T'choupi découvre un vibromasseur, la souris verte est droguée... Les ratés de l'application YouTube Kids en France
L'application YouTube Kids promet aux parents des contenus adaptés aux tout-petits, mais certaines vidéos inappropriées échappent manifestement à la vigilance de son algorithme.
Si vous avez des enfants en bas âge, vous connaissez sans doute le personnage de T'choupi : un petit garçon aux airs de pingouin, dont les aventures avec son doudou ont été adaptées en dessin animé. Il ne serait pas surprenant qu'ils aient déjà regardé, sur votre tablette ou votre téléphone, certains des nombreux épisodes disponibles sur internet. Peut-être même ont-ils déjà cliqué sur une vidéo intitulée Tchoupi Dab !? (après la publication de cet article, jeudi 16 novembre, la vidéo a été supprimée de YouTube).
Sauf qu'ici, l'ourson de T'choupi ne s'appelle plus Doudou mais Mamadou, qu'il a une érection sous les draps et n'hésite pas à traiter le pingouin de "petite bite". Et quand ce dernier fouille dans un cartable, il ne trouve pas son goûter mais un vibromasseur, qu'il prend pour une brosse à dents électrique et s'empresse d'aller essayer. Comme promis dans le titre, T'choupi exécute aussi un dab sur un morceau de rap français. Une parodie, œuvre d'un internaute anonyme, bien éloignée de l'esprit très policé du scénario original.
Pourtant, franceinfo a découvert cette vidéo en cherchant le nom de T'choupi dans l'application YouTube Kids. Une déclinaison du célèbre site de vidéos, destinée aux enfants et qui fête son premier anniversaire en France jeudi 16 novembre. Elle est censée ne contenir que des contenus adaptés à leur âge. Revendiquant 11 millions d'utilisateurs par semaine dans le monde, elle est l'une des applications pour enfants les plus téléchargées sur iOS et Android.
Une parodie de T'choupi en 12e place des résultats
La vidéo T'choupi dab !? se trouvait, lundi, à la 12e place des résultats, entourée de vidéos postées par la chaîne YouTube officielle du dessin animé. Un référencement qui a pu lui amener de nombreux spectateurs : elle compte 50 000 vues, alors qu'un doublon de cette parodie, mis en ligne par un autre compte et absent de YouTube Kids, en comptabilise moins de 300. Après que franceinfo a averti Google, propriétaire de YouTube, mardi, Tchoupi Dab !? a disparu de YouTube Kids.
Le groupe est d'autant plus réactif que son application pour enfants a été pointée du doigt, début novembre, par plusieurs articles aux Etats-Unis. "Sur YouTube Kids, d'effrayantes vidéos passent à travers les filtres", titre le New York Times (en anglais), qui a recueilli le témoignage de parents choqués. Staci Burns raconte ainsi comment elle a trouvé son fils de 3 ans devant une vidéo où des personnages du dessin animé La Pat' Patrouille étaient brûlés vifs dans un accident de voiture ou sautaient d'un toit après une séance d'hypnose.
"Quelqu'un ou quelque chose utilise YouTube pour effrayer, traumatiser et maltraiter les enfants de manière systématique, automatique et massive", alerte même l'écrivain James Bridle sur le site Medium (en anglais), dans un article qui met au jour l'existence de dizaines de chaînes produisant de manière systématique des contenus étranges et dérangeants. Par la suite, début novembre, les vidéos en question ont disparu de YouTube Kids. Qu'en est-il pour les enfants français ? Sont-ils, eux aussi, exposés à des séquences inadaptées à leur âge ? Oui, constate-t-on en navigant dans les recherches les plus effectuées en français sur l'application.
"Le propos est totalement inadapté pour les plus petits"
Ainsi, certains internautes semblent s'employer à mettre en scène Mickey et Minnie dans des situations très sexualisées. Et leurs productions finissent parfois sur la plateforme. Dans cette vidéo (supprimée par YouTube après la publication de cet article, jeudi), la célèbre souris – dont la tête a été greffée sur un corps humain – arrache par accident la robe de sa petite amie sur une piste de danse, et la reluque en lingerie dans les cabines d'un magasin. Si ce genre de contenus détonnent, ils conservent une audience confidentielle : le plus populaire approche des 8 000 vues, quand les vidéos officielles atteignent parfois des millions.
Cet autre montage, encore plus rudimentaire, laisse perplexe. Trouvé en cherchant des vidéos du dessin animé Masha et Michka (après la publication de cet article, jeudi, il avait disparu de YouTube Kids), il montre Elsa de La Reine des Neiges en train d'empoisonner des chewing-gums (au début de la séquence) ou encore un Minion déguisé en momie terrorisant des jeunes filles (vers 4:30), avec des pleurs de véritables enfants en fond sonore. Dans les menus de l'application, il est illustré par une étrange image de toilettes aux dents de vampires mordant les fesses d'une femme en maillot de bain - image sans aucun rapport avec le contenu de la vidéo.
Les images sont plus déroutantes que choquantes, mais inquiètent toutefois le pédopsychiatre Claude Allard, auteur des Désarrois de l'enfant numérique (Ed. Hermann), à qui l'on a soumis les extraits. "Ce qui est important pour l'enfant, c'est que le héros gagne. Dans cette vidéo, il est effondré et ne sait pas quoi faire", explique-t-il à franceinfo. Il s'inquiète encore plus de la vidéo de Mickey : "Il s'agit d'une problématique sexuée, pour le moins adolescente, et qui est très loin de ce que les petits enfants de moins de 7 ans pourraient comprendre. Le propos est totalement inadapté pour les plus petits."
Ce spécialiste du rapport des enfants aux images s'alarme surtout de l'utilisation de personnage connus des enfants, mais devenus méconnaissables, comme dans la parodie de T'choupi. "Ils vont se demander pourquoi Doudou emploie des termes grossiers, alors que c'est un personnage auquel ils s'identifient", estime-t-il.
Il y a manifestement une volonté de capturer l'enfant et de l'emmener vers quelque chose de négatif. C'est pervers, il n'y a pas d'autres mots.
Claude Allardà franceinfo
Une souris verte "qui fumait de l'herbe"
Et si vous pensez être à l'abri en préférant les comptines pour enfants aux dessins animés, choisissez bien votre version d'Une souris verte : dans l'une des vidéos proposées par YouTube Kids, la souris ne court pas dans l'herbe ; elle la fume (après la publication de cet article, jeudi, la vidéo n'était plus accessible sur l'application). Si les plus jeunes ne risquent pas de comprendre les allusions, ils pourraient bien apprendre les paroles par cœur et demander ce qu'est "un petit joint".
En conséquence, Claude Allard déconseille aux parents de laisser les plus jeunes seuls devant une tablette. A ceux qui découvriraient leurs enfants devant une vidéo qu'ils jugent choquante, il conseille "de leur demander ce qu'ils en pensent. De rassurer, commenter, expliquer, puis de passer à autre chose. L'enfant comprendra".
"L'aiguille dans la botte de foin", assure YouTube
La parodie de la souris verte ou la vidéo T'choupi Dab !? montrent que l'algorithme de Google ne comprend pas toujours le second degré. Pour déterminer quelles vidéos seront accessibles sur YouTube Kids, Google utilise en effet "une combinaison d'apprentissage automatique, d'algorithmes et de signalements par la communauté". Les contenus signalés par les parents comme inappropriés sont examinés par des employés, et peuvent être retirés de l'application. Un porte-parole de Google, joint par franceinfo, explique même qu'il y a "beaucoup de visionnages des vidéos avant et après les signalements". Ce contrôle en amont n'est pourtant mentionné dans aucune des déclarations préalables du groupe.
Quoi qu'il en soit, Google s'inquiète de cette polémique. Il faut dire que son application repose sur la promesse que les parents peuvent laisser leurs enfants devant une tablette, avec l'assurance qu'ils ne consulteront que des vidéos adaptées à leur âge. "Les parents peuvent abandonner leur rôle de 'méchants' pour quelques instants", se félicitait Google lors du lancement de YouTube Kids en France, au sujet d'une option qui permet de fixer un temps maximum de visionnage aux enfants. En novembre, Malik Ducard, en charge des contenus familiaux et éducatifs de YouTube au niveau mondial, a assuré au New York Times que les vidéos découvertes par le journal étaient une "aiguille dans la botte de foin".
L'immense majorité des vidéos postées sur la plateforme ne pose en effet aucun problème, et il est possible de désactiver la fonction recherche, ce qui limite les risques de mauvaises surprises. L'entreprise promet aujourd'hui de "s’intéresser à des contenus qui ressembleraient à des contenus pour la jeunesse mais qui contiendraient des thématiques adultes", qui seront exclus de l'application. "Il n'y en a plus", claironnait le porte-parole de Google France contacté, mardi, par franceinfo. A l'exception de celle de T'choupi, les vidéosque nous avons trouvées étaient, pourtant, toujours accessibles aux enfants sur YouTube Kids jusqu'à la publication de cet article.
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