JO de Paris 2024 : derrière les "grosses têtes" en tribunes, une stratégie pour mettre les supporters français sur la même longueur d'onde
Un mètre de PVC, un poids dérisoire, un liseré blanc pour bien se détacher sur les images des télés du monde entier. Et voilà comment, avec des bouts de ficelles, les supporters français ont conquis le monde entier. De l'avis général, l'ambiance aux Jeux de Paris est exceptionnelle, que ce soit pour une épreuve de tir à l'arc ou pour une soirée de finales de natation. Ce n'est pas uniquement l'effet Que je t'aime, la chanson de Johnny diffusée en version instrumentale dans tous les stades de la capitale. Mais le fruit d'un plan mûrement réfléchi.
L'idée a germé il y a trois ans au sein des équipes de Paris 2024. "Notre plan était simple : que les gens soutiennent l'athlète français avant qu'il ait sa médaille autour du cou", synthétise Paul Cometto, manager 'activation équipe de France' dans le jargon qui prédomine au sein des équipes du Cojo. Car pour un Teddy Riner qui soulève les foules, combien de Français connaissaient la cycliste Pauline Ferrand-Prévôt, la judokate Amandine Buchard ou l'escrimeuse Manon Apithy-Brunet avant le début des Jeux ? Le plan "Allez les Bleus" est né : "notre objectif, c'est d'animer trente tribunes par jour, pendant quinze jours", explique Paul Cometto.
Un plan qui se déroule sans accroc
"On ne savait pas du tout comment allait réagir le public français, réputé attentiste", se remémore-t-il. D'où une préparation quasi militaire. D'un côté, des compétences qu'il faut aller piocher dans les groupes de supporters des sports collectifs, les Irrésistibles Français du foot en tête. De l'autre, quelques moyens : une dizaine de places dévolues aux chauffeurs de salle – ou de stade – pour chaque session, quelques t-shirts, des tambours et les fameuses effigies en plastique.
Sans oublier une montagne de fiches pour que les "leaders d'ambiance" sachent animer chaque discipline, du water-polo au saut d'obstacles. Ainsi, en équitation, la sobriété est de mise : "rester silencieux pendant les performances pour ne pas distraire les cavaliers et les chevaux", "ne pas s'agiter et ne pas faire de gestes brusques". Pour le (petit) côté show, des drapeaux sont aussi distribués à dose homéopathique.
Heureusement, d'autres sports offrent plus de marge de manœuvre. "Je ne connaissais pas grand-chose à l'escrime, reconnaît Joseph Delage, pilier des Irrésistibles Français. Pour moi, c'était un sport propret, feutré. Je suis allé observer le challenge Mazars, en janvier. Et j'ai appris comment animer une tribune." Ce stage d'observation a porté ses fruits. Joseph a allié ses réflexes de "kapo" des tribunes du foot avec le rythme des combats. Le secret, c'est de caler des chants très courts pendant les temps morts, nombreux entre chaque assaut. Et ça marche.
"Le départ canon des Français dans la petite finale du sabre, c'est un peu grâce à nous. On a mis le feu d'entrée."
Joseph Delage, leader d'ambianceà franceinfo
Ils ne sont pourtant que cinq ou dix leaders d'ambiance par session. "C'est un contrat moral entre eux et nous, insiste Paul Cometto, du Cojo. On leur offre la place, et en échange, on attend leur investissement total." Plus que total même, raconte Emma Estrade, tombée dans la marmite du volley-ball depuis sa plus tendre enfance. Ce 30 juillet, en début de soirée, elle croise ses camarades du programme "Allez les Bleus" dans les couloirs de l'Arena Paris Sud, l'air embêté. Ils sont un peu courts en chauffeurs de salle. Emma avait "posé" sa soirée, et acheté de longue date une place idéalement située pour encourager Earvin Ngapeth et consorts. Tant pis. Et sans hésiter. "J'ai abandonné ma place au 5e rang pour aller les aider au 33e. J'étais dos au jeu pratiquement tout le temps. Le match, je l'ai vu en replay." Vous avez dit sacerdoce ?
Pourtant, on peut mesurer le chemin parcouru depuis Rio. En 2016, c'est un Français installé depuis trois ans dans la mégalopole qui organisait de A à Z (et bénévolement) un kop tricolore installé au bord du terrain. Hors des matchs, Sébastien avait renoncé à toute vie sociale. Il avait toujours cinq batteries de téléphone sur lui, une oreille avec l'ambassade de France, l'autre avec les organisateurs, un tableau Excel ouvert en permanence pour gérer les demandes de places qui tombaient toutes les cinq minutes. Sans grande reconnaissance des autorités...
Quelques grincheux résistent encore et toujours
Huit ans plus tard, cette ambiance de folie dans 43 disciplines repose sur un petit millier de personnes (dont sept spécialisées en tir à l'arc, si, si). Dans le foot, on les aurait appelés des capos. "Mais le vocabulaire du foot fait peur à tout le monde, souffle l'un deux. Leader d'ambiance, ça sonne mieux, plus familial. Et ce n'est pas comme si on allait craquer des fumigènes en plein concours d'équitation." Parfois, les leaders d'ambiance peinent aussi à faire lever les foules. "Le pire, c'est le handball, assure Emma Estrade. Bien souvent, les matchs sont couplés dans une double session, et on se retrouve avec une salle qui n'était venue que pour Hongrie-Espagne que je dois chauffer à blanc pour les Bleus. Il est même arrivé qu'on nous demande d'arrêter de nous lever à chaque but."
Dans le genre glacial, on trouve aussi le water-polo, à écouter Joseph Delage. "On était 20 à s'égosiller pour les Françaises, mais les 300 personnes derrière nous n'en avaient absolument rien à faire", sourit l'ambianceur tricolore. Miracle, les Françaises l'emportent contre l'Italie au terme d'une superbe remontada. "Je sors prendre l'air, je tombe sur les joueuses. Louise Guillet me lance : 'C'est grâce à vous qu'on a gagné !' Rien ne m'aurait fait plus plaisir !"
Pas de quoi gâcher l'impression d'ensemble. "On a pensé les animations en fonction des sports", assure Paul Cometto. "Les 'grosses têtes' sont réservées aux sports individuels, cela n'aurait pas de sens d'en faire balader 18 dans les tribunes d'un stade de foot." Des tifos, des banderoles et des surprises sont encore annoncés.
Objectif Los Angeles 2028
Voilà le planning du jeudi 1er août : Joseph Delage est attendu vers midi à Roland-Garros – "journée tranquille, il n'y a plus de Français en lice". Emma Estrade se rend en milieu de journée au handball, et sait lancer le chant qu'il faut quand le public de France-Angola commence à s'assoupir, juste avant la mi-temps. Quant à Franck Parcé, il soigne sa voix à grand renfort de miel, tout en chapeautant les volontaires au BMX, son deuxième boulot bénévole pendant les Jeux. Personne ne compte ses heures, mais personne n'était obligé d'accepter un emploi du temps de ministre, insiste Paul Cometto. "Je vais profiter d'être affecté aux sessions d'athlétisme à 19 heures, en deuxième semaine, pour télétravailler un peu le matin", glisse Joseph Delage.
Ce supportérisme à la française a déjà essaimé au bout d'une semaine de compétition. La preuve dans les travées de l'Arena Paris Sud, lors du huitième de finale du pongiste Félix Lebrun. Tout en haut des gradins, une famille de leaders d'ambiance improvisés. Victor, Romain, Louis, et leur père Nicolas, des Bordelais déguisés en tableau des médailles géant, brandissent une effigie XXL et faite maison du binoclard préféré des Français (au dos, Léon Marchand, faut pas gâcher). "L'ambiance dans les salles de 'ping', ce n'est pas du tout ça d'habitude. On sent que ça a été travaillé, et bien, sourit Victor. Si ça se trouve, un jour, on remplira le Stade de France !"
Et la suite ? L'aventure des leaders d'ambiance et, plus largement, du mouvement des supporters de l'équipe de France, a vocation à se prolonger. "Pour nous, c'est tout sauf un one-shot", veut croire Paul Cometto. Certains parlent d'organiser le match retour du programme "Allez les Bleus" à Los Angeles, en 2028, quand d'autres se chauffent déjà pour les Mondiaux de tennis de table, plus près dans le temps (2026) et géographiquement (Londres). Emma Estrade s'y voit déjà : "Il y a un noyau dur qui s'est formé".
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