire une médaille de bronze aux Mondiaux de 1991. Elle s’est d’ailleurs mariée avec mon kiné de l’époque. Les deux sont restés un moment sur le circuit et elles étaient régulièrement dans le top 10. Il y a aussi eu Tatyana Lebedeva mais elle était plus top 20. Et on n’en a pas revu ensuite », soupire-t-elle. « Je ne sais pas d’où ça vient mais elles n’ont plus le niveau. Après, vu la taille de la Russie, ça doit être difficile pour fédérer les gens ».
Alphand : "Pas de clubs, pas de structures"
Elle ne croit pas si bien dire. « Ils ont le potentiel pour avoir une grosse équipe, pratiquement autant qu’en fond », reprend Alphand. « Le Caucase, ce sont des montagnes qui ressemblent aux Vosges ou au Cantal. Sauf le Kamtchatka. Mais il n’y a pas 100 000 personnes, c’est grand comme la France et pour la logistique, c’est compliqué. Il y a 8h d’avion pour aller à Moscou. Faut s’entrainer en Europe. Et puis il n’y a pas de structure de club », constate-t-il. « Tu crées un ski club à Sotchi, tu attires des jeunes. La détection se fait par des clubs ou des comités. Il faudra un champion pour susciter des vocations même si ces JO en Russie peuvent aussi aider », espère « Lucho ».
Pas de montagnes praticables
Selon Alban Mikoczy, le correspondant de France2 en Russie, le critère géographique est déterminant. « La carence en ski alpin correspond en fait à la faiblesse de ce que l’on appelle la montagne russe praticable », explique-t-il. « Ce pays immense qui fait 31 fois la France, n’a de montagnes qui pourraient être comparées aux Alpes ou aux Pyrénées que véritablement dans l’extrême sud. Des pentes longues, des montagnes qui montent haut. Or, le Caucase n’a pas été un lieu de tourisme du moins jusqu’à ces 20 dernières années », poursuit-il. « C’est un lieu d’affrontements. Le reste du temps, c’est un lieu agricole où très peu de gens vivent et où il y a très peu de moyens. Le Caucase n’est donc pas du tout mis en valeur au niveau des stations de ski, à tel point qu’il n’existait ici à Sotchi il y a 5 ans qu’une petite station qui s’appelait Alpika: quatre remonte-pentes et environ 20 km de pistes. Ils ont aujourd’hui transformé ça en Rosa Khutor, une station de dimension européenne : 77 km de pistes et une dizaine de remonte-pentes et de télécabines ».
Mikoczy : "Les Russes apprennent vite"
La Russie, qui n’en est qu’aux balbutiements, tente se rattraper son retard. « On est dans l’invention du sport d’hiver tel que nous le connaissons, ajoute Alban Mikoczy. « Les autres stations de ski sont minuscules. Moscou possède une piste. En vérité, la pratique du ski alpin n’est pas une pratique traditionnelle russe, contrairement au hockey ou au patinage », habituels points forts du sport soviétique puis russe. « Maintenant, comme les Russes apprennent vite, qu’ils ont des moyens, je pense qu’ils sont tout à fait à même d’être compétitifs dans 10 ou 15 ans », prévient-il. « Ils auront un beau terrain d’entraînement. C’est aussi à ça que sert Sotchi. Je pense d’ailleurs qu’ils réussiront assez vite sur de nouveaux skis, des glisses de jeunes. Il y a 12 ans en Russie, personne n’avait jamais vu un snowboard. C’est une pratique qu’ils ont ramenée de l’Occident. Aujourd’hui, deux jeunes Russes sur trois qui font du ski pratiquent des sports non traditionnels ».
Dimier : "Pas de culture du haut niveau"
Yves Dimier n’affiche pas le même optimiste. L’ancien slalomeur français, aujourd’hui employé du comité d’organisation en tant que Sport Manager de ski alpin, reconnaît certes quelques réussites dans « un sport en plein développement qui arrive à maturité ». « Il y a beaucoup de stations en expansion un peu partout mais ça manque de structures et d’ambitions. Il y a bien un championnat entre régions, mais il n’y a qu’eux qui skient. Ce n’est pas similaire au niveau international. L’intérêt des régions et des clubs est d’être bien placé sur ces compétitions davantage que de se distinguer au niveau au dessus ».
Yves Dimier le déplore : « Le skieur russe veut plus être le meilleur du pays que le meilleur du monde », souligne-t-il. « Il n’y a ni culture de haut niveau ni densité. Il n’y a pas d’équipe forte mais des individualités. Il se peut qu’un Korrochilov fasse une surprise, mais il est plus réaliste d’attendre les JO 2022 pour espérer voir un skieur russe sur un podium olympique ». Sa conclusion est sans appel. « Les JO vont aider à développer le ski alpin, mais je n’ai pas le sentiment qu’ils vont suffisamment le faire pour que ça explose vraiment ».
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