Enquête franceinfo JO de Paris 2024 : le casse-tête des autorités pour sécuriser le parcours de la flamme olympique

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le relais de la flamme olympique fera l'objet d'une attention particulière, jusqu'à l'allumage de la vasque en juillet 2024. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

Le revers de la médaille

Trois semaines avant le dévoilement du parcours de la flamme olympique, l'appel à candidatures pour devenir relayeur est lancé ce 1er juin. Un défi sécuritaire qui oblige les autorités à enquêter sur les profils des relayeurs.

En fin de journée, vendredi 23 juin, Michel Pélieu a prévu de convier ses plus proches collaborateurs à "un petit verre de l'amitié". Le président du conseil départemental des Hautes-Pyrénées trinquera "à notre région" dans les étages du siège, à Tarbes. Quelques heures plus tôt, l'élu aura découvert "en même temps que tout le monde" le parcours de la flamme olympique des Jeux de Paris censé passer à travers ses montagnes. Mais aussi tout le travail à abattre jusqu'au jour J : "Je sais le boulot qui nous attend, notamment sur l'aspect sécurité. Mes équipes ont commencé à bosser dessus avec la préfecture, bien avant de connaître les lieux où la flamme allait passer chez nous."

C'est en effet le début d'une autre épreuve pour les autorités, les collectivités locales et les organisateurs : comment sécuriser un relais à ciel ouvert sur une distance équivalente à trois Tours de France (12 000 km), qui traverse plus de 60 départements, et dont le parcours est connu un an à l'avance ? Bertrand Cavallier, général de gendarmerie et expert du maintien de l'ordre, dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : "Quelqu'un qui envisagerait de nuire à l'événement ne peut pas être mieux servi. Vous avez une cible, la flamme, qui est toujours en mouvement." "On s'y attend", rebondit un sponsor. "S'il n'y a pas de débordements pendant ce relais, ce serait quand même un miracle", va jusqu'à parier un commissaire de police basé à Paris. "On sait qu'il y a des gens qui se préparent à éteindre la flamme ou à la malmener. Reste à savoir qui, quand et où."

"On ne pourra pas taper tous les jours"

Dans une note de huit pages envoyée aux préfets fin avril, et que franceinfo s'est procurée, Gérald Darmanin l'a d'ailleurs écrit noir sur blanc. Rappelant "les risques et menaces pesant sur ce type d'événement", le ministre de l'Intérieur demande à tous les hauts fonctionnaires "d'avoir une attention particulière concernant les mouvements de contestations et de revendications susceptibles de faire émerger des actions à forte visibilité médiatique." Autrement dit, les "risques terroristes, [de troubles à l']ordre public ou des mouvements sociaux". "Depuis le début des manifestations contre la réforme des retraites, il est souvent fait référence aux Jeux olympiques de Paris dans les tags", fait observer ce commissaire de police parisien.

Une inscription peinte sur une entrée du RER située sur la place de la Nation (Paris), le 1er mai 2023, à l'occasion de la Fête internationale des travailleurs. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Les associations écologistes se sentent, elles, particulièrement visées par ces appels à la vigilance. A juste titre. Un membre actif de Dernière Rénovation, organisation connue pour ses actions de désobéissance civile spectaculaires destinées à sensibiliser le public à l'urgence climatique, donne déjà rendez-vous aux autorités : "Nous serons là pour la flamme. Parce que symboliquement et médiatiquement, c'est très puissant. Et parce que ce sera une manière de rappeler au monde entier qu'Emmanuel Macron ne fait pas grand-chose pour le climat". "Ce qu'on sait déjà, continue le militant sous couvert d'anonymat, c'est qu'on ne pourra pas taper tous les jours. Donc, on va étudier le parcours avec attention, en privilégiant les endroits urbains où passe la flamme pour capter le plus de caméras et de monde." Tous les activistes que nous avons joints s'expriment à titre individuel.    

En matière de happenings lors de retransmissions sportives, Dernière Rénovation s'y connaît. L'une de ses militantes s'était volontairement enchaînée au filet du court central de Roland-Garros lors de la demi-finale hommes en 2022. Ce sont aussi six de ses membres qui avaient interrompu la 19e étape de la 109e édition du Tour de France, dans le Gers, en se couchant sur la chaussée. 

Une militante pour le climat de Dernière Rénovation s'enchaîne au filet du court central de Roland-Garros (Paris), le 3 juin 2022, lors de la demi-finale hommes. (THOMAS SAMSON / AFP)

Chez Extinction Rébellion aussi, certains rêvent d'accrocher les Jeux à leur tableau de chasse. Un groupe de réflexion "JO" va d'ailleurs voir le jour dans les trois prochains mois. "Jusque-là, les discussions autour de l'événement se faisaient au sein de nos groupes locaux", développe Galy, une jeune militante parisienne à l'origine récemment d'une action organisée devant le siège de la BNP à Paris. "Dans mon groupe, j'ai porté le sujet des Jeux il y a un mois. L'idée, maintenant, c'est de mutualiser les initiatives sur cet événement."  

La menace des militants infiltrés

Parmi les actions sur la table, les activistes envisagent également de se faire recruter parmi les 10 000 relayeurs de la flamme, que le comité d'organisation surnomme les "éclaireurs". Les appels à candidature démarrent le jeudi 1er juin, les prétendants doivent avoir au minimum 15 ans, et il n'est pas obligatoire d'avoir fait carrière dans le sport pour postuler. "J'ai déjà commencé à enjoliver mon CV et à me trouver une belle histoire, dans laquelle je raconte que j'adore les Jeux et la planète", avance un militant pour le climat. "On ne peut pas être mieux placé qu'en étant relayeur", poursuit une membre du collectif Saccage 2024, le mouvement anti-JO de Paris, qui a, elle, postulé sous un faux profil pour devenir bénévole durant les Jeux.

Pour limiter au maximum le scénario du cheval de Troie, les organisateurs devront veiller au moment du dépouillement à repérer les histoires trop peu crédibles. Chaque candidat retenu fera également l'objet d'une enquête, glisse-t-on du côté des organisateurs. "C'est un travail de vérification pour savoir si les gens sont connus ou non des services, s'ils ont des antécédents judiciaires ou sont fichés, par exemple, énumère Bertrand Cavallier. Mais c'est aussi la porte ouverte à tous les nouveaux activistes et à tous ceux qui se sont jamais fait attraper. Leur nom n'apparaîtra nulle part." 

Les associations écologistes ont cet élément bien en tête : "Si on veut avoir une chance d'y arriver, c'est sûr qu'on privilégiera les jeunes militants qui n'ont aucun casier judiciaire. Ceux qui sont connus médiatiquement ou sont actifs sur les réseaux sociaux resteront en retrait", dévoile méthodiquement un autre membre de Dernière Rénovation.

"Si quelqu'un s'était jeté sur la flamme, je n'aurais rien pu faire"

Dans la note envoyée par Gérald Darmanin aux préfets fin avril, on apprend que "quatre villes seront traversées chaque jour", du 8 mai au 26 juillet 2024, par un "convoi principal". Celui-ci "prend la forme d'un relais de course à pied sur un segment de 4 à 5 km avec un changement de porteur tous les 200 mètres". En moyenne, "160 passages de relais" devront être réalisés quotidiennement, entre 8 heures et 19h30. Les voies de circulation devront enfin être privatisées "au minimum 30 minutes avant l'arrivée du convoi et jusqu'au passage du dernier véhicule". 

Pour encadrer le parcours, le ministère de l'Intérieur ne prévoit pas la mise en place d'une police spéciale, comme cela était le cas à Londres en 2012. Priorité aux effectifs locaux, qui connaissent leur territoire "mieux que personne", même si "des moyens nationaux et des polices municipales" pourront venir en renfort, précise le texte.

"Il est nécessaire que la collectivité locale concernée conçoive des dispositifs de sécurité à la fois robustes et proportionnés."

Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur

dans une note adressée aux préfets

C'est que la dernière expérience de relais de la torche olympique en France, avant les JO de Pékin (Chine) en 2008, ravive un mauvais souvenir pour les autorités : des manifestants pro-Tibet avaient perturbé l'événement. "On était clairement en mode dégradé", se remémore David Le Bars, le secrétaire général du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN). "J'ai tenu comme je pouvais avec mes hommes une grande partie du quai de Seine, car les renforts étaient bloqués plus loin, à l'autre bout de la ville. Si quelqu'un s'était jeté sur la flamme, je n'aurais rien pu faire. J'espère que des leçons ont été tirées."

Des policiers tentent de contenir des manifestants pro-Tibet, le 7 avril 2008, lors du passage de la flamme olympique à Paris. (JACQUES DEMARTHON / AFP)

Officiellement, les organisateurs parisiens n'ont pas d'itinéraire bis en tête. Néanmoins, "des ajustements seront possibles sur les détails du parcours selon les contraintes rencontrées", explique-t-on dans les couloirs de Paris 2024. "En ce sens, des itinéraires bis pourraient être définis selon les contraintes locales potentielles." Où ? Quand ? Quels sont les secteurs à risques ? Pas de commentaire. "Paris 2024 travaille main dans la main avec le ministère de l'Intérieur et les différentes préfectures pour anticiper au mieux les risques qui peuvent être rencontrés et en identifier des solutions", élude-t-on du côté des organisateurs.

A douze mois de voir la flamme sur ses terres, Michel Pélieu ne préfère pas encore trop y penser. "C'est certain qu'on va être très exposés", concède le président du Conseil départemental des Hautes-Pyrénées. "Mais pour le dire très poliment, je n'apprécierais pas que le relais de la flamme se passe mal dans mon département. J'aurais du mal à accepter qu'un individu fasse une connerie chez moi…" 

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