: Reportage "On se serrera la ceinture plus tard" : aux JO de Paris 2024, dépenser de l'argent fait le bonheur des spectateurs
Près de 45 minutes de queue, 35 minutes à se frayer un passage dans les rayonnages et la délivrance ou presque. Hiroka et Tonoi s'extirpent enfin de l'immense boutique officielle Paris 2024 située sur les Champs-Elysées. Dans les mains des deux amies japonaises, on repère des tee-shirts pour leurs compagnons, des casquettes pour papy et mamie et des peluches à l'effigie de la Phryge, la mascotte des JO, pour des collègues de travail "jaloux" de ne pas avoir fait le déplacement. Cinq sacs pleins mais des comptes en banque allégés : 241 euros pour l'une, 167 euros pour l'autre. "C'est cher, très cher. J'ai fermé les yeux en insérant ma carte", plaisante la plus âgée en repliant le ticket de caisse.
"Ce sont les Jeux olympiques. Les Jeux olympiques à Paris, même. C'est une fois dans sa vie."
Hiroka, spectatrice japonaiseà franceinfo
Le soir, au lieu de s'offrir un resto, Hiroka et Tonoi cuisineront "quelque chose" dans leur Airbnb à Austerlitz. Les deux Japonaises ne sont pas les seules à manger des pâtes après leur passage à la caisse. Aux Jeux olympiques aussi, l'important, c'est de banquer. Vous avez envie de voir le sprinteur américain Noah Lyles à moins de 10 mètres de votre siège du Stade de France sur la finale du 100 m ? Le ticket de vos rêves dépasse les 10 000 euros. Les JO, c'est (aussi) le pays où la vie est plus chère.
"On est comme pris dans le mouvement"
Xavier est passé plusieurs fois devant le megastore la semaine précédant les Jeux olympiques, sans même y prêter attention. Mais mercredi 31 juillet, après l'élimination du pongiste Alexis Lebrun, il a piqué un sprint vers le container où est logée une petite boutique officielle, dans les entrailles de l'Arena Paris Sud, de la porte de Versailles, pour s'acheter une casquette siglée Paris 2024, alors qu'il arbore la même sur la tête. "Ce n'est pas la première de la journée", sourit-il. Effectivement. "Là c'est pour offrir à mes beaux-parents." Le sac à dos se remplit au fur et à mesure que les poches se vident. Ajoutez à cette frénésie de shopping la centaine d'euros déboursée pour la place et l'addition grimpe. "Ça fait des journées à 200 euros." La veille, il était encore au megastore sur les Champs-Elysées, temple de la consommation olympique. "J'ai craqué pour deux tee-shirts. Facture totale : 80 euros. Ça paraît délirant, vu de l'extérieur, mais on est comme pris dans le mouvement, c'est l'effet JO !"
Comme Romane, cette maman venue assister à l'épreuve du saut d'obstacles par équipe, jeudi 1er août, qui trépigne devant une des boutiques en bois installées le long d'une allée ombragée du parc du château de Versailles. "Il vous reste des tee-shirts de l'équitation ?" Derrière la vendeuse, l'étagère est presque vide. Les vêtements liés aux disciplines constituent un des cartons des produits dérivés et ne sont disponibles que sur le lieu des épreuves. Le fan d'équitation a les moyens, il ne reste plus que trois exemplaires. "Il me reste du XXXL, ça vous irait ?" Romane n'hésite pas. "C'est pour mon fils de 5 ans, mais je le prends quand même. Je ne peux pas ne pas revenir sans."
Les Jeux, c'est l'équivalent de 40 championnats du monde qui se déroulent en même temps (presque) dans la même ville. Au-delà du coût des tee-shirts et autres babioles, la facture billetterie grimpe, sans parler des hôtels et des petits extras. Les plus avisés ont trouvé des astuces. Faire confiance à la SNCF, comme Emilie et Bastien, 23 et 26 ans, deux Manceaux qui ne roulent pas sur l'or, et qui ont donc fixé leur camp de base près de... l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. "On fait l'aller-retour avec Paris tous les jours." Pour l'instant, miracle, le RER B, la ligne la plus détestée des Franciliens, tient le choc. Carlos, 29 ans, a une technique bien à lui pour ne pas trop s'appesantir sur les dépenses : "Il faut la jauger à l'échelle d'une vie", assène-t-il, après avoir lâché 160 euros au megastore.
"On se fait plaisir et on se serrera la ceinture plus tard."
Carlos, spectateur françaisà franceinfo
"C'était les JO ou une semaine de vacances en Espagne", poursuit-il. Ce sera donc les Jeux... "Peut-être qu'on partira une semaine dans le sud de la France en août... Avec ma compagne, on regardera ce qu'il nous reste dans le portefeuille."
"Pour l'athlé, il fallait rajouter un zéro"
Mention spéciale aussi pour les courageux qui amènent leur marmaille, ou pire, celle des autres, au grand barnum olympique. Bianca, supportrice allemande, peste plus contre sa crêpe au jambon à l'aspect de carton bouilli que sur le coût global de son séjour parisien, à cinq adultes et deux enfants. "Ça reste cher, mais c'est l'expérience d'une vie, car je pense que l'Allemagne n'aura pas les Jeux de sitôt, et je ne vais sûrement pas aller à Los Angeles ou à Brisbane pour ça", justifie-t-elle. Il a fallu faire des choix : cette fan d'athlétisme s'est rabattue sur le tennis de table, bien plus accessible. "Trente euros la place. Pour l'athlé, il fallait rajouter un zéro. Vous imaginez quand on est sept ?" Le budget familial défie toute concurrence, grâce à une organisation militaire et des réservations anticipées dix-huit mois à l'avance : 3 500 euros. Crêpes comprises.
Tony, 66 ans, était volontaire aux Jeux de Londres. Il arbore fièrement un tee-shirt délavé de douze ans d'âge avec Wenlock, la mascotte britannique, alors qu'aucune équipe britannique n'est en vue à l'Arena Paris Sud. "J'ai amené avec moi mes six petits-enfants", assure-t-il alors que c'est surtout son épouse, Wilma, qui gère la jeunesse qui s'égaille dans les travées de la tentaculaire enceinte. "Je voulais partager ce moment avec eux, mais c'est le genre d'idée qui coûte cher. Très cher. Beaucoup trop cher." A raison de deux séjours de trois jours dans la capitale, espacé d'un retour à Londres pour le week-end, il lui faudra débourser 5 000 euros au total. "J'aurais mieux fait d'investir pour les Jeux de Londres et d'être volontaire en solo ici", conclut-il en riant.
Pour ceux qui viennent d'encore plus loin, c'est le même tarif, mais sans enfant. Anna a, elle, fait le déplacement depuis Hong Kong avec sa sœur Amy et leur amie Cathy. Elles ont décidé de venir à Paris pour les JO il y a environ un an et demi. Finalement, leurs douze jours dans la capitale française (du 24 juillet au 4 août) vont leur coûter un mois et demi de salaire. "Environ 5 000 euros par personne", calcule celle qui est traductrice dans la vie. Dans le détail, 1 200 euros de billets d'avion (et encore, un vol avec escale), 1 900 euros de logement Airbnb réservé un an et demi à l'avance dans le quartier d'Austerlitz, 385 euros pour assister à une soirée de finales de natation. "C'est très, très cher ! On aurait aimé voir plus d'épreuves, mais les prix sont tout simplement trop élevés, on a donc décidé de limiter notre choix à trois épreuves seulement."
"Je gagne bien ma vie, je peux me le permettre"
Ça pourrait être pire. "Le cours du real ne nous a pas gâtés." La monnaie brésilienne a connu un trou d'air face à l'euro, ce qui ne fait pas les affaires du pouvoir d'achat d'Eduardo et Adriana, tee-shirts customisés aux couleurs des chevaux de l'équipe brésilienne sur les épaules. "On va quasiment arriver à 10 000 euros, et ce en ayant trouvé une colocation à dix personnes sur Versailles", raconte celui qui a attrapé le virus de l'équitation après les Jeux de Rio.
"On a déjà visité Paris deux fois, il y a une vingtaine d'années. Mais ce séjour nous revient aussi cher que les deux précédents cumulés."
Eduardo, spectateur brésilienà franceinfo
Et il y a ceux pour qui l'argent n'est vraiment pas un problème, venus nombreux comme le montrent les chiffres de l'organisme Choose Paris révélés par franceinfo. "Vous ne le dites pas, hein ?" Samuel, 32 ans, ne devrait pas être au Grand Palais en train d'encourager les escrimeurs Sara Balzer et Enzo Lefort, mais au boulot, en attendant que sa rupture conventionnelle prenne effet, à la fin du mois. "Bon, de toute façon, ils ne comptent plus trop sur moi." Ce fondu de sport avait déjà prévu d'aller voir une quinzaine d'épreuves, pas toutes sur son temps de travail, après avoir lâché 1 000 euros lors de la première salve de mise en vente de billets. "Je gagne bien ma vie, je peux me le permettre." Et depuis, il a découvert le site de revente des billets, où des possesseurs de sésames proposent leur bien acheté des mois plus tôt. "Comme j'ai dépensé ces 1 000 euros l'an dernier, pour moi, c'est comme si j'avais une enveloppe pleine pour en acheter d'autres." L'appétit vient en mangeant.
On croise beaucoup d'Américains à Paris. Et pour cause, assurent Shelby et Arlene, deux New-Yorkaises, la vingtaine, en pleine séance selfie sur les Champs-Elysées en attendant l'ouverture du skatepark de la Concorde. "Ça va vous paraître bizarre, mais aller aux Jeux à Paris, même en étant Américaines, ça va nous coûter moins cher que de nous rendre aux Jeux de Los Angeles en 2028", se rend compte Shelby derrière ses épaisses lunettes de soleil. "Les hôtels, les places, ça va être hors de prix. Un peu comme pour les concerts de Taylor Swift. Les Jeux, c'est moins cher en Europe", conclut-elle.
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