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Quitter Facebook, une démarche plus difficile qu'il n'y paraît

Au moment où Facebook est au cœur d'un nouveau scandale, certains de ses utilisateurs ont décidé de sauter le pas et de quitter le réseau social. Mais l'entreprise aux 2 milliards d'abonnés fait tout pour rendre ses utilisateurs dépendants.

Article rédigé par The Conversation
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Le scandale Cambridge Analytica a décidé des utilisateurs de Facebook à quitter le réseau social. (NASIR KACHROO / NURPHOTO)

Et c’est reparti pour une nouvelle controverse sur Facebook, qui viole à nouveau notre vie privée en permettant à d’autres de recueillir nos renseignements personnels. Certes, cette flambée-ci est importante et amène certains à envisager de quitter complètement Facebook. Mais, soyez-en sûrs, l’entreprise et la plupart de ses 2 milliards d’utilisateurs se réconcilieront. La grande majorité d’entre eux retournera sur Facebook, tout comme ils l’ont fait la dernière fois et toutes les autres fois auparavant. Car, comme dans toute relation abusive, les usagers ont développé une dépendance psychologique qui les rend accros – bien qu’ils sachent que sur certains plans, ce n’est pas bon pour eux.

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Des décennies de recherche ont montré que notre relation avec tous les médias, qu’il s’agisse du cinéma, de la télévision ou de la radio, est toujours de nature symbiotique : les gens les apprécient en raison des gratifications qu’ils tirent de leur consommation – évasion, relaxation, illusion d’une compagnie… Plus les gens les utilisent, plus ils recherchent et obtiennent ces gratifications.

Sur les réseaux sociaux, cependant, le consommateur fournit sans cesse des données qui permettent de cibler précisément ce qui le satisfait le plus ; les médias sociaux exploitent les modèles de comportements qu’ils ont repérés afin d’ajuster ses expériences en ligne et de répondre à ses besoins psychologiques particuliers.

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En plus de nous fournir du contenu, Facebook, Twitter, Google – en fait, tous les médias sociaux – nous offrent de nouvelles possibilités d’interaction sur la plateforme qui peuvent satisfaire certaines de nos envies innées.

Les outils interactifs de Facebook offrent en effet des moyens simplifiés de susciter notre curiosité, de diffuser nos pensées, de promouvoir notre image, de maintenir des relations et de satisfaire le désir ardent de validation par les autres. Les médias sociaux s’appuient sur les ressorts de la psychologie pour nous faire cliquer – et en dire toujours davantage sur nous-mêmes.

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Voici pourquoi il est si difficile, en tant qu’utilisateur d’un réseau social, de débrancher la prise une fois pour toutes.

Maintenir vos relations à flot

Plus vous interagissez sur la plateforme, plus vous renforcez vos relations en ligne. Le fait d’appuyer sur le bouton « J’aime », de commenter des photos d’amis, d’envoyer des vœux d’anniversaire et d’identifier (ou « tagger ») d’autres personnes ne sont que quelques-unes des façons dont Facebook vous permet de vous engager dans une forme d’« entretien du lien social ». Tous ces contacts minuscules et éphémères aident les utilisateurs à maintenir des relations avec un grand nombre de personnes avec une relative facilité.

Définir l’image que vous voulez donner

Plus vous révélez de détails sur votre vie, plus vous avez de chances de modeler votre image avec succès. Des études démontrent que cette façon stratégique de se présenter est une caractéristique clé de l’utilisation de Facebook. Les utilisateurs façonnent leur identité en ligne en affichant le concert auquel ils sont allés (et en disant avec qui), les causes qu’ils soutiennent, les rassemblements auxquels ils assistent, etc. De cette façon, vous pouvez devenir le curateur de votre personnalité numérique et gérer les réactions des autres, ce qui serait impossible à faire dans la vie réelle, du moins avec autant de régularité et de précision. En ligne, vous pouvez projeter votre moi idéal.

Espionner, caché derrière les rideaux

Plus vous êtes présents sur les réseaux sociaux, plus vous pouvez épier les autres. Ce type de contrôle social fait partie des gratifications les plus importantes que l’on peut tirer de Facebook. La plupart des gens prennent plaisir à faire des recherches sur les autres via les médias sociaux, souvent en douce. Le besoin psychologique de surveiller notre environnement est profondément enraciné en nous ; c’est lui qui nous pousse à suivre les actualités – et qui nous rend victimes du FOMO (fear of missing out), la peur de manquer quelque chose. Même les personnes âgées soucieuses de leur vie privée, qui détestent révéler trop de choses sur elles-mêmes, utilisent Facebook pour fouiner dans la vie des autres.

Améliorer vos ressources sociales

Plus vous en révélez sur les réseaux sociaux, plus votre valeur nette sociale augmente. Être plus disponible peut vous permettre de trouver un emploi via LinkedIn. Cela peut aussi aider un ancien camarade de classe à vous retrouver et à renouer avec vous. Certaines études montrent qu’une utilisation active de Facebook peut améliorer votre capital social, que vous soyez un étudiant ou une personne âgée désirant nouer des liens avec des membres de sa famille ou raviver des liens avec des amis perdus de vue depuis longtemps. Le fait d’être actif sur les médias sociaux est associé à une augmentation de l’estime de soi et du bien-être subjectif.

Élargir votre tribu

Plus vous cliquez, plus l’effet boule de neige est puissant. Lorsque vous partagez une nouvelle sur les médias sociaux ou exprimez votre approbation au sujet d’un produit ou d’un service, vous contribuez à la création d’un effet boule de neige. Les indicateurs de notation – comme la note de cinq étoiles attribuée à un produit sur Amazon – sont persuasives, en partie parce qu’elles représentent un consensus parmi de nombreuses opinions. C’est ainsi que vous intégrez des communautés en ligne qui se forment autour d’idées, d’événements, de mouvements, d’histoires et de produits – ce qui peut également améliorer votre sentiment d’appartenance.

S’exprimer et obtenir des validations sociales

Plus vous en révélez sur votre vie, plus votre capacité d’influence augmente. Qu’il s’agisse d’un tweet, d’une mise à jour de statut ou d’un billet de blog détaillé, vous pouvez vous exprimer et aider à façonner les discours du moment. Cette forme d’expression peut être très stimulante. Et les indicateurs indiquant l’effet boule de neige qu’entraînent vos messages – tous ces « likes » et ces smileys – peuvent profondément améliorer votre estime de soi en faisant appel à votre besoin psychologique fondamental de validation externe.

Ainsi, par des biais différents, les fonctionnalités des médias sociaux nous fournissent bien trop de gratifications pour que nous puissions facilement y renoncer.

Des algorithmes qui ne vous lâchent jamais

Bien que la plupart des gens soient écœurés par les algorithmes d’extraction de leurs données personnelles, il existe une sorte d’accord tacite selon lequel le partage de données personnelles est un mal nécessaire qui aide à améliorer nos expériences. Les algorithmes qui recueillent vos informations sont aussi ceux qui vous incitent à développer votre vie sociale, en fonction de vos intérêts, comportements et réseaux d’amis. Car sans Facebook, vous ne seriez probablement pas aussi sociable. Facebook est un lubrifiant social majeur à notre époque, grâce aux recommandations d’amis à ajouter à votre cercle et aux notifications lorsqu’un ami a dit ou fait quelque chose qui pourrait vous intéresser.

Pensez au nombre de notifications que Facebook envoie, ne serait-ce qu’à propos des événements. Quand on vous incite à assister à un événement, vous envisagez au moins un instant d’y aller, vous visitez peut-être la page de l’événement, vous indiquez peut-être que vous êtes « intéressé » et parfois même, vous décidez d’assister à l’événement en question. Aucune de ces décisions n’aurait été possible sans avoir d’abord reçu une incitation de la part du réseau social.

Et si Facebook ne vous incitait pas à interagir de la sorte ? Et si les algorithmes ne vous envoyaient jamais de recommandations ou de suggestions ? Seriez-vous aussi actif ? Selon la théorie du nudge, vous seriez beaucoup moins enclin à agir si rien ne vous encourageait à le faire. Si Facebook ne vous poussait pas à assister à des événements, à ajouter des amis à vos contacts, à voir les messages des autres ou à souhaiter joyeux anniversaire aux uns et aux autres, il est peu probable que vous le feriez. Et votre vie sociale s’en ressentirait.

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Facebook le sait très bien. Il suffit d’essayer de supprimer votre compte et vous réaliserez très vite qu’il s’agit en réalité d’un archivage géant de votre mémoire privée et publique. Quand l’une des auteures de cet article a essayé de désactiver son compte, on lui a dit à quel point la perte serait énorme – profil désactivé, souvenirs qui s’évaporent, perte de contact avec plus de 500 amis. En haut de la page se trouvaient les photos de profil de cinq de ses amis, dont l’auteur principal de cet article, avec le commentaire « Vous allez manquer à S. Shyam ».

The ConversationC’est comme vous demander si vous souhaitez sciemment et définitivement couper les liens avec tous vos amis. Franchement, qui voudrait faire une chose pareille ?

S. Shyam Sundar, Distinguished Professor of Communication & Co-Director of the Media Effects Research Laboratory, Pennsylvania State University; Bingjie Liu, Ph.D. Student in Mass Communications, Pennsylvania State University; Carlina DiRusso, Ph.D. Student in Mass Communications, Pennsylvania State University et Michael Krieger, Ph.D. Student in Mass Communications, Pennsylvania State University

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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