SÉRIE. Paris 2024 : le carnet de bord des Jeux paralympiques - épisode 1 : le processus de qualification
Quel est le quotidien d'un athlète paralympique ? Comment se prépare-t-on à une échéance comme les Jeux de Paris 2024 ? Est-il possible de faire changer le regard sur le handicap à travers un tel événement ? Ces questions - et bien d'autres - ont conduit la rédaction de franceinfo: sport à proposer un format où la parole reviendrait directement aux sportives et sportifs tricolores qui visent les Jeux paralympiques.
Ce carnet de bord, mensuel, est mis à la disposition de six athlètes officiant dans des disciplines différentes, et confrontés à des problématiques singulières. Pour ce premier épisode, Manon Genest (para athlétisme), Gwendoline Matos (goalball) et Sofyane Mehiaoui (basket fauteuil) évoquent, notamment, la gestion de la qualification pour cette "compétition d'une vie".
Manon Genest • 30 ans • saut en longueur T37 (hémiplégie de l'hémicorps gauche après un accident de la route à 22 ans)
"C'est plus serein pour moi car je suis officiellement qualifiée pour les Jeux"
Cet été, c'était plein d'émotions ! Après ma médaille de bronze aux Mondiaux de para athlétisme à Paris, en juillet, j'ai coupé complètement pendant un mois au niveau du sport. J'avais besoin de me ressourcer avec mon mari et ma fille de 18 mois. On a fait notre voyage de noces avec deux ans de retard, alléluia ! Et là, je suis revenue à l'entraînement depuis septembre. C'est plus serein pour moi car je suis officiellement qualifiée pour les Jeux, j'ai reçu mon certificat des mains du président de la République lors de la journée paralympique début octobre, c'était très émouvant. Du coup, je suis dans un état d'esprit différent par rapport aux athlètes qui sont encore dans une recherche de quotas. C'est un luxe mais cela ne m'empêche pas d'envoyer des bonnes doses à l'entraînement !
Je m'entraîne à Saint-Médard-en-Jalles, en Gironde. Sur un petit stade où je suis toute seule et c'est très bien. Je côtoie des collèges et des lycées, ils m'encouragent autour de la piste, c'est trop mignon ! En parallèle, je continue à travailler en tant que chargée de prévention au ministère des Armées, sans oublier le métier de jeune maman, mon autre boulot à plein temps ! Tout cela, j'arrive à le concilier car j'ai trouvé mon équilibre. Mais chacun a le sien. Des athlètes préfèrent se concentrer juste sur leur carrière à un an des Jeux, moi je n'y arriverais pas. J'ai essayé pour Tokyo et ça ne m'a pas vraiment porté chance.
Depuis que je suis qualifiée, tout le monde me demande : "Alors tu te sens prête ?" Bien sûr que non, à dix mois de l'échéance, pas du tout ! "Tu vises la première place, après ton bronze aux Mondiaux ?" Le jour de la compétition, tout est remis à zéro, donc non. Et il y a aussi la blessure qui peut arriver. Je suis dans un sport qui nécessite de l'explosivité, j'ai déjà 30 ans donc il faut faire attention. Je le rappelle souvent, je serai aux Jeux sous réserve qu'il ne se passe pas quelque chose dans ma préparation. Et en même temps, je comprends les attentes des gens, qui sont plein d'enthousiasme et c'est super. J'ai une préparatrice mentale qui travaille beaucoup avec moi sur la pression, et le fait d'avoir ma famille et le travail, ça me permet de passer à autre chose assez rapidement.
Gwendoline Matos • 29 ans • goalball (maladie génétique rare de la rétine depuis ses 7 ans)
"Il y a du stress au quotidien, on me demande quand je vais jouer alors que je ne suis pas encore sûre d'être sélectionnée"
Il y a bientôt une grosse échéance qui arrive pour nous avec l'équipe de France, ce sont les championnats d'Europe (division 1) au Monténégro durant les deux premières semaines de décembre. Nous sommes arrivées au Creps (Centre de ressources d'expertise et de performance sportive) de Wattignies (Hauts-de-France) il y a quelques jours. Pour l'instant, je suis sélectionnée avec les Bleues jusqu'au 31 décembre, puis il y aura une nouvelle sélection l'année prochaine pour les Jeux, où nous sommes qualifiées d'office. Je croise les doigts pour y être !
Le goalball, c'est l'unique sport féminin collectif qui existe aux Jeux paralympiques. Il y a deux ans maintenant, j'ai commencé à développer mes réseaux sociaux à fond pour faire connaître ma discipline. Comme il n'y a pas d'équivalent aux Jeux olympiques, on part de loin. Ça a pas mal pris, les gens me sollicitent pas mal depuis quelque temps pour des sensibilisations car quand on tape "goalball" sur internet, c'est vrai qu'on tombe assez vite sur moi.
Je travaille en tant que référente handicap au service des sports du département du Doubs, c'est-à-dire que j'accompagne les personnes en situation de handicap afin de les aider à retrouver une activité, un club, etc. J'ai un emploi du temps aménagé en tant que sportive de haut niveau. Je m'entraîne deux fois par semaine avec mon club de Besançon, et j'ai aussi deux entraînements individuels et des séances de musculation à la salle.
Depuis trois ans, je sens que le fait d'avoir les Jeux à la maison a accéléré pas mal de choses. Désormais on a un staff complet en équipe de France avec une analyste vidéo, un kiné, une nutritionniste, un préparateur physique, un préparateur mental... Ça progresse, et en même temps cela ajoute de la pression car Paris 2024, on en entend parler tout le temps. Je pense à la blessure, j'essaie d'être prudente au quotidien... Mais cela ne m'empêche pas de vivre ma vie normalement.
Sofyane Mehiaoui • 40 ans • basket fauteuil (poliomyélite contractée à l'âge d'un an)
"Lors du tournoi de qualification à Antibes, en avril 2024, c'est là que tout va se jouer pour nous"
Ces derniers temps, j'ai fait beaucoup de sensibilisation dans les écoles et les entreprises sur le handicap, le fauteuil, la pratique d'une activité sportive... Quand des athlètes viennent voir les élèves, il y a tout de suite un lien, une proximité qui se crée, on montre qu'on peut être sportif de haut niveau et accessible malgré tout. C'est une forme de communion qu'on espère garder jusqu'à Paris 2024.
Avec l'équipe de France, c'est à Antibes en avril prochain que notre participation aux Jeux va se jouer, lors du tournoi de qualification paralympique. Il y aura huit équipes en lice et il faudra être dans les quatre premières. Je suis déçu que le basket fauteuil ne soit pas qualifié d'office, pour être honnête. C'est beaucoup de sacrifices, moi je fais partie de la sélection nationale depuis 2005. Ne pas être qualifié, oui, c'est un peu difficile, surtout que très souvent, les sports collectifs sont qualifiés d'office. D'un autre côté, au moins, si nous sommes aux Jeux, cela voudra dire qu'on a mérité d'y être, que l'on a su gérer la pression. Il y aura de quoi être fier.
Le basket fauteuil est un sport à part dans le programme paralympique, c'est l'une des premières disciplines à avoir été présenté aux premiers Jeux, à Rome, en 1960. Après la Seconde Guerre mondiale, il y avait cette volonté de proposer aux blessés et aux autres personnes en situation de handicap un sport collectif qui ne nécessite pas beaucoup de matériel. Aujourd'hui, sa pratique est bien développée, il y a différents championnats, des coupes d'Europe... On a un match tous les week-ends, on s'entraîne tout le temps donc on a un suivi et un rythme régulier. Cela nous permet de monter en niveau même s'il y a encore du chemin à faire.
J'ai passé quelques saisons de ma carrière en Italie notamment, et j'avais un statut quasiment professionnel. Quand on est payés pour s'entraîner deux fois par jour, pour jouer des matchs, cela change pas mal de choses. J'étais suivi et la médiatisation était plus forte. Aujourd'hui par exemple, les membres de l'équipe britannique de basket fauteuil sont tous professionnels. En France, c'est plus difficile car il y a beaucoup de joueurs qui travaillent à côté, on ne peut pas leur demander de s'entraîner deux fois par jour, ils ont une vie de famille. Moi j'ai la chance d'avoir des partenaires qui m'accompagnent, ce qui me permet d'avoir de la disponibilité pour mon sport. Mais cela permet de mesurer la différence qui existe encore au haut niveau.
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