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Reportage "On a besoin de stars pour susciter des vocations" : Kesk'IA, un programme d'excellence, détecte les futurs talents de l'intelligence artificielle

Ils ont été sélectionnés sur profil et tests, onze d'entre eux se sont affrontés en finale locale à Trappes, un seul groupe participe aux demi- finales de Kesk'IA pour le titre de meilleur projet d'intelligence artificielle, samedi au salon VivaTech.
Article rédigé par Ariane Schwab
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Les étudiants de Kesk'IA lors de la finale locale à Trappes, le 30 mai 2023. Sakina Faouzi (2e en partant de la gauche) et Ibrahima Diakité, (6e en partant de la gauche). (TCS)

"Une première !, s’est tout de suite enthousiasmé Ibrahima Diakité, 26 ans, en découvrant le programme d’excellence Kesk’IA au travers d’un post sur LinkedIn de Morad Attik, ancien professeur de mathématiques et co-fondateur de la plateforme éducative Evolukid. Kesk’IA propose une compétition amicale entre des étudiants en filières informatiques et digitales originaires de quartiers populaires, autour de la conception de projets d’utilité publique développés grâce à l’intelligence artificielle. Après des finales locales, sept territoires (Trappes, Meaux, Lens, Nantes, Rouen, Grigny, et Marseille) s’affrontent samedi 16 juin au salon VivaTech en demi-finales à Paris. La finale opposera le 23 juin les trois meilleurs prototytpes.

"Cela permet à des jeunes de s'immerger directement dans le monde professionnel, et le plus important, de pouvoir apporter des solutions aux collectivités territoriales, en utilisant l'intelligence artificielle."

Ibrahima, un étudiant du programme Kesk'IA

à franceinfo

"C'est très rare pour un étudiant d'avoir cette possibilité", souligne Ibrahima. Et les opportunités, Ibrahima a l’habitude de les saisir au vol. Après le bac, il a débuté un parcours en finances qu’il a poursuivi aux États-Unis après avoir décroché une bourse en tant que "student-athlete" [étudiant-athlète], à Los Angeles. "Je jouais avec l'équipe universitaire de football et ils payaient ma bourse universitaire", explique-t-il. Pour bénéficier du programme, Ibrahima a dû envoyer des vidéos aux entraîneurs des universités. "Ça a matché, parce qu’on les meilleurs en foot, sourit-il sans malice. Ça nous permet de nous exporter facilement".

Aujourd’hui, diplômé en data science et data ingénieur, Ibrahima a été retenu avec dix autres jeunes pour la compétition locale à Trappes dont il est originaire. Ils ont été répartis entre trois POC choisis par la ville : Predictive cantine, Safer road et C Du Propre. "Un POC, 'proof of concept', c’est prouver qu'un concept fonctionne sans pour autant allouer énormément de ressources et de temps, montrer que ça marche pour pouvoir peut-être faire une levée de fonds et développer le site internet, le logiciel", explique Ibrahima.

Gaspillage alimentaire, sécurité routière, gestion des déchets...

Lui a travaillé sur Predictive Cantine pour lutter contre le gaspillage alimentaire, qui "représente 10 % des émissions de gaz à effet de serre, soit 16 milliards de pertes chaque année en France, un enjeu énorme, souligne-t-il. Sur la ville de Trappes, vous avez une cantine centrale qui cuisine pour 40 cantines, de la maternelle jusqu'au collège. Le gaspillage est dû principalement au taux de satisfaction. Si les enfants n'aiment pas le repas, ils ne mangent pas".  Son équipe s’est donc basée sur des données réelles, "ce qu’il reste dans les assiettes", pour que la cantine centrale évite ces aliments. "Lutter efficacement contre le gaspillage alimentaire, c'est lutter efficacement contre le réchauffement climatique", insiste Ibrahima qui prend le sujet très à cœur.

Predictive Cantine n’a pas remporté la finale locale qui a eu lieu le 30 mai à Trappes. C’est C Du Propre qui a été choisi, un POC destiné à identifier et géolocaliser des déchets pris en photo par les habitants de la ville afin de permettre aux services de la propreté de la mairie d’en optimiser le ramassage. "On enlève le côté traitement humain qui peut être très chronophage d'un point de vue administratif, explique Sakina Faouzi, l’une des étudiantes qui travaille sur le projet. S'il y a des signalements qui reviennent souvent, on va avoir une 'heat map' [carte des points chauds] qui va alerter sur les points de vigilance et rendre plus efficient le trajet des agents. C'est un énorme potentiel d'un point de vue écologique", vante-t-elle avec fierté.  

"L'informatique, je voyais ça comme un domaine inaccessible."

Sakina Faouzi, une étudiante du programme Kesk'IA

à franceinfo

Après un bac ES, un DUT gestion des entreprises et des administrations, et une licence éco-gestion, la jeune femme explique qu’elle ne savait toujours pas ce qu’elle avait envie de faire. Elle a pris une année de césure pour réfléchir, "avoir les pieds un peu plus dans le monde du travail et la tête un peu plus reposée", dit-elle. Assistante en marketing, un collègue lui conseille de s'intéresser à la data. "Il a visé juste", s’amuse Sakina. La rigueur, la satisfaction de trouver des solutions, maîtriser des outils qui ne sont pas accessibles à tous, apprendre un nouveau langage, "une langue à part", les opportunités professionnelles très ouvertes... Le combo séduit Sakina qui finalise aujourd’hui un master 2 Data-Management en école de commerce et est, à côté, en alternance en tant que data analyst dans une entité du groupe Saint-Gobain.

Elle aussi a découvert Kesk’IA via un post de Morad Attik, directeur du projet. Son groupe de travail comportait notamment une maman de 38 ans, ingénieure en statistiques retournée aux études, et deux juniors Omar, 16 ans et Lokmane, 18 ans, des "pépites" qui n’avaient rien à envier en compétences à leurs aînés, explique Sakina. "C'était super agréable, il y avait une très bonne ambiance. On a beaucoup travaillé mais beaucoup rigolé aussi", relate l’étudiante.

Les lauréats de la finale locale de Kesk'IA à Trappes. (TCS)

"Beaucoup travaillé" est un euphémisme mais ni Ibrahima, ni Sakina, ni les neuf autres sélectionnés n’ont reculé devant la charge de travail. "Hebdomadairement, on était peut être aux alentours de 20 heures, à partir du mois de février, jusqu'à fin mai. On faisait nos études à côté, on se réunissait les samedis. Mais c'était intéressant, donc on ne compte pas", sourit Ibrahima. "Ça n’a pas été facile, entre l’alternance, l’école, la vie privée, confie Sakina. Je suis dans une période intense entre les partiels, le rendu de mon mémoire de recherche… Mais je me suis dit, si je ne le fais pas maintenant, ça sera beaucoup plus difficile de le faire plus tard".

Une grande entreprise comme mentor

Les étudiants n’ont cependant pas été lâchés seuls. "Cette initiative montée par la startup Evolukid, nous a plu parce que ça correspond à notre vision de l'innovation pour faire avancer des sujets importants au sein d’un écosystème", explique Grégoire du Peloux, directeur de l’innovation chez Tata Consultancy Service (TCS) qui s'est associé au programme sur Trappes. La société a fourni huit mentors seniorspour encadrer les trois groupes. Après une formation initiale à l’IA sous forme de bootcamp (un camp d’entraînement qui a duré une semaine, 7 heures par jour), ils ont suivi les étudiants pour les aider à prendre du recul, à se poser les bonnes questions à quoi ça va servir, à savoir qui il faut aller interviewer pour comprendre quels sont les problèmes, où et comment chercher les données nécessaires… Pour C Du Propre, "entraîner les algorithmes sur des bases de photos pour leur apprendre à reconnaître des choses aussi simples qu'un sac poubelle vert, bleu, jaune, en fonction des villes, ça peut avoir une signification différente, etc.", donne en exemple Grégoire du Peloux.

Aider la collectivité à mieux faire pour mieux préserver la planète n’est pas le seul objectif du projet, bien évidemment. "Il est aussi de susciter des vocations par l'exemple, explique le responsable. Ça part d'un parallèle qui est que, dans la banlieue, les stars, par exemple, à Trappes, c'est Jamel Debbouze et Nicolas Anelka. Ça peut être des stars du showbiz, de la télé, des joueurs de foot, des rappeurs connus".

"Si c'est le seul élément d'identification des jeunes, c'est un peu limité parce qu'évidemment, tout le monde n'est pas appelé à devenir un grand joueur de foot ou un grand rappeur."

Grégoire du Peloux, chef de l'innovation chez TCS 

à franceinfo

"Donc on a besoin de stars aussi dans l’intelligence artificielle pour susciter des vocations", conclut Grégoire du Peloux. Ibrahima a des parents diplômés, Sakina non. Omar a tout juste 16 ans mais est déjà en 1e année de licence mathématiques/informatique. L’idée est de "montrer que quand on habite dans ces quartiers, on peut réussir et on peut devenir une star et aller travailler dans des grandes entreprises", plaide-t-il.  

Même s’il n’est pas finaliste, Ibrahima est ravi de l’expérience Kesk'IA : "Ça ouvre des perspectives de savoir ce qui est faisable réellement avec l'intelligence artificielle, parce que quand on est en étudiant, on est dans un cursus assez théorique". Il soutiendra bien entendu ses ex-concurrents samedi et poursuit tranquillement ses entretiens pour choisir l’entreprise dans laquelle il souhaite s’engager. "Ce qui l'emportera, ce sera le choix du domaine, la possibilité de monter en compétence et le cadre, ce qu'on va proposer concrètement aux salariés", met-il en avant. Il a déjà reçu plusieurs propositions. Sakina, elle, se concentrera sur sa recherche d’emploi à la rentrée. Pour l’heure, elle est focalisée sur les demi-finales de samedi "qu’on va gagner", assure-t-elle. Elle est également prête à s’engager dans le réseau que la ville de Trappes espère mettre en place à la suite de cette première édition de Kesk’IA. "On serait les premiers ambassadeurs. L'idée, c'est d'échanger avec les plus jeunes, de leur faire connaître ce domaine et leur montrer que c'est possible", développe-t-elle.

NB : les étudiants de Trappes ont décroché leur ticket pour la finale du 23 juin.

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