Jeux paralympiques de Paris 2024 : comment les clubs français tentent de rattraper leur retard dans l'inclusion des sportifs handicapés

Article rédigé par Florence Morel
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Sur les quelque 160 000 clubs sportifs en France, seuls 1,4% d'entre eux se disent capables de recevoir une personne présentant un handicap physique ou mental. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
En France, alors que s'ouvrent mercredi les Jeux paralympiques, les personnes en situation de handicap physique ou mental sont contraintes de parcourir en moyenne 50 km pour trouver un club sportif adapté à leur pratique.

Rendre les clubs sportifs accessibles à toutes les personnes en situation de handicap. Telle est l'une des ambitions affichées par le Comité paralympique et sportif français et le ministère des Sports, qui misent pour cela sur la vitrine exceptionnelle des Jeux paralympiques de Paris, qui s'ouvrent mercredi 28 août pour durer jusqu'au 8 septembre. Au total, 4 400 para-athlètes, dont des dizaines de champions tricolores, y sont attendus. Leur point commun : tous ont commencé leur carrière dans des clubs en capacité de les accueillir. Chose que tous les Français présentant un handicap physique ou mental n'ont pas connue. Sur les quelque 160 000 clubs sportifs en France, seul 1,4% se disent capables de recevoir ce type de public. 

Locaux inadaptés, préjugés sur le handicap, manque de moyens financiers et matériels... Les freins sont nombreux à la pratique des parasportifs qui doivent, en moyenne, parcourir 50 km pour trouver une structure adaptée, selon le Club inclusif, l'organisme qui forme les dirigeants des clubs et les collectivités territoriales à recevoir les para-athlètes. "La densité et la qualité des installations sportives sont déterminantes, explique Jean-Pierre Garel, sociologue spécialisé dans l'inclusion des personnes handicapées. Or les infrastructures adaptées sont inégalement réparties sur le territoire. On en compte davantage dans les zones urbaines qu'en périphérie et dans les zones rurales".

Des contraintes qui réduisent considérablement leurs possibilités de pratiquer une activité physique. En 2022, seules 32% des personnes handicapées de plus de 15 ans pratiquaient régulièrement le sport, selon l'Insee (PDF). Cette année-là, les fédérations de sport adapté et handisport ont délivré 82 000 licences, sur les 8,8 millions recensées dans l'ensemble des fédérations.

C'est pourquoi, depuis décembre 2022, le ministère des Sports et le Comité paralympique se sont fixé un objectif : atteindre le nombre de 3 000 clubs inclusifs, c'est-à-dire en capacité d'intégrer des personnes en situation de handicap, d'ici à la fin de la saison 2024-2025. "C'est une première étape", clame Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique, qui aimerait développer l'accessibilité du sport aux para-athlètes sur tout le territoire.

"On a franchi la barre des 1 000 clubs inclusifs et on se projette à 1 500 pour les Jeux paralympiques", se félicite Sylvain Sabatier, membre du Comité paralympique en charge du dispositif. "On a fait une bonne partie du chemin, mais il nous reste encore beaucoup de choses à mettre en place", reconnaît-il. "Cela peut paraître insuffisant, mais il faut bien commencer quelque part, ajoute Dominique Carlac'h, co-autrice d'un rapport du Cese sur le handisport en France (PDF) avec Marie-Amélie Le Fur. Le plus difficile, c'est de se lancer".

Des barrières psychologiques à briser

A travers ses formations – trois jours de cours théoriques et pratiques pour 12 clubs à la fois –, le Club inclusif entend "lever les barrières psychologiques des dirigeants de clubs, des entraîneurs et des élus, détaille Sylvain Sabatier. Bien souvent, les clubs ont peur de ne pas être en capacité d'accueillir des personnes handicapées ou de faire face à des contraintes juridiques. Notre objectif est de casser ces représentations en leur disant que, dans une grande majorité des handicaps, les adaptations sont simples".

Président du club "Marseille tennis de table", Gilles Gontier cherchait des solutions pour mettre une raquette entre les mains de malades de Parkinson. Des joueurs qui requièrent "une attention particulière, notamment pour la récupération des fonctions motrices, impossible à accorder dans des séances de 15 ou 20 personnes". La formation proposée par le Club inclusif lui a permis de transformer l'essai, en rencontrant des personnes du Réseau Parkinson, une association regroupant médecins, paramédicaux et chercheurs sur la maladie, explique-t-il.

Former ces encadrants est "vraiment nécessaire, car un mauvais accueil peut heurter les personnes handicapées", note Thibaud Lefrançois, membre de l'équipe de France de volley assis, présente aux Jeux de Paris. "La difficulté est qu'il y a autant de handicaps que de personnes. Certaines d'entre elles sont nées avec, ou ont un handicap depuis longtemps. D'autres ont encore du mal à l'accepter". Autant de situations qui peuvent mener à "des maladresses" et ainsi compliquer les relations entre la personne qui souhaite se mettre au sport et les autres membres du club. 

Toutefois, cet objectif ne concerne que les clubs, occultant au passage les autres façons de pratiquer une activité physique, comme la marche ou le vélo, en tant que loisir. "Les activités sportives telles qu'elles sont conçues dans les clubs sont essentiellement à caractère compétitif et privilégient les individus les plus performants, explique Jean-Pierre Garel. Or ce modèle va à l'encontre d'une tendance, où les personnes veulent plutôt favoriser le sport bien-être, en pratiquant la balade, la marche ou la danse". Un travers nuancé par Dominique Carlac'h : "De plus en plus de dirigeants ont compris que le sport n'était pas seulement lié à la performance, mais aussi à l'inclusion et à la santé."

Des contraintes matérielles

Une fois ces barrières psychologiques dépassées, les présidents de clubs et les athlètes se heurtent à d'autres difficultés, matérielles cette fois. Comme la recherche de créneaux et d'infrastructures adaptés, notamment pour stocker le matériel nécessaire au parasport, à l'instar "des sports qui se pratiquent en fauteuil roulant", pointe Marc Vérove, représentant régional de l'APF France handicap des Pays de la Loire, lui-même parasportif. "On n'a que 300 m² pour un club qui devrait en avoir 1 000, regrette aussi Gilles Gonthier, du Marseille tennis de table. On a tout le matériel qu'il faut, soit une trentaine de tables, mais notre local ne peut en accueillir que huit"

"Les infrastructures sont accessibles pour voir du sport, mais pas pour en pratiquer. On doit changer de fauteuil pour s'entraîner et pour aller aux vestiaires, car les fauteuils adaptés pour le sport sont plus hauts et ne passent pas toujours aux toilettes."

Marc Vérove, représentant régional de l'APF France handicap

à franceinfo

Pour David Catrycke, qui préside les Volants de Cergy, un club de badminton dans le Val-d'Oise, "le plus difficile a été de trouver des créneaux, car il y a énormément d'activités sportives dans cette ville. C'est le critère le plus important." Un problème rencontré par de nombreux clubs et leurs sportifs, comme Thibaud Lefrançois. Avant d'arriver en équipe de France de volley assis, il ne disposait que de "très peu de créneaux" d'entraînement, ce qui rendait sa progression "compliquée. Petit à petit, le club a mis en place des séances spécifiques avec un entraîneur formé et on a pu augmenter la cadence", se souvient l'athlète. 

Des améliorations depuis l'annonce des Jeux

"L'annonce des Jeux paralympiques a donné un élan, une volonté de projets, enchaîne Ludovic Lemoine, 38 ans, qui pratique l'escrime fauteuil depuis trente ans. On a senti une accélération des moyens mis à notre disposition pour être dans les meilleures conditions pour performer à Paris". "L'objectif d'atteindre 3 000 clubs inclusifs ne peut être que positif", salue Valentin Bertrand, médaille de bronze aux championnats du monde en saut en longueur en 2023

"Quand j'ai commencé l'athlétisme en 2013, nous étions des handicapés qui faisions du sport. Maintenant, on nous voit comme des athlètes qui ont un handicap et ça change tout."

Valentin Bertrand, para-athlète

à franceinfo

Au point que des entraînements mixtes, mélangeant personnes handicapées et non handicapées, sont devenus la norme dans certains clubs. Cécile Demaude, 52 ans, para-escrimeuse depuis dix-neuf ans, a vadrouillé dans trois clubs différents "très sensibilisés et formés à l'escrime fauteuil. J'ai été intégrée avec les valides, qui prennent place face à nous, dans des fauteuils", raconte-t-elle. Cette technique d'entraînement empêche ces escrimeurs valides de fuir leur adversaire avec leurs jambes, leur permettant "de travailler au niveau de la main, du poignet et du bras et d'étoffer leur jeu".

L'élan donné par le Club inclusif va-t-il se poursuivre après le 8 septembre ? Sportifs et dirigeants craignent que les efforts ne se réduisent, une fois la flamme paralympique éteinte. "Ce sont des coups de projecteurs qui ne durent pas. Après les Jeux, tout va s'effondrer", prédit Bénédicte Cremmer, qui dirige la fédération du sport adapté de la Marne. A la tête d'un club et mère d'un nageur trisomique, elle a dû monter sa propre structure. "Souvent, les bonnes volontés se découragent" à cause des "contraintes", regrette-t-elle.

Sans être aussi catégorique, Marie-Amélie Le Fur sait que le "soufflé risque de retomber". Mais elle veut croire que les efforts déployés pendant toute la période des Jeux "perdureront dans le temps". "Les clubs cherchent à renouveler leur modèle économique et [attendent] de nouveaux licenciés", observe enfin Dominique Carlac'h. Et si l'inclusion faisait finalement le larron ?

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