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Reportage Paris 2024 : en Seine-Saint-Denis, ces habitants "se battent pour que les JO ne soient pas en défaveur des habitants"

À un an du lancement des Jeux olympiques de Paris, le collectif "Vigilance JO-2024" s'inquiète des conséquences qu'aura la compétition sur la Seine-Saint-Denis. Le département abritera les deux plus grandes infrastructures de l'évènement.
Article rédigé par Manon Mella
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Cécile Gintrac, membre du comité de vigilance JO-2024 et professeur de géographie (Saint-Denis) (MELLA MANON/FRANCEINFO)

Au cœur de la ville de Saint-Denis, impossible de ne pas remarquer l'immense tour Pleyel en plein travaux, où s'activent les ouvriers et s'amassent les engins de chantier. Ce gratte-ciel de 144 mètres de haut, qui abritait autrefois l'agence de la Caisse d'allocations familiales de la ville, deviendra un hôtel 4 étoiles avec un centre de conférences, des commerces et un parking d'ici 2024. Sa livraison est prévue avant l'ouverture des JO.

>> REPORTAGE. "Ça devient concret, on est vraiment sur la fin" : à un an des JO de Paris 2024, le village des athlètes prend forme en Seine-Saint-Denis

Cette tour symbolise bien les changements en cours dans l'agglomération : la Seine-Saint-Denis est le département le plus pauvre de la métropole et c'est aussi celui qui concentre près de 80% de l'investissement public débloqué pour construire les équipements qui abriteront les épreuves sportives, les athlètes et leur staff. Mais les habitants vont-ils en bénéficier ? Un certain nombre d'entre eux en doutent.

"On est sceptiques"

Cécile Gintrac est membre du comité "Vigilance JO-2024". Cette professeur de géographie et habitante de Saint-Denis a lancé le collectif en 2017, quelques jours après l'annonce de l'attribution des Olympiades parisiennes. "À l'époque, on se demandait ce qui allait se passer pour Saint-Denis, on n'avait pas beaucoup d'informations... Aujourd'hui, on se bat pour que les JO ne soient pas en défaveur des habitants de Seine-Saint-Denis", explique-t-elle.

"On s'est rendu compte qu'il y avait un décalage entre la communication autour des JO et la réalité des faits."

Cécile Gintrac, membre du collectif Vigilance JO-2024

à franceinfo

Au cœur des craintes : les deux plus grandes infrastructures des Jeux, le Centre Aquatique et le Village des athlètes. "Il s'agit d'un héritage direct des JO", assure Adrien Delacroix, adjoint au maire de Saint-Denis en charge de l'urbanisme et de l'aménagement, optimiste. Mais Cécile Gintrac se veut plus méfiante : selon elle, rien ne garantit que les habitants bénéficieront bien de ces équipements dans le futur.

"Les habitants de Seine-Saint-Denis vont avoir du mal à habiter dans le village olympique"

Le Village des athlètes accueillera 14 500 athlètes olympiques et 9 000 athlètes paralympiques et leur staff pendant l'événement. Après les Jeux, il réunira un quartier d'habitation, une résidence étudiante, un hôtel, des bureaux, des commerces et des espaces végétalisés. Cécile Gintrac craint que les habitants de Seine-Saint-Denis n'y aient pas accès.

"Les Jeux olympiques de Paris, c'est une opportunité d'accélérer les transformations urbaines du territoire. C'est un accélérateur de projet avec une obligation de résultat", plaide Adrien Delacroix, adjoint au maire en charge de l’urbanisme et de l’aménagement. "Le prix du mètre carré à la vente, c'est 7 000 euros, donc les habitants de Seine-Saint-Denis, a priori, que ça soit à l'achat ou à la location, vont avoir du mal habiter dans le village olympique", réplique Cécile Gintrac. Selon l'indice de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim), au 1er juillet 2023, le prix moyen du mètre carré était de 4 175 euros à Saint-Denis.

Le Village des athlètes sera mis à disposition à partir du 1er mars 2024 (MELLA/FRANCEINFO)


Adrien Delacroix, maire-adjoint de Saint-Denis tempère : "Le village olympique se construit sur une friche industrielle. Il n’exclut personne, mais crée de nouveaux logements, dont du logement social", assure-t-il. Sur les 2 200 logements familiaux prévus, "900 intégreront 25% de social à Saint-Denis", précise le site de la ville. "C'est trop peu, rétorque le collectif : ils avaient annoncé 40% de logements sociaux au moment de la candidature".

"On ne sait pas si la piscine sera tout le temps ouverte au public"

Un peu plus loin, l'un des seuls ouvrages sportifs construit pour les JO de Paris est le centre aquatique olympique (CAO) de Saint-Denis. Mais il n'accueillera pas la compétition de natation. Le bâtiment, construit sur des fonds publics, a été redimensionné pour limiter le risque de dérive budgétaire. Situé en face du Stade de France, cette piscine olympique servira pour les compétitions de water-polo, de plongeon et de natation synchronisée. Une fois les JO terminés, trois bassins seront donnés à des collectivités de Seine-Saint-Denis, un département en manque de piscines. Les villes seront chargées ensuite de construire et de financer le bâtiment qui abritera chaque bassin.

Si le comité Vigilance JO-2024 reconnaît des avancées en termes de modernisation des équipements sportifs, il émet des réserves sur l'utilisation qui sera faite a posteriori de ce centre aquatique. "Pour la piscine, on attend de voir combien de créneaux seront disponibles pour les scolaires. Pour le moment, on ne sait pas si elle sera ouverte tout le temps au public", souffle Cécile Gitrac. L'adjoint au maire confirme que "le centre aquatique ne sera pas un équipement municipal", mais que "des lignes d'eau ont déjà été réservées à des scolaires".

Deux hectares d'espaces verts sauvés

Vigilance JO-2024 questionne aussi l'impact écologique qu'aura la construction des infrastructures et la tenue d'un tel événement. "Le village olympique devait être construit en bois. Finalement, ce n'est pas du tout ça. On le voit, les constructions sont assez denses", regrette ainsi Cécile Gintrac. De son côté, Adrien Delacroix défend des "logements très performants avec l'utilisation de matériaux comme le béton bas carbone qui est peu consommateur d'énergie l'hiver et confortable à vivre l'été.

Mais le collectif a déjà gagné un combat : il a réussi à sauver, avec d'autres habitants, quelque 25 000 m² de verdure initialement promis à la construction de locaux en bordure du parc Ampère. Le maire de Saint-Denis et la Solideo, l'établissement public chargé des infrastructures olympiques et paralympiques qui demeureront après les Jeux, ont annoncé au mois de juin l'abandon de ce projet qui avait été critiqué par les riverains. "C'était inadmissible d'avoir si peu d'espaces verts pour 6 000 habitants dans un quartier qui est déjà très minéral, lance Cécile Gintrac. 2,5 hectares de verdure, c'était un minimum !"

Il n’y aura finalement pas de nouveaux immeubles en lisière du parc Ampère à Saint-Denis (SOLIDEO)

Par ailleurs, depuis des années, des habitants se battent pour préserver les "Jardins des Vertus d'Aubervilliers", des jardins ouvriers menacés par la construction d'un solarium, attaché à une piscine d'entraînement des nageurs olympiques de Paris 2024.

"Un échangeur autoroutier va passer à côté d'une école"

Enfin, au-delà du comité emmené par Cécile Gintrac, un autre projet inquiète des habitants de Saint-Denis, et notamment des parents d'élèves : l'agrandissement de l'échangeur de l'autoroute A86 qui desservira, entre autres, le village olympique. Ce projet d'aménagement - financé intégralement par la Solideo, - "représente une opportunité de desserte du village des athlètes", indique le site de la mairie de Saint-Denis. Sauf que "L'échangeur va rajouter du trafic et de la pollution et il passe à côté d'une école", s'inquiète Cécile Gintrac. 

Ce projet a d'ailleurs été épinglé par l'Unicef pour les risques que fait courir l'infrastructure pour la santé des enfants et des riverains. Le centre scolaire Pleyel est déjà exposé à des concentrations en dioxyde d’azote (NO2) qui dépassent de cinq fois les recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Pour tenter de pallier la pollution, la Direction des routes d'Île-de-France garantit l'installation d'une haie végétale et d'un mur anti-bruit. "Le village olympique, ce n'est pas que du béton bas carbone, c'est aussi un village encadré par des flux routiers importants et donc de la pollution", conclut Cécile Gintrac, qui demande aujourd'hui "que les effets d'annonce et de communication ne soient pas que du vent."

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