Reportage "Le sport casse les barrières" : aux Paralympiques, des adolescents atteints de déficience intellectuelle se prennent aux Jeux

Des adolescents de la Marne atteints de déficience intellectuelle, accompagnés de collégiens, ont assisté jeudi à des épreuves à Paris. L'aboutissement d'une année de travail pour "casser la mauvaise image du handicap" mental.
Article rédigé par Paolo Philippe
France Télévisions
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Temps de lecture : 6min
Bachir, Evan, Tristan et Anastasia dans les tribunes du stade des Invalides, où ils ont assisté jeudi 5 septembre aux épreuves de paratir à l'arc, à Paris. (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

D'un coup, ils bondissent de leur siège. Alors que les caméras de l'Arena Champ-de-Mars filment les spectateurs dans les tribunes avant le début des épreuves de parajudo, jeudi 5 septembre, le réalisateur s'arrête sur Malika, Tristan, Noé et les jeunes de l'Institut médico-éducatif (IME) de Blacy (Marne), assis au onzième rang. Certains crient, appellent leurs éducateurs, quand d'autres tentent, en vain, de sortir leur téléphone pour immortaliser le moment.

Cela faisait plus d'un an que ces adolescents de 12 à 15 ans, atteint d'une déficience intellectuelle, l'attendaient. Depuis qu'un collège voisin près de Vitry-le-François les a contactés pour les associer à leur projet de se rendre à Paris pour les Jeux paralympiques grâce au dispositif "Ma classe aux Jeux", qui permet à des élèves de toute la France d'assister gratuitement à des épreuves. Ce rapprochement a été imaginé pour changer le regard sur le handicap, travailler l'empathie des collégiens, apprendre à vivre ensemble.

Vingenzo et Noé ont assisté pour la première fois à des épreuves de parajudo, jeudi 5 septembre 2024 à Paris. (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

"L'idée, c'est de casser la mauvaise image du handicap [mental] et de montrer que des jeunes en IME sont capables de plein de choses", résume Nicolas Algisi. Cet éducateur au sein de l'institut médico-éducatif s'occupe au quotidien de ces enfants atteints d'une déficience intellectuelle, qui les empêche notamment de suivre un cursus scolaire dit classique. Ce jeudi, la bande de l'IME de Blacy a pris le TGV aux aurores en compagnie des élèves de troisième du collège Pierre-Gilles de Gennes de Frignicourt. Ils ont entre autres assisté aux combats de Sandrine Martinet, médaillée d'argent en - 48 kg dans la catégorie J2 destinée aux judokas malvoyants.

Le handicap de la judokate n'a pas frappé Vingenzo de l'IME, impressionné par ses "roulades" et le raffut de l'Arena à chaque combat de la Française. Pas plus qu'Ethan. "Si on ne m'avait pas dit que les sportifs étaient handicapés et que nous étions aux Jeux paralympiques, je ne l'aurais pas su", assure le collégien au t-shirt rose flashy de l'équipe d'Allemagne de football. Avant le ballon rond, il a fait du judo en club et s'est initié au parajudo lors d'une séance partagée entre le collège et l'Institut médico-éducatif, durant laquelle tous les jeunes avaient les yeux bandés. Cette initiation a été pensée dans le cadre du projet "Ma classe aux Jeux" pour faire découvrir le parasport aux collégiens.

La peur d'être "mis à l'écart"

Sa camarade, Sidoine, a aussi fait la connaissance des jeunes de l'IME et le sport l'a "aidée à mieux comprendre comment ils vivent". "A notre âge, beaucoup de gens jugent et si on est différents, on peut être mis à l'écart", soupire l'adolescente, qui fait partie d'un groupe d'ambassadeurs au collège sur la question du harcèlement. En charge d'une classe adaptée au collège pour des enfants en situation de handicap, Valentin Georget estime que "le sport casse les barrières".

"Les parents ont souvent des préjugés qu'ils véhiculent aux enfants. Quand vous en entendez certains dire : 'Il [ou elle] n'ira pas chez les débiles' à propos de leur fils ou de leur fille..."

Valentin Georget, éducateur au collège Pierre-Gilles de Gennes

à franceinfo

Pour les enfants porteurs d'une déficience intellectuelle, se rendre à Paris, prendre le métro et se confronter à la foule sont déjà des défis en soi. "Certains n'ont jamais pris le train, d'autres n'ont jamais vu la tour Eiffel. Cela fait aussi partie de l'aventure", se réjouit Nicolas Algisi à la sortie des épreuves de judo, alors que plusieurs jeunes se prennent la pose devant l'édifice emblématique de Paris.

En plus des épreuves, les éducateurs ont aussi décidé de faire découvrir aux adolescents la capitale et ses monuments. "Chacun s'imprègne de cette journée à sa manière, synthétise Marion, éducatrice à l'IME. Dans leur parcours, c'est un moyen de les ouvrir vers l'extérieur, de leur faire gagner en autonomie, de les sensibiliser à un environnement, à une actualité."

Les enfants de l'IME ont profité de leur journée à Paris pour découvrir la tour Eiffel. (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

Noé et Evan, les deux frères atteints d'une déficience intellectuelle qui ne connaissaient de Paris que le Parc des Princes et la tour Eiffel, ont ainsi découvert la Seine, le Trocadéro et les bruits incessants de "gyrophares". Sur le magnifique site des Invalides, ils ont aussi assisté aux épreuves de paratir à l'arc, un sport de "fléchettes" qu'ils avaient déjà pratiqué à l'IME.

"Dès qu'il y a de la compétition, ils sont mis de côté"

L'épreuve, bien que sympathique, aura été un peu longue à suivre pour ces fans de ballon rond et de Kylian Mbappé. Si Noé et Evan, comme Bachir qui porte un maillot du Real Madrid floqué à son nom, ont les capacités physiques et psychiques pour pratiquer le football, l'intégration en club ne se passe pas toujours bien.

"Dans les sports collectifs, les jeunes déficients intellectuels jouent avec des enfants qui sont là pour gagner, alors qu'eux veulent simplement s'amuser. Dès qu'il y a de la compétition, ils sont mis de côté. Ils participent aux entraînements, mais pas aux matchs, donc on les oriente plutôt vers des sports individuels", regrette Nicolas Algisi, qui enseigne à certains le parajudo. "Il faut simplement s'adapter : répéter les consignes, passer plus de temps, parfois éviter de leur enseigner des gestes comme les clés de bras qu'ils pourraient reproduire sans se rendre compte de leur dangerosité."

Comme aux Jeux paralympiques, où seuls trois sports sont ouverts aux sportifs atteints de déficience intellectuelle (natation, athlétisme, tennis de table), la pratique du sport adapté peine à se développer en France. Seuls 1 300 clubs existent, selon la Fédération française de sport adapté. A Vitry-le-François, aucun ne peut accueillir les jeunes de l'IME, ce qui les empêche parfois de faire du sport en dehors de leur structure. "Il faudrait déjà former les entraîneurs de clubs au handicap, qui fait encore peur, et investir de l'argent. Cela dépend de l'Etat, des fédérations et de la motivation des gens", estime Nicolas Algisi. En attendant de trouver un jour un club de sport adapté à Vitry-le-François, l'éducateur continuera à donner des cours de judo à Vingenzo, Malika et les autres, revenus de Paris avec des rêves plein la tête.

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