Reportage "A part des barrières partout, on a eu quoi ?" : voisins du village olympique, ils racontent leurs JO près des stars, mais loin de la fête

Ils habitent à dix mètres du village grouillant d'athlètes, séparés d'eux par une haute barrière et des bâches, en plus d'un impressionnant dispositif de sécurité. Pourtant, beaucoup d'habitants du quartier Pleyel de Saint-Denis ont l'impression que ces Jeux se déroulent sur une autre planète.
Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
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Le village olympique vu du quartier de Pleyel à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), le 7 août 2024. (PIERRE GODON / FRANCEINFO)

Les habitants l'ont rebaptisée "Pin's Alley". L'allée de Seine, une jolie voie piétonne, mène du métro Carrefour Pleyel à un quartier dortoir de Saint-Denis. "D'habitude, les enfants y jouent avec leur trottinette, soupire une mère de famille. Là, ils ne peuvent plus !" Jour et nuit, des athlètes venus du monde entier y circulent dans leurs survêtements bigarrés, alpagués par les chasseurs d'autographes munis d'épais blocs-notes, qui dégainent le marqueur plus vite que leur ombre. Assis sur les quelques bancs ou les blocs de béton disposés sur le côté se trouvent les collectionneurs. A la vue d'une accréditation plastifiée, ils n'ont qu'une question aux lèvres : "Do you want to trade pin's ?" ("Voulez-vous échanger des pin's ?").

Juste à côté, se trouve un quartier résidentiel coincé entre un bras de la Seine et l'A86. "En zone flics", résume Malik, des années de présence sur zone. Les rues Ampère, Volta, Watt - oui, uniquement des noms de scientifiques liés à l'électricité - sont bouclées comme pour un sommet du G20. Seuls les véhicules estampillés CIO peuvent y pénétrer, et encore, à condition de montrer patte blanche. Tout juste rentré d'un séjour prolongé en Tunisie, Haytham commence à s'inquiéter. "Comment je vais sortir ma voiture, moi ? Il faut un QR code ?", s'alarme ce riverain. Pas sûr que ça suffise.

Une affichette posée sur un immeuble du quartier Pleyel, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), le 7 août 2024. (PIERRE GODON / FRANCEINFO)

"On se croirait revenu au temps du confinement", déplore Maelys, qui se définit elle-même comme une "Parisienne rageuse venue du 18e", poussée dans le 93 par les prix de l'immobilier. Visiblement peu au fait des restrictions de circulation en vigueur sur place durant les Jeux, son frère Erwan a tenté d'aller faire des courses ailleurs qu'au Franprix du coin. "J'étais à scooter, donc les flics m'ont refoulé. Ils m'ont balancé : 'Achetez-vous un vélo !' Mais à pattes jusqu'au Picard, j'en ai pour 25 minutes."

Biscuits Petit écolier et bouteilles de vodka

Ripolinée pour la quinzaine olympique, la supérette du quartier ne désemplit pas. Les horaires ont été étendus jusqu'à minuit. Il se passe rarement trois minutes sans qu'un athlète ou un membre d'une délégation olympique n'en franchisse la porte coulissante. "Ça, c'est typiquement français, non ?", interroge une athlète néo-zélandaise en brandissant un paquet de biscuits Petit écolier. Art de vivre à la française, vous dites ? Les rayons biscottes, confiture et biscuits sont quasiment vides, les packs de bière encore en stock se comptent sur les doigts d'une main et le peu d'alcools forts qui restent derrière la caisse sont placés sur le bord des étagères pour camoufler la pénurie qui guette.

"Le matin, on voit parfois des cadavres de bouteilles de vodka", sourit Abdelrahmane, salarié dans une entreprise voisine. Les quelques morceaux de verre qui ont échappé à la vigilance des équipes d'entretien, sur le pont 24 heures sur 24. "Je vous jure, ils nettoient même à 3 heures du matin, sourit Maelys. Je peux partir en laissant ma porte grande ouverte, tellement il y a de flics. Mais dormir la fenêtre ouverte, ça, c'est impossible".

Maelys et Erwan, deux riverains du village olympique des Jeux de Paris 2024, à Saint-Denis (Seine-Sant-Denis), le 7 août 2024. (PIERRE GODON / FRANCEINFO)

Pour eux, les Jeux ont été vécus de manière parallèle. Maelys et Erwan savent reconnaître à l'oreille le bus de la délégation israélienne"Il est blindé, et il y a deux fois plus de voitures d'escorte [que les autres], dont la BRI". Ahmed assure avoir croisé Simone Biles, la star de la gym olympique aux trois titres à Paris : "Je vous jure, devant la boulangerie". Malgré son amour pour les viennoiseries made in France, la championne n'aurait pas cédé à la tentation et se serait engouffrée dans une voiture de la Team USA, selon cette source de première main. D'autres affirment avoir taillé une bavette avec les frères Karabatic, les plus grandes stars à avoir pris le temps de se poser avec les locaux. Palme de l'originalité à Erwan, qui a discuté par balcons interposés avec le perchiste philippin Ernest Obiena, quatrième et médaille en chocolat à Paris : "Ses parents ont loué sur Airbnb un des appartements de nos voisins."

Tout le monde n'est pas aussi physionomiste : "Très honnêtement, j'ai croisé plein d'athlètes dans les rayons, mais je n'en ai reconnu aucun", avoue Kanté, salarié de la supérette. "On n'a pas vu Léon Marchand", regrette encore Mohamed, un habitué des lieux. Raté, le quadruple champion olympique dormait près de la piscine de La Paris La Défense Arena, entre deux courses victorieuses. "En revanche, au bruit, on pouvait savoir quand un athlète américain sortait à pied du village", poursuit Mohamed, qui a accroché un drapeau algérien à sa fenêtre. "Les premiers arrivés distribuaient des pin's aux gamins du quartier, le bruit s'est répandu et à un moment, c'était une nuée de mômes qui courait vers eux." Au fil des jours, la source s'est tarie et les Américains n'ont désormais plus un pin's dans leur besace.

"Libération" prévue en septembre

C'est à peu près tout pour leurs interactions avec les athlètes. "Il y a une Américaine qui est venue me voir le premier jour pour me demander si le quartier était sûr", se remémore Maelys. Les "no-go zones" décrites par la chaîne Fox News pendant les émeutes et le souvenir des "gilets jaunes" demeurent vivaces, "alors qu'en vrai, le quartier est super calme".

Trop calme au goût de Nacer, gérant du bar-restaurant La Tour, à un jet de pierre du village. "Depuis le 1er juillet, toutes les boîtes du quartier ont mis tous leurs salariés en télétravail", déplore le patron, qui compte plus de télés branchées sur les Jeux dans son établissement que de clients. "D'habitude, le midi, je fais 150 couverts. Là, à 17 heures, j'en suis à 54 clients. Et plus de la moitié sont des policiers." Son établissement donne juste devant l'un des points de contrôle, où des gendarmes lourdement équipés tuent le temps. "Il y en a trois comme ça dans un rayon de cent mètres…"

L'entrée du village olympique des Jeux de Paris, sous bonne garde, le 7 août 2024 à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). (PIERRE GODON / FRANCEINFO)

En définitive, tous ont vu le village olympique pousser, mais personne n'a pu l'approcher une fois terminé. "Ç'aurait été un geste sympa pour associer les gens du quartier", déplore Malik. Il regrette même que le Comité d'organisation des Jeux olympiques n'ait pas cherché de volontaires pour des missions dans le village, situé à un pâté de maisons de là. "On n'a rien eu : ni visite, ni places pour les épreuves. Il faut croire que je n'ai pas la carte", grince le riverain. "Ne vous demandez pas pourquoi je suis plus fier de la présence d'Aya Nakamura à la cérémonie que d'être un voisin du village." Samia, qui trimballe une poussette et cinq enfants en bas âge, résume un sentiment assez largement partagé : "Mis à part des barrières partout, on a eu quoi ?" Un couple de touristes bordelais pensait pouvoir visiter les lieux. "Bah, c'était un mauvais plan, en fait", souffle Virginie avant de filer vers le métro sitôt la défaite consommée. 

Il va falloir prendre son mal en patience. Le quartier demeurera en état de siège jusqu'à la fin des Jeux paralympiques, mi-septembre, et les appartements, commercialisés jusqu'à 7 000 euros du mètre carré, bien plus que les prix en vigueur dans le coin, ne seront livrés au public qu'après de nouveaux travaux. "C'est ça, l'héritage des Jeux pour nous, la gentrification ?, questionne Malik. On va devenir comme les docks de Pantin : un quartier branché envahi de Parisiens." 

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