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SÉRIE. Premiers JO à Tokyo 2021 - Karaté : pour Alexandra Feracci, le combat est un art

Pendant les JO, franceinfo : sport dresse le portrait de cinq athlètes français qui disputent leur premier rendez-vous olympique à Tokyo. La Corse Alexandra Feracci entend bien mettre le kata en lumière et rendre fière l'île de Beauté.

France Télévisions - Rédaction Sport
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Alexandra Feracci, la seule représentante corse aux Jeux olympiques de Tokyo en karaté. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

Dans son grenier réhabilité en salle de gym, Alexandra Feracci enchaîne exercices de musculation et répétitions sur le tatami. Les yeux bleu azur rivés sur un adversaire imaginaire, le front humide, la karatéka enchaîne les mouvements avec une fluidité déconcertante. La précision de ses gestes n'a d'égal que la force déployée dans son art martial : le kata. Face à elle, les anneaux olympiques - peints il y a quelques semaines par son père Jean-Michel sur l'un des murs - l'accompagnent dans sa préparation pour Tokyo.

Devenir la première karatéka française médaillée olympique

Non loin de là, la plage et le doux soleil ajaccien caressent la peau et apaisent les esprits avant cette échéance importante. Car pour la première fois, le karaté entre au programme olympique. Une aubaine pour la Corse, qui baigne dans la discipline depuis l'âge de quatre ans. Une passion transmise par ses parents, qui tiennent le club de la "cité impériale", berceau de Napoléon Bonaparte. "Ils m'ont fait toucher à plusieurs sports, dont des sports collectifs, mais ce n'était pas mon truc. Le karaté a toujours eu une dimension particulière parce que j'ai commencé à avoir de bons résultats sur des compétitions nationales assez jeune", explique-t-elle.

Dans le sillon de sa maman Fabienne, sa coach numéro un, la petite fille mordue de danse a bien grandi et approche doucement d'un rêve longtemps inaccessible. En cette fin du mois de juin, l'incertitude a disparu, l'objectif est plus que jamais dans le viseur : une première médaille olympique pour le karaté français, le 5 août (à partir de trois heures, heure française).

Quand Alexandra Feracci tente d'analyser ce que représentent les Jeux pour elle, elle marque un temps d'arrêt, se pose pour réfléchir. Difficile de mettre les mots sur quelque chose qui n'existait pas jusqu'alors. Aujourd'hui, tout le monde est là pour lui rappeler qu'ils ne reviendront peut-être pas de sitôt.

"Les JO, pour moi c'était inatteignable. Je les regardais avec l'envie d'y être mais en sachant que cela n'arriverait peut-être jamais.""

Alexandra Feracci

à franceinfo : sport

Absent aux Jeux de Paris 2024, il y a également peu de chances de voir le karaté figurer au programme de Los Angeles en 2028. "Je suis partie du principe que c'était un 'one shot', je l'ai intégré, détaille-t-elle. Au tout début de ma prépa, cela a été stressant mais depuis je me sens mieux. Je vois ma participation à Tokyo comme du bonus. Je voulais y être, j'y suis et je vais donner le maximum. Ma chance, elle est maintenant."

Les galères d'un sport amateur

Pour s'octroyer cette "chance", Alexandra Feracci n'a pas lésiné sur les moyens. Elle a connu, comme beaucoup d'autres athlètes, les galères de financement d'un sport amateur qui échappe encore souvent à la médiatisation et qui contraint à y aller de sa poche. Si la Fédération française de karaté a pu l'aider, notamment pour prendre des cours particuliers, la jeune femme de 28 ans n'a pas compté les dépenses. Il y a un an, elle crée une cagnotte où chacun est libre de venir lui apporter son soutien. "Je n'avais jamais vraiment osé la mettre en avant", précise-t-elle, l'air contrit.

Finalement, des amis la poussent et Alexandra Feracci parvient, avec les sommes récoltées, à aménager son petit dojo avec du matériel de musculation et des tatamis. Son partenariat avec Air Corsica l'aide à diminuer les coûts de ses aller-retour entre la Corse et Paris, tandis que le surplus lui permet de financer les hébergements ou la restauration. Des soutiens précieux qui la mettent dans les meilleures dispositions pour briller à Tokyo. Dans son sport, on a tendance à dire que "si le combat est individuel, la victoire se partage en équipe".

Alexandra Feracci lors des finales des championnats du monde de karaté à Madrid, le 10 novembre 2018. (OSCAR BARROSO / SPAINDPPI / AFP)

Le Japon sans la famille

À Tokyo, la championne va aussi vivre un retour aux origines. Son dernier déplacement au pays du karaté remonte en février 2020, juste avant l'épidémie de Covid-19. Un moyen de renouer avec la part plus intime de son sport. "C'est important d'aller à la source de cette culture, d'autant que le travail des Japonais est complètement différent : on casse beaucoup notre méthode, les entraînements sont durs, témoigne-t-elle. C'est quand je rentre que je comprends des choses et que j'ai un déclic." 

Cet été, la notion de partage et d'échange avec la culture japonaise sera dictée par les mesures sanitaires drastiques en vigueur et le huis clos. "Les restrictions sont un coup dur, surtout le fait de ne pas pouvoir compter sur ma familleMa mère me disait il y a déjà quelques semaines : 'prépare toi à être seule, on ne sera peut-être pas là'. Elle avait raison. Au début ça m'a freinée un peu mais je sais que cela sera pareil pour tout le monde. C'est dommage, les Jeux sont aussi censés être une fête." La néo-olympienne a quand même pu profiter, durant sa semaine de préparation à Niigata, de la présence d'une "sparring partner" de choix : sa soeur Laeticia.

Depuis toute petite, l'aînée veille sur la cadette de 23 ans. À peine en âge de marcher, la dernière s'amusait déjà à tenter de concurrencer sa soeur. Aujourd'hui, si l'une est en pleine lumière, l'autre n'est jamais loin - médaillée de bronze européenne en kata par équipes - et la rivalité s'est estompée. "Seule on va plus vite mais à deux on va plus loin", tel est le credo des Feracci.

"Ma soeur a vite été sur mes traces, c'est celle qui me connaît le plus", témoigne Alexandra avec tendresse. "Elle prenait le karaté à la cool et un jour lors d'un championnat, elle a accroché une fille en équipe de France. Elle avait failli la battre tout en prenant ça en dilettante. J'ai été un peu forte avec elle, je lui ai dit de se bouger et ça a été un déclic qui s'est mué en histoire de famille. Je suis fière de ce que l'on construit aujourd'hui, ça a de la valeur."

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Porte-étendard du drapeau corse

Retour sur les plages d'Ajaccio. Même masquée, Alexandra Feracci ne passe pas inaperçue et les passants ne manquent pas de la saluer ou de lui glisser un petit mot d'encouragement. Des marques de reconnaissance devenues quotidiennes pour celle qui s'apprête à devenir la première Corse, née, élevée et habitant sur l'île, à disputer les Jeux olympiques.

"J'ai toujours été fière de mes racines et très régionaliste, admet-elle volontiers. Quand on part en compétition, j'ai toujours ma bouteille d'eau corse, souvent je prends le drapeau. C'est d'autant plus une fierté de voir que chez nous aussi on peut avoir des athlètes de haut niveau sans être obligé de bouger. Moi j'arrive à rester à Ajaccio et même si cela nécessite de faire des allers-retours, je n'ai pas changé toute ma vie."

De là à subir la pression de porte-étendard du drapeau à la tête de maure, il n'y a qu'un pas... que la karatéka refuse de franchir. "Je vois cela comme un défi, une mission. Ce n'est pas pour rien si je suis ambassadrice du sport en Corse. Je veux inciter les jeunes à pratiquer et surtout montrer que ce n'est pas parce qu'on est sur une île qu'on ne peut pas y arriver, et je pense que j'en suis la preuve. J'ai hâte que la relève arrive."

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