JO 2024 : pourquoi la participation d'athlètes hyperandrogènes ou intersexes à des compétitions féminines est contestée par certains

Le cas de la boxeuse algérienne Imane Khelif est le dernier d'une longue série entamée avec la célèbre Caster Semenya.
Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
La boxeuse algérienne Imane Khelif sur le ring en compagnie de son coach  Mohamed Al-Shawa, le 1er août 2024, à Villepinte (Seine-Saint-Denis). (RICHARD PELHAM / GETTY IMAGES)

"Une parodie [de combat] qui ridiculise tous les sports olympiques." C'est le jugement sans appel de la légende du tennis Martina Navratilova, après la victoire expéditive en huitième de finale du tournoi de boxe de l'Algérienne Imane Khelif, accusée sans preuves d'être trop masculine, par des téléspectateurs, ou des figures du gouvernement d'extrême droite italien, comme Giorgia Meloni ou Matteo Salvini, volant au secours de son adversaire, Angela Carini, laquelle s'est excusée dans la presse transalpine pour cette polémique. "Je suis désolée pour mon adversaire, a déclaré la boxeuse italienne. Si le CIO a dit qu'elle pouvait combattre, je respecte cette décision."

Selon sa fiche diffusée par le CIO avant le début du tournoi, Imane Khelif est née avec "troubles du développement sexuel" (DSD en anglais), acronyme qui regroupe des maladies rares congénitales ayant des conséquences sur les chromosomes et les niveaux de testostérone, pour reprendre la formule d'une étude de l'université de Berlin. Le corps d'une personne hyperandrogène affiche ainsi un taux élevé d'hormones masculines, comme la testostérone.

Parmi ces personnes, certaines sont intersexes. Pour reprendre la définition de l'ONU, "les personnes intersexes sont celles dont les caractéristiques physiques ou biologiques, telles que l'anatomie sexuelle, les organes génitaux, le fonctionnement hormonal ou le modèle chromosomique, ne correspondent pas aux définitions classiques de la masculinité et de la féminité. Ces caractéristiques peuvent se manifester à la naissance ou plus tard dans la vie, souvent à la puberté."

Une décennie de controverses

La polémique est née notamment parce qu'Imane Khelif a été écartée des championnats du monde l'an dernier après avoir raté un test dont la Fédération internationale de boxe refuse de préciser la nature. Face à la controverse après l'abandon de l'italienne aux JO, l'IBU s'est d'abord réfugiée derrière le secret médical, avant que son président déclare à l'agence de presse russe Tass que les tests d'ADN qu'a subis en 2023 la boxeuse ont révélé qu'elle avait des chromosomes XY, généralement associés au sexe masculin.

"Dès qu'une femme réalise une performance impressionnante, elle est accusée d'être un homme", remarque Loé Petit, responsable du collectif Intersexe activiste.

"Considérer qu'une femme forte physiquement ne peut pas être une vraie femme, c'est de la misogynie."

Loé Petit, responsable du collectif Intersexe activiste

à l'AFP

Pour Denis Quinqueton, codirecteur de l'Observatoire LGBT+ de la Fondation Jean-Jaurès, il s'agit d'un "faux débat" : ces personnalités "ne sont pas légitimes pour dire quoi que ce soit sur les sportifs, seul le Comité international olympique peut se prononcer".

Le cas d'Imane Khelif rappelle celui de l'athlète sud-africaine hyperandrogène Caster Semenya, empêchée de concourir sur sa distance de prédilection, le 800 m. Celle-ci avait refusé de se plier à des traitements exigés par la fédération internationale d'athlétisme, World Athletics, dont le but est d'abaisser son taux de testostérone. La demi-fondeuse mène depuis de longs mois une bataille juridique pour casser le règlement de l'instance et au-delà : "Ce combat ne me concerne pas seulement, écrivait-elle dans une tribune parue fin 2019 dans le New York Times. Il s'agit de prendre position et de lutter pour la dignité, l'égalité et les droits fondamentaux des femmes dans le sport."

Selon l'association de défense des personnes intersexes InterAct, environ 1,7% de la population mondiale est concernée. Beaucoup ne le savent même pas. Une étude menée en 2014 par des scientifiques anglo-saxons a mis en évidence que le ratio de personnes hyperandrogènes parmi les athlètes de haut niveau était supérieur à cette moyenne mondiale. Rien qu'en athlétisme, le sport où ce débat est le plus vif, on compte six cas de championnes de niveau mondial, en plus de la médiatique Caster Semenya. Notamment la sprinteuse indienne Dutee Chand ou encore Francine Niyonsaba (Burundi) et Margaret Wambui (Kenya), toutes deux médaillées olympiques sur 800 m à Rio en 2016.

Pas de problème pour le CIO

Pour autant, ce taux de testostérone élevé leur confère-t-il un avantage ? Plusieurs études, dont celle menée par World Athletics pour établir son règlement, ont mis en évidence qu'il n'y avait pas forcément de lien de cause à effet entre un taux élevé et des performances canons. Pire, dans certains cas, cela constitue un désavantage entraînant une baisse de la performance. Et, histoire de compliquer le tout, certains athlètes masculins peuvent avoir des taux particulièrement bas et performer tout autant. 

Pour les défenseurs de Caster Semenya et des autres athlètes mises en cause, se joue aussi la question de la légitimité de ces règlements concoctés en Occident et qui s'appliquent à des athlètes venus de pays émergents. La chercheuse indienne Payoshni Mitra, l'une des responsables du Centre pour le sport et les droits humains, a ainsi tweeté après un des succès de Semenya dans son marathon judiciaire (toujours en cours) : "Le monde du sport doit prêter attention à cette décision de référence, de même que les pays d'Europe de l'Ouest où sont basées la plupart des institutions sportives."

Paradoxalement, le Tribunal arbitral du sport (TAS), qui a donné en partie raison en 2019 à Caster Semenya, n'a pas exigé l'abrogation des règlements de World Athletics par une formule alambiquée : "Le comité a estimé que les règles de DSD étaient discriminatoires, mais la majorité des membres du comité ont estimé que, sur la base des preuves présentées par les parties à la procédure, une telle discrimination est un moyen nécessaire, raisonnable et proportionné pour obtenir des résultats satisfaisants." Un argument qui ressemble à s'y méprendre à celui de Sebastian Coe, le grand patron de l'athlétisme mondial : "Les règlements que nous introduisons sont là pour protéger le caractère sacré d'une concurrence loyale et ouverte."

Officiellement, pour le CIO, le cas des athlètes intersexes ne pose pas problème. "De nombreuses femmes peuvent avoir un taux de testostérone égal à celui des hommes, tout en étant des femmes", a réaffirmé le porte-parole du CIO, Mark Adams, le 1er août. La boxeuse algérienne Imane Khelif avait ainsi participé aux Jeux de Tokyo en 2021. Elle avait été éliminée en quarts de finale de sa catégorie sans qu'aucun de ses combats ne fasse la moindre vague.

"Tous les athlètes participant au tournoi de boxe des Jeux de Paris respectent les règles d'éligibilité et d'inscription à la compétition."

Le CIO

Ce qui comprend la présentation d'un certificat médical, mais pas de taux de testostérone limite pour les boxeuses, selon les règles de la compétition.

De son côté, Caster Semenya, qui a aussi obtenu gain de cause devant la Cour européenne des droits de l'homme, ne sera pas présente sur la piste violette du Stade de France durant ces Jeux. Le Comité international olympique délègue en effet à World Athletics le règlement de la compétition d'athlétisme, ce qui n'est pas le cas dans le noble art, dont la Fédération internationale de boxe est en disgrâce auprès du CIO.

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