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Grospiron: "les Bleus se débrouillent"

Edgar Grospiron, champion olympique de ski acrobatique en 1992 et consultant pour France Télévisions sur ces JO de Sotchi, était le mieux placé pour nous parler de l’épreuve des bosses. Le Jurassien a levé le voile sur la réussite canadienne avant de nous expliquer les problèmes qui existent en France, ou le système D prévaut aujourd'hui. Selon lui, on ne peut plus lutter à armes égales, et on ne peut plus espèrer que l'exploit pour se distinguer.
Article rédigé par Grégory Jouin
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
 

Edgar, comment peut-on expliquer la domination des Nord-Américains et plus particulièrement des Canadiens sur le ski de bosses ?
"Ils ont pris de l’avance parce que déjà c’était un sport qui était dans les gènes non pas des Canadiens mais des Québécois. Ils ont des petites montagnes assez raides, et ils ont toujours adoré les sports spectaculaires. Et les sports d’hiver évidemment puisque c’est l’hiver six mois de l’année chez eux. Le ski de bosses a toujours été très apprécié là-bas. Jean-Luc Brassard, le deuxième champion olympique de la discipline à Lillehamer en 1994, a ouvert la voie. Il est devenu une méga star dans son pays. Il a suscité des vocations et entraîné toute une génération qui en entraîne une autre à son tour".

Les Canadiens ont mis les moyens

Ils bénéficient aussi de moyens importants…
"Oui, la Fédération Canadienne de Ski a toujours mis les moyens pour développer le sport dans les clubs. Les stations du Mont-Saint-Anne, du Mont-Tremblant et du Mont-Gabriel, au Québec, ont des clubs avec plein de compétitions. Les moyens sont là, les circuits animent les stations tout l’hiver. Il y a du monde du coup l’équipe nationale a un très gros niveau. Ils ont les structures médicales, d’entraînement. Ils ont un entraîneur en langue anglaise, un autre en français. Ils ne laissent rien au hasard".

Ont-ils bénéficié d’un effet JO 2010 ?
"Bien sûr. Quatre ans avant Vancouver, ils ont développé un top programme qui s’appelait « On the podium ». Ils ont mis des moyens supplémentaires pour ces équipes, pour s’entraîner techniquement mais aussi physiquement avec un vrai suivi médical. Et ce programme, ils le continuent en fait. Les Anglais également le font".

Les Français font avec des bouts de ficelle

La France semble tirer son épingle du jeu sans être aussi bonne qu’à votre époque, dans les années 90…
"Je ne veux pas porter une critique mais une observation. On a les moyens qui sont les nôtres, qui ne sont sans doute pas les plus importants dans le monde. On fait parfois avec des bouts de ficelle. On a des athlètes qui sont obligés de payer leur avion pour aller s’entraîner notamment à Ushuaia (tout au sud de l’Argentine, NDLR). C’est vrai que c’est loin, ça coûte 1600 euros le billet, mais on voit des athlètes qui font de la collecte de fond notamment sur internet. Par exemple, tous les gens qui veulent soutenir Anthony Benna peuvent aller sur un site qui s’appelle kisskissbankbank.com, et mettre 20 euros pour l’aider. C’est sûr qu’on peut avoir des champions qui explosent comme ça, mais c’est un peu l’arbre qui cache la forêt. Derrière, le sport n’a pas la même reconnaissance qu'au Canada. Les clubs ne s’impliquent pas de la même manière. Il n’y a pas autant de monde, ce n’est pas autant fourni".

Que faudrait-il faire ?
"Si l’on veut avoir dans notre pays un haut niveau qui excelle, avec de la densité au niveau des athlètes, il faut avoir les structures qui suivent, au niveau des clubs, des associations, des comités régionaux, et la volonté aussi de l’équipe de France de mettre toutes les structures d’entraînement, technique, physique. Bref, on sait ce qu’il faut faire pour réussir, d’autres le font. Ce n’est pas difficile de prendre ce que les autres font de bien et de l’adapter à notre modèle. Mais on ne le fait pas parce qu’on a un bon prétexte, on n’a pas les moyens de le faire".

Ca vivote depuis Albertville

On a l’impression que le soufflet est retombé depuis ton succès à Albertville en 1992…
"Moi, j’étais dans la situation dans laquelle sont les Canadiens aujourd’hui. Des moyens avaient été mis en place dans l’optique des Jeux Olympiques, et on a eu les entraîneurs, les hommes. Ils ont été excellents, ont fait le job. Les moyens avaient été mis pour avoir de belles médailles françaises. Et cela a donné un coup d'accélérateur. Puis les moyens se sont réduits puisque nous n’avons pas organisé de JO depuis. En France, c’est vrai que c’est plus facile de dire dans les arbitrages qu’on va orienter un peu plus de budget sur les équipes de France de ski ou de patinage. Il y a alors une redistribution des cartes qui se fait. Il y a moins de moyens, moins de partenaires. Ou alors ceux qui sont là payent un peu moins cher parce qu’on a moins de choses à donner. C’est une espèce de cercle vicieux. On passe d’une belle nation de sport à une nation moyenne. Il ne faut pas non plus dire que tout est issu des moyens. Il y a la qualité des hommes, la qualité des staffs, le talent des skieurs. Mais il faut pourvoir aller le détecter, avoir cette maturité, cette expérience. Aujourd’hui, c’est difficile. On a de très très bons entraineurs en France mais qui parfois partent à l’étranger pour les moyens mis à disposition, ou le salaire plus important. C’est comme pour les entreprises. Aujourd’hui la concurrence est internationale. Si l’on oublie ça, on va rester à faire ce que l’on sait faire, en mettant les moyens qu’on juge nécessaire et qui sont insuffisant pour ne pas se faire dépasser par la concurrence".

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