JO 2022 : en ski alpin, comment gagner une course sur une piste inconnue ?
Comme à chaque JO, les skieurs auront une pression maximale avant d’aborder les courses. Le train olympique ne passe que tous les quatre ans, et, cette année, personne ne connaît la piste.
Le rendez-vous d'une vie : ni plus, ni moins. Pour les athlètes en général – mais encore plus dans le monde du ski –, une course olympique n'a rien d'anodin, puisqu'on ne sait jamais si on en redisputera une quatre ans plus tard. À la différence de la coupe du monde de ski qui s'étale sur tout l'hiver avec la possibilité de se rattraper d'un week-end à l'autre, les JO sont une occasion unique, au sens propre, à ne pas rater. Ce qui apporte son lot de pression, surtout lorsque la piste sur laquelle tout se joue est inconnue de toutes et tous. Alors, comment faire pour aborder au mieux une course olympique sur une piste inconnue ?
Le jour le plus long
Champion olympique de descente en 2006 à Turin, Antoine Dénériaz préfère être franc : "Je ne sais pas s'il y a une recette miracle". Allons-y au cas par cas, donc, pour mieux comprendre : "Treize mois avant les Jeux, je m'étais arraché le ligament croisé, se souvient-il. Pendant un an, je ne me suis concentré que sur cette course. Ça a été le leitmotiv de ma convalescence : je voulais être fort pour les Jeux. C'était l'objectif de ma vie".
Pour cela, la priorité absolue du descendeur français était alors d'arriver en pleine forme physique : "Il faut que tous les paramètres soient réunis le jour-J. Un petit coup de pouce du destin n'est pas de trop non plus. Niveau matériel, il faut mettre toutes les chances de son côté aussi". Sacré champion du monde de slalom géant l'an passé à Cortina d'Ampezzo, Mathieu Faivre n'a pas non plus de recette à conseiller : "Même si j'ai eu deux titres aux mondiaux de 2021 à Cortina, j'ai aussi très souvent fait des mauvaises performances sur des courses d'un jour", sourit le skieur d'Isola 2000.
Brillant en coupe du monde mais jamais médaillé aux Jeux, Luc Alphand confirme : "Je ne sais pas comment on fait. J'ai fait trois fois les Jeux sans faire de médailles, en étant toujours bien placé (rire). Le mieux, c'est d'arriver en confiance, en ayant fait de bons résultats, c'est la meilleure préparation pour les JO". Sauf que la pression d'un rendez-vous olympique peut tout changer, en bien, ou en mal.
"Mentalement, il faut être plus fort que les autres pour gérer la pression qu'on se met soi-même, elle doit être positive pour nous aider à être plus concentré, plus rapide. Ça ne doit pas être une pression qui paralyse."
Antoine Dénériazà franceinfo: sport
"C'est un exercice d'équilibriste : je me disais c'est la course de ta vie, ne la rate pas. Et le lendemain je me disais qu'il y a plein de gens qui vivent bien sans être champion olympique, donc si tu n'y arrives pas ce n'est pas grave", rassure Dénériaz, "Il faut se donner le droit à l'erreur : être à fond, se dire que c'est une course qui peut tout changer, et en même temps relativiser". D'autant que le contexte olympique et sa surmédiatisation, n'aident pas. "L'ambiance est différente, moins décontractée que sur une coupe du monde", reconnaît Faivre.
Même si cette année le contexte pandémique change un peu la donne, rappelle Alphand : "Ce sera plus confidentiel. Ils pourront mieux rester dans leur bulle. C'est ça qui te bouffe aussi : le public, les médias, tu en fais tout un fromage. Tu n'arrêtes pas de te dire que c'est les JO alors que ça doit rester une course comme une autre".
Garder les skis sur Terre
Mais alors, comment faire pour garder les skis sur Terre ? Tout le monde s'accorde sur une règle de base : ne pas changer ses habitudes. Surtout pas pour les superstitieux, même si certains travaillent sur leurs tocs, comme le confie Mathieu Faivre : "J'ai arrêté les petits rituels parce que j'ai compris que ça n'avait aucun impact sur la performance. Ça peut nous rassurer, mais c'est éphémère, impalpable, superflu. Je mettais la chaussure gauche en premier, une paire de chaussettes particulières, un masque précis. Toutes ces choses venaient polluer l'essentiel qui est de skier". À l'image du skieur d'Isola 2000, l'équipe de France est de toute façon suffisamment expérimentée pour gérer cela, rappelle le directeur des Bleus, David Chastan : "Sur une course d'un jour comme les JO, tout est ouvert."
"Ce n'est pas forcément le meilleur skieur qui est champion olympique, mais être champion olympique ça change la vie d'un athlète".
David Chastan, directeur de l'équipe de France de ski alpinà franceinfo: sport
De quoi faire cogiter sous les casques. Et là, deux types de skieurs se révèlent : ceux qui s'effondrent, et ceux qui s'envolent, à l'image d'Antoine Dénériaz en 2006 : "J'avais cette chance de bien vivre la pression quand je me sentais fort et que j'avais une chance de gagner. Ce n'est pas arrivé 50 fois dans ma carrière malheureusement. Il faut se mettre la bonne pression et démystifier le truc".
Luc Alphand se souvient lui d'un exemple de son époque : "À la descente des Jeux de Sarajevo en 1988, l'Américain Bill Johnson gagne. C'était un inconnu un mois avant, mais il a gagné les Jeux, puis il a remporté deux courses derrière. Et puis plus rien. Il a connu une période d'euphorie, de feu, pile sur les Jeux, puis a disparu".
L'inconnu de la piste
Une fois dans le portillon, JO ou pas, le sport demeure le même. Reste toutefois à desserrer le frein à main, prévient Dénériaz : "Aux Jeux, il faut prendre tous les risques et accepter que ça puisse ne pas marcher, qu'on puisse faire une faute. Si on accepte ça, on se donne le droit de gagner". Le secret du champion olympique de 2006 ? La visualisation : "J'avais récupéré les images de la piste. J'ai étudié les vidéos à tel point que je visualisais la piste les yeux fermés. Ça devenait instinctif, c'était rassurant. Je suis arrivé aux Jeux en ayant l'impression d'avoir fait la piste dix mille fois". Problème : à Pékin, les athlètes découvriront la piste trois jours plus tôt, à peine.
"On n'a pas eu le temps de cogiter avec la Coupe du monde. On a tout enchaîné. On ne connaît pas la piste, on n'a jamais vu le tracé, on va tout découvrir là-bas. C'est un peu à l'arrache, mais on s'adapte."
David Chastan, directeur de l'équipe de France de ski alpinà franceinfo: sport
Sur une neige artificielle très froide, il faudra non seulement dompter le relief et le tracé de la piste le jour J, mais aussi apprivoiser le manteau neigeux local très particulier. Pas de quoi inquiéter Mathieu Faivre : "Ce n'est pas la première fois qu'on va découvrir une piste avant la course. Aux Mondiaux 2021 à Cortina, c'était la première fois que je skiais la piste. Et j'ai réussi à tirer mon épingle du jeu. Effectivement, quand on ne connaît pas la piste, qu'on découvre une neige aussi particulière que celle qui nous attend à Pékin, il faut savoir s'adapter, laisser parler l'instinct et ce qu'on a appris pendant les années".
Et s'il reste encore un peu trop de pression sur les épaules tricolores, Antoine Dénériaz allège encore un peu ce fardeau : "De très grands champions ont des carrières exceptionnelles sans avoir été médaillés olympiques, et l'inverse. Des coureurs moins forts ont réussi ce coup. J'en suis l'exemple".
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