Judo aux JO 2021 : pourquoi y a-t-il autant de "golden scores", ces combats à rallonge sur les tatamis olympiques ?
Les judokas peinent à se départager dans le temps réglementaire et doivent souvent prolonger les hostilités dans le temps additionnel. Tentative d'explication de ce phénomène récurrent, lié notamment à l'évolution du réglement.
"Et voilà, nous allons avoir droit à un golden score." La petite phrase tourne en boucle sur les tatamis des JO de Tokyo, car les judokas peinent à se départager dans le temps réglementaire. Clarisse Agbégnénou peut en témoigner : il lui a fallu attendre le début de cette prolongation pour infliger un waza-ari décisif à son adversaire et remporter le titre olympique. De son côté, le médaillé de bronze Luka Mkheidze (-60kg) s'est incliné en demi-finale au bout de 9'22 de match face au Taïwanais Yung Wei Yang, avant de s'imposer face au Sud-Coréen Won Jin Kim en 7'15. Le cas des deux Français n'a rien d'exceptionnel. Lors des trois premiers jours de compétition, 69 des 189 combats ont fini au golden score, selon les calculs de franceinfo, soit plus du tiers (37%) des oppositions.
"Les combattants semblaient méfiants"
"La compétition masculine a été un peu décevante aujourd'hui [dimanche] avec beaucoup de décisions au golden score", a constaté l'ancien champion olympique allemand Udo Quellmalz sur le site de la fédération internationale de judo (contenu en anglais). "C'était inhabituel d'avoir autant de longs combats. La plupart des combattants semblaient méfiants". Cependant, ce n'est pas la première fois qu'une grande compétition est truffée de matchs à rallonge. "Il y en a beaucoup depuis une dizaine d’années", souligne en effet Fabien Canu, ancien DTN et champion du monde de judo. Contacté par franceinfo, il mentionne "une avalanche" de cas aux Jeux olympiques de Londres, en 2012. En cause, selon lui : "un problème d’arbitrage, de règles et de direction de combat".
Koka zéro, yuko zéro : les deux plus bas niveaux d'avantages ont été supprimés respectivement en 2008 (avant Londres) et en 2017 (avant Tokyo). Les judokas ont donc deux options pour l'emporter : un waza-ari (immobilisation de 10 secondes ou chute sur le dos) ou un ippon (immobilisation de 20 secondes ou chute sur le dos après une projection qui réunit force, vitesse et contrôle). L'idée est d'encourager la prise de risque maximale, mais la contrepartie est une possible perte en agressivité. De fait, les combattants sont parfois réticents à lancer des attaques plus abordables, qui ne seront plus récompensées. Il est prudent d'attendre, avant de trouver l'ouverture idéale synonyme de victoire.
"Il faudrait valoriser ces attaques qui font tomber sur la tranche, les épaules ou les fesses. Le ippon et le waza-ari ne suffisent pas."
Fabien Canu, ancien DTN et champion du monde de judoà franceinfo
"Il y a moins de prise de risque lors du temps réglementaire, davantage de gestion", confirme Fabien Canu pour qui au final "les combattants ont tendance à jouer la montre". A ses yeux, la suppression du yuko a même tendance à dévaloriser le waza-ari, lequel, désormais, vient parfois récompenser des attaques moyennes. "Quand je vois ce qui est parfois accepté comme waza-ari, un simple contre avec une faible prise de risque, je me dis qu’il faudrait au moins trois niveaux", plaide ainsi l'ancien DTN français. "Le waza-ari est devenu un fourre-tout", estime également Christophe Gagliano, directeur de l'équipe masculine de judo, pour qui la discipline court le risque de "s'appauvrir techniquement".
Un circuit dense et des adversaires connus
Facteur aggravant, les combats sont passés de cinq à quatre minutes chez les hommes, ce qui limite encore la marge de manœuvre. Fabien Canu évoque aussi les pénalités sanctionnées d'un carton jaune (shido), notamment pour non-combativité. Un judoka est éliminé au troisième. Là encore, le règlement a évolué dans le temps. "Auparavant, une seule pénalité pouvait faire la différence à la fin du temps réglementaire", en cas d'égalité. En toute logique, avec cette épée de Damoclès, les judokas avertis se livraient davantage dans le temps imparti. "L’arbitrage est un équilibre entre attaque et défense. Si on revenait à ces deux choses très simples, il y aurait moins de golden scores."
A Tokyo, plusieurs combats se sont conclus après trois shidos dans le golden score, sur des fautes de l'adversaire. Un scénario quelque peu tristounet, qui frustre les amateurs de la discipline. Enfin, l'introduction d'une prolongation sans limite de temps, en 2013, a tendance à éterniser les rencontres entre des judokas éreintés. La règle compromet également les rencontres suivantes. "Quand vous combattez dix minutes en demi-finale, et qu’il y a derrière la finale, cela va avoir forcément un impact", regrette Fabien Canu. "Là non plus, on ne favorise pas le spectacle, avec des judokas qui peuvent arriver épuisés."
Au fil du temps, les combats sont devenus davantage physiques et tactiques. Surtout, l'effet de surprise tend à disparaître. "Le circuit international est assez dense. Il s'est homogénéisé avec la mondialisation", explique à franceinfo Christophe Gagliano. "Les athlètes se rencontrent assez souvent dans l'année, il y a eu des camps d'entraînement [Olympics training camps, OTC]... Ils se connaissent par cœur." Sans compter le recours accru à la vidéo. "Le tableau n'est pas si énorme et les judokas connaissent les points forts et les points faibles de leurs futurs adversaires." Quatre minutes ne permettent pas toujours de faire la différence, et "cela se joue sur l'aspect mental et énergétique".
"La médiatisation entraîne une simplification"
Certes, les règles du judo peuvent paraître obscures aux profanes et le golden score a son charme, notamment du fait de la tension qu'il engendre. Mais la multiplication de ces périodes additionnelles déclenche également des plaisanteries sur les réseaux sociaux : "Une fois, une finale olympique n'a pas été au golden score : légende ou réalité ?", s'amuse un internaute. "Mais sinon, pourquoi le judo ça commence pas direct en golden score' ?'", s'esclaffe le compte humoristique Fédé de la lose.
Au final, les spécialistes s'interrogent sur l'avenir de la discipline. "La médiatisation du judo entraîne une logique de simplification. Mais la logique sportive consisterait plutôt à valoriser la valeur technique", résume Christophe Gagliano. "Dans notre sport, nous devons distinguer la capacité à réaliser des projections ou à maîtriser l'adversaire, par un travail au sol", ajoute le directeur de l'équipe de France masculine. A son sens, il faut donc redonner un peu de complexité à la discipline, de la variété dans les avantages. En somme, souligne Fabien Canu, "revenir à quelque chose de plus classique et à des valeurs d’arbitrage plus strictes".
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