JO de Paris 2024 : comment le public du Stade de France fait dérailler certains athlètes français

Article rédigé par Anaïs Brosseau - envoyée spéciale au Stade de France
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
La déception de Mélina Robert-Michon après sa 12e place en finale des JO de Paris 2024, le 5 août. (ALEXANDRE MARCHI / L'EST REPUBLICAIN / MAXPPP)
Plusieurs membres de l'équipe de France d'athlétisme ont confié combien ils avaient été perturbés par le soutien bruyant du public, alors qu'il devait constituer un avantage de poids.

"Ce qu'on souhaite, c'est que les athlètes puissent profiter de l'émulation et de l'engouement autour de ces Jeux, et tirer bénéfice du home advantage [avantage d'évoluer à domicile]." Avant l'entame des Jeux olympiques de Paris, Romain Barras, directeur de la haute performance des Bleus de l'athlétisme, plaçait ses espoirs dans le public pour porter ses athlètes vers les sommets. Il se disait confiant dans la capacité des Tricolores à assumer psychologiquement la pression. Or, ce home advantage est en train de se transformer en désavantage. Plusieurs cadres de l'équipe de France se sont en effet épanchés sur la gestion difficile du soutien bruyant du public.

Il y a d'abord eu ce coup de chaud dû à un trop-plein d'émotions de Yann Schrub, vendredi 2 août. En finale du 10 000 m, après un départ très rapide, le vice-champion d'Europe de la distance a été pris d'un malaise, un peu après la mi-course, tandis que son compatriote Jimmy Gressier filait vers le record de France. "Je vous avoue que j'ai été hyper impressionné par le Stade de France, je suis parti en étant très émotif, racontait-il à l'issue de la course. Au bout de 10 tours, je n'étais pas très bien, il y a eu une déconnexion entre le cerveau et les jambes, jusqu'au moment où j'ai eu cette part de lucidité en me disant : 'Tu as une course dans cinq jours [le 5 000 m]'."

Le lendemain matin, c'était au tour de Thibaut Collet d'être tétanisé par le rugissement des 66 500 spectateurs de l'enceinte dionysienne. Bloqué à 5,70 m en qualifications du saut à la perche, le cinquième des derniers Mondiaux restait à quai. "Je me suis fait un peu happer par l'événement, a avoué le perchiste de 25 ans, qui découvrait les JO. Je pensais que ça ne m'atteindrait pas forcément en arrivant comme quatrième performeur mondial [de l'année], mais ça ne veut rien dire... Aujourd'hui, j'ai raté ma compétition. J'ai vécu un enfer."

Le hurdleur Wilfried Happio a raconté le sentiment d'oppression qui l'a saisi : "Les gens veulent juste nous encourager, mais parfois on peut se sentir un peu oppressés dans ce petit couloir que représente une ligne en athlé."

"On ne s'entend pas courir"

Stéphane Diagana, champion du monde du 400 m haies 1997, qui a connu les Mondiaux 2003 – prolifiques pour les Bleus – dans ce même Stade de France, s'étonne du nombre d'athlètes qui souffrent de cette ferveur populaire. "Je me souviens qu'en 2003, c'était la même ambiance. On avait des jeunes athlètes, comme Leslie Djhone, qui avaient été transcendés. On a l'impression que cette génération a quelque chose sur le plan émotionnel qui est très différent", glisse le consultant de France Télévisions, sans trouver d'explications à cette différence. 

"Leur interaction avec le public n'est pas la même qu'en 2003. On dirait que les athlètes débordent d'émotions, qu'ils sont à fleur de peau et peut-être que, pour certains, cela les déstabilise."

Stéphane Diagana, consultant athlétisme pour France Télévisions

à franceinfo: sport

"On ne s'entend pas courir, on ne s’entend pas respirer. Vraiment il faut être au milieu du stade pour le croire, c'est indescriptible. Ça donne de la force. Toute la course, j’avais envie de tracer. Mais il faut se canaliser, être patient. Ce n'est pas du tout une pression négative", estimait de son côté le coureur de 800 m Gabriel Tual, principale chance de médaille française. Si les encouragements ont galvanisé certains, auteurs de performances notables – les qualifications en finale de Clément Ducos et Louise Maraval sur 400 m haies, la quatrième place d'Alice Finot en finale du 3 000 m steeple, la cinquième de Rénelle Lamote sur le 800 m, le record de France d'Agathe Guillemot sur 1 500 m –, ils ont aussi pu pousser certains à la faute.

Trop vite, trop fort

"Anaïs Bourgoin a fait une petite erreur dans son 800 m. Elle s'est fait porter par le public un peu trop fort. Les spectateurs l'ont tellement encouragée qu'elle a démarré son sprint beaucoup trop tôt et elle s'est cramée avant la fin. C'est pour ça qu'elle n'est pas passée en séries", illustre Maryse Ewanjé-Epée, consultante pour France Télévisions. Rapidement, les athlètes se sont passé le mot. Une psychose a-t-elle gagné l'intérieur du collectif ?  

"En revenant à l'Insep, les relayeurs du 4x400 m mixte sont venus nous dire de nous préparer à l'ambiance. J'ai prévu de faire des exercices de respiration."

Alessia Zarbo, engagée sur le 10 000 m

en conférence de presse

    Lors des qualifications du saut en longueur, Hilary Kpatcha a ainsi longtemps sauté avec le frein à main, mardi. "Je me suis fait peur. Je me suis beaucoup méfiée du public. J'ai eu des retours des autres athlètes qui me disaient que les spectateurs te poussent, et ça devient compliqué. J'étais sur la retenue, en fait, j'ai essayé de trouver le juste équilibre, sauf que j'étais beaucoup trop tranquille", a-t-elle justifié en zone mixte.

    Hilary Kpatcha, en qualifications du saut en longueur des JO de Paris, le 6 août 2024. (LI MING / MAXPPP)

    Même constat du côté de la porte-drapeau, Mélina Robert-Michon, passée à côté de sa finale du disque pour ses septièmes JO, lundi, en se réfugiant sûrement un peu trop dans une bulle : "J'ai essayé de me protéger du bruit, de l'ambiance et tout ça. Je pense finalement que je m'en suis trop coupée, je n'ai pas pu me faire porter par ça."

    Des ajustements techniques

    Pour finaliser sa préparation, après sa médaille d'argent européenne mi-juin, Auriana Lazraq-Khlass est allée étrenner son nouveau statut dans de gros meetings, ceux de la Ligue de diamant à Paris et Monaco. "Etre reconnue et attendue, il faut pouvoir le gérer. Le public, peu importe ce que tu fais, sera là. Il faut faire avec. Et ça, je n'avais pas du tout l'habitude", retrace l'heptathlète. Avec ces compétitions supplémentaires, elle a voulu "[se] tester, [se] mettre dans l'ambiance et pouvoir réagir par rapport à ça"

    "Il va falloir une grosse dose d'adaptation, que je prenne beaucoup, beaucoup plus d'élan sur mes sauts, en longueur et à la hauteur."

    Auriana Lazraq-Khlass, vice-championne d'Europe d'heptathlon

    à franceinfo: sport

    Dans les stades, cette émotive a pu constater que le bruit lui "donne beaucoup d'énergie", plus que ce qu'elle aurait imaginé. D'où les nécessaires ajustements techniques prévus, mais que la combinarde n'aura finalement pas mis en place, car totalement "à côté de ses pompes" le premier jour de son heptathlon olympique, jeudi 8 août.

    Tout comme Hilary Kpatcha et Mélina Robert-Michon, Auriana Lazraq-Khlass a cherché à "se protéger" de l'influence du public. "J'étais renfermée, car je ne voulais pas que ça influe sur ma performance. Sauf que moi, je ne suis pas comme ça. Moi, le public, je l'aime. J'aurais dû m'en servir et pas me protéger", regrettait la Tricolore, prête à changer d'état d'esprit pour sa seconde journée de compétition.

    Un premier bain pour goûter l'atmosphère

    Découvrir en amont le Stade de France aura été la consigne passée aux athlètes tricolores, histoire de prendre conscience du volume de décibels produit par les spectateurs. "Ce n'est pas votre nom qu'on va scander. Mais fermez les yeux, imaginez que c'est le vôtre pour vous préparer", conseille Stéphane Diagana, qui reconnaît qu'un tel stade et son niveau sonore peuvent être des données "écrasantes" "Vous vous sentez tout petit quand vous rentrez."

    Recommandation bien reçue par Cyréna Samba-Mayela, rare chance de médaille féminine, sur le 100 m haies. La championne d'Europe en titre de la discipline comptait bien mettre le pied dans le stade avant son entrée en lice. "En général, avoir le soutien de tout le public me pousse. Mais j'ai quand même envie de savoir ce que ça peut donner pour être prête le jour de ma compétition."

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