Réseaux sociaux : trois questions sur les "Pessi", ces trolls apparus sur Twitter qui s'attaquent désormais à LinkedIn

Une députée Renaissance a annoncé, mardi, être victime d'une "vague de harcèlement" initiée par cette communauté habituée aux assauts virtuels sous couvert d'humour potache.
Article rédigé par franceinfo
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Photomontage représentant une armée de "Pessi" utilisant notamment une image détournée du footballeur Lionel Messi. (DOHKISSOU / TWITTER)

Et revoilà les "Pessi". Cette communauté d'internautes, tantôt plaisantins, justiciers ou cyberharceleurs, a contraint la députée Sandrine Le Feur (Renaissance) à désactiver les commentaires sur son compte LinkedIn, mardi 30 janvier. "Depuis deux jours, je suis l'objet d'attaques de faux comptes nommés Pessi", déplore l'élue du Finistère, qui dénonce une "vague de harcèlement" et appelle la plateforme à "réguler le plus rapidement possible ce pullulement". Franceinfo vous aide à comprendre qui sont ces internautes qui ont décidé de faire de LinkedIn leur nouveau terrain de jeu.

1 Comment sont nés les "Pessi" ?

Tout commence en 2020, quand une communauté d'internautes français se forme sur Twitter autour d'un photomontage montrant le footballeur argentin Lionel Messi chauve. Le joueur de Barcelone fait alors l'objet de moqueries pour sa propension à manquer les penalties qu'il tire, d'où le nom de ce nouveau groupe de "trolls" : "Pessi, c'est Messi avec un P pour rappeler tous les penalties qu'il a ratés", affirme un membre de ce groupe informel au Parisien, en 2021. Les "Pessi" des débuts se présentent comme des adolescents ou de jeunes adultes, très souvent masculins, qui s'amusent simplement à détourner des images pour y faire figurer leur Messi chauve dans des situations improbables.

Au fil des mois, de penalty manqué en penalty manqué, la communauté grandit et s'organise autour d'équipes, baptisées "FC" (pour "football club"). Pour gagner en visibilité, les "Pessi" deviennent plus offensifs et se lancent dans des "raids" coordonnés en ligne. Ils ciblent le compte Twitter de personnalités et l'inondent de messages. L'exercice se veut cadré et respectueux, comme en atteste une charte en ligne, selon laquelle "un Pessi qui menace ou insulte une personne est un pessi finito" et "les Pessi doivent respecter la loi française". Les "Pessi" se donnent même pour mission de "combattre la discrimination et les injustices de ce monde".

2 Comment les "raids" se sont-ils aggravés ?

Après de premières actions passées relativement inaperçues, les "Pessi" se retrouvent au cœur d'une première polémique en mars 2021. Un dimanche, un torrent de commentaires, souvent absurdes, se déverse sous une publication de Mila, une adolescente déjà victime de cyberharcèlement pour avoir tenu des propos islamophobes en 2020. Certains "Pessi" respectent leur charte, mais d'autres s'en affranchissent. "Je vois alors des messages par centaines, criblés d'insultes", témoigne la jeune fille auprès du Point. Elle répond à certains assaillants et voit paradoxalement son compte suspendu pour "harcèlement", ce qui fait réagir jusqu'au gouvernement français et contraint Twitter à reconnaître "une erreur".

Dès lors, les "raids" se multiplient, avec parfois des objectifs de milliers de commentaires à atteindre. Identifiées entre chefs d'équipes, "les cibles sont des personnes faisant polémique", explique un "Pessi" au Parisien. "Le but est de parvenir avec l'humour à les décrédibiliser." Sont tour à tour visés l'ambassade de Chine en France, le journaliste sportif Pierre Ménès, le polémiste d'extrême droite Jean Messiha et plusieurs membres du gouvernement : Jean Castex, Marlène Schiappa, Gérald Darmanin... Des victimes doivent restreindre l'accès à leur compte. Des plaintes pour harcèlement et menaces de mort sont déposées. La participation à un "raid" expose les internautes à deux ans de prison.

L'image des "Pessi" s'écorne rapidement. "Notre but n’est pas de nuire à qui que ce soit, mais de 'raisonner' les gens dans leurs propos par l'humour" et de "sensibiliser sur certains sujets", défend l'un d'eux, un lycéen de 15 ans, auprès de Libération, en 2021. Un autre lycéen, âgé de 18 ans, dit promouvoir des "raids bienveillants" pour soutenir massivement des internautes déprimés. Mais des "Pessi" commencent à prendre leurs distances, en dénonçant des attaques contre "des personnes innocentes" ciblées "sans aucune raison". L'un d'eux résume ainsi : "Je pourrais comparer cette situation aux 'gilets jaunes', qui avaient, au fond, une noble cause, mais, au fur et à mesure, des personnes mal intentionnées ont décrédibilisé [le mouvement]."

3 Pourquoi les "Pessi" refont-ils parler d'eux ?

Rapidement disparus des radars médiatiques, mais toujours en vie, les "Pessi" ont resurgi sur le devant de la scène, ces derniers jours, en investissant la plateforme LinkedIn. Le 25 janvier, sur ce réseau de relations professionnelles, l'un d'eux crée un compte au nom de "Pessi Dérurgiste". Suivent des dizaines d'inscrits comme "Pessi Misste", "Pessi Llustrateur" ou encore "Lionel Pessi", qui s'amusent à détourner les codes de LinkedIn, à coups de fausses annonces de recrutement ou de sondages fantaisistes.

Sur ce réseau habitué au premier degré, les "Pessi" sont rapidement plus de 2 000 à rivaliser de second degré, selon 20 Minutes"LinkedIn est un nouveau terrain d'expression pour nous", jubile l'un d'eux auprès du quotidien. "Ça change de Twitter où on perdait un peu notre fraîcheur", reconnaît-il, assurant qu'ils "ne feron[t] pas de mal".

Promesse tenue ? Pas au goût de la députée Sandrine Le Feur. "J'ai la malchance d'avoir le mot 'Feur' dans mon nom, qui se trouve être apparemment leur commentaire de ralliement", écrit-elle sur son compte LinkedIn. L'une des blagues récurrentes des "Pessi", ces Messi chauves, est en effet de répondre "feur" à chaque question "Quoi ?". Lorsque l'un d'eux a découvert l'existence de l'élue, il a appelé ses homologues à l'inonder de "feur" et à "lui vouer une sorte d'admiration""en espérant qu'elle ne le prenne pas mal". Y voyant une entrave au dialogue avec ses abonnés, l'élue a désactivé les commentaires sous ses publications. "Il est urgent d'agir face à cette vague de harcèlement", affirme-t-elle, appelant LinkedIn à défendre la "liberté d'expression sur ce réseau" et "la bienveillance des échanges".

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