: Reportage "C'est un peu le village des Schtroumpfs" : quand les Antoine de France se rassemblent dans un groupe Facebook
Quand on s'appelle Théo, on ne rentre pas si simplement dans un groupe composé de près de 10 000 Antoine. Il faut obtenir un visa touristique temporaire pour pouvoir explorer cet étrange endroit où l'on s'appelle par son nom de famille. Il faut dire que tout le monde a le même prénom. C'est même le concept de ce "Neurchi d'Antoine".
Créé en 2019 par Antoine Paulet, c'était à l'époque une simple blague entre amis, un "Neurchi" de plus dans la galaxie de ces groupes Facebook destiné à partager des "mèmes", ces images virales et humoristiques très populaires. Mais "ça a vite dérapé", concède le fondateur du "Neurchi d'Antoine", dont le groupe a très rapidement pris de l'ampleur.
Alors, "on a essayé de définir ce que c'était un Antoine, parce qu'on avait des Charles-Antoine, des Antonin, des Anthony, des Antoinette, des Antonio..., raconte-t-il. On a commencé à faire des votes très démocratiquement. Et les résultats ont été assez peu tolérants. On a tranché pour ne garder que les Antoinette et les Antoine."
Il faut dire que ce ne sont pas les Antoine qui manquent en France. D'après l'Insee, c'est même le 37e prénom le plus donné aux petits Français depuis 1900. Au total, 280 865 sont nés depuis le début du 20e siècle, dont plus de la moitié sont nés après 1980. C'est en 1996 que le plus d'Antoine sont nés. C'est alors le sixième prénom le plus attribué, avec 6 749 naissances.
Un logo, un drapeau et Tinder
Aujourd'hui, ils sont donc quasiment 10 000 sur ce groupe, dont une "cinquantaine d'Antoinette", estime Antoine Penhard, l'un des principaux administrateurs de la communauté, et de nouvelles demandes continuent d'arriver chaque semaine. Et la blague entre potes a définitivement changé d'échelle : la République Antoiniste dispose désormais d'un logo officiel - dessiné par un Antoine -, et matérialisé par des goodies - faits par d'autres Antoine -, un hymne, et même d'un drapeau fabriqué par... Antoine Doublet, le fabricant officiel des drapeaux du palais de l'Élysée.
En quatre ans, c'est toute une culture "antoiniste" qui s'est développée. Et comme toute culture, ils ont leurs héros, ou plutôt leur héroïne : Clarisse. "C'est elle qui a fait la plus grosse promotion de notre groupe", raconte Antoine Penhard. Séduite par l'idée, la jeune fille a décidé de matcher avec tous les Antoine qu'elle croisait sur l'appli de rencontres Tinder pour leur parler du groupe. "Elle a ramené des centaines de personnes sur le groupe via Tinder", se marre le modérateur, alors que le fondateur du groupe ajoute avec malice : "Maintenant, elle est en couple avec un Antoine".
À côté de Clarisse, il y a les modèles de tous ces Antoine. Ils s'appellent Dupont - le rugbyman ne peut pas ignorer que le groupe existe, à chaque victoire, sa page est inondée de commentaires d'Antoine -, sans oublier les Griezmann et De Caunes - "il a dit que ça le faisait flipper, que ça ressemblait à une secte et qu'il ne voulait pas y mettre les pieds", se marre Antoine Penhard.
Antoine Bataillard aussi. Le jeune homme a entrepris en 2021 une folle aventure : un Tour de France des Antoine. "Je devais partir un mois à l'étranger, mais le Covid m'en a empêché, se souvient-il. J'avais parlé du groupe à ma mère. Je devais aller seulement chez un Antoine, et comme j'avais un mois, elle m'a dit 'Tu n'as qu'à aller tous les voir'. Et je me suis dit que c'était une super idée. J'ai proposé l'idée sur le groupe, en disant que je voulais passer par telle ville ou telle ville et demandant qui était chaud de m'héberger. Je n'ai eu que des oui."
"J'ai pris les premiers volontaires. J'ai emmené ma voiture faire son contrôle technique et je me suis cassé deux jours plus tard avec presque rien, quelques affaires et une tente au cas où ça tourne mal. La tente ne m'a pas servi."
Antoine Bataillard, qui a réalisé un Tour de France des Antoineà franceinfo
"J'ai rencontré une quarantaine d'Antoine pendant mon périple. C'étaient des moments d'échanges, des moments de partage exceptionnels", salue l'étudiant de 22 ans, qui confie "l'envie de pouvoir faire un autre tour de France, en passant par d'autres villes".
Une communauté pour s'entraider
Mais loin des délires loufoques, autre chose se joue sur ce groupe, qu'il faut absolument dénouer pour comprendre à quel point la blague originelle a évolué. Car en faisant défiler les différentes publications, on découvre tour à tour un Antoine qui cherche un stage, d'autres qui galèrent à trouver un appartement, d'autres encore qui partagent leur travail, leurs créations, dans une bienveillance qui rendrait jaloux qui a déjà essayé de modérer une page sur un réseau social. "Il y a toujours énormément d'Antoine qui répondent présents pour aider d'autres Antoine qu'ils ne connaissent même pas, simplement parce qu'ils partagent le même prénom. Il y a une solidarité naturelle qui s'est mise en place au fil des années et c'est ça qui fait notre force", souligne, toujours émerveillé par la chose, Antoine Penhard.
Ils lancent parfois des 'raids', une opération coordonnée pour donner à un post relatif à un Antoine un boost de visibilité. Le dernier en date ? La publication de la mère d'un Antoine, souffrant d'autisme, qui cherchait une place pour son fils dans un établissement spécialisé. Sans oublier les collectes de fonds qui sont parfois organisées. La plus importante a réuni 2 500 euros pour le Secours populaire en 2021. "Entre juste une personne qui demande une calculatrice pour pouvoir passer un examen, un qui demande de l'aide pour déménager quatre meubles entre deux rues ou celui qui dit 'j'ai perdu mes clés, vous pouvez m'aider ?', c'est incroyable, abonde un autre Antoine, Pichlak de son nom de famille. Tous ces événements créent des souvenirs qui sont même mémorables."
"C'est juste énorme d'avoir une sorte d'autre famille à côté sur laquelle tu pourras toujours compter."
Antoine Pichlak, l'un des près de 10 000 membres de Neurchi d'Antoineà franceinfo
"Mon appartement a été vidé en une demi-heure", se souvient Antoine - un autre - que devait déménager de Bordeaux à Paris rapidement. Lui, qui se définit comme un "introverti, remercie ce groupe, grâce auquel il s'est fait de nombreux amis dans les deux villes. Une fonction sociale que reconnaît bien volontiers le modérateur, Antoine Penhard, qui passe beaucoup de temps à gérer le groupe et admet que son cercle d'amis "est de plus en plus limité au prénom Antoine". Et le fondateur abonde : "Normalement, t'as peut-être un ou deux amis qui portent ton prénom au maximum. Effectivement, en comparaison, je peux facilement citer peut-être 200 Antoine avec leur nom de famille", s'amuse Antoine Paulet. "Il y a même des couples qui se sont formés sur le groupe !"
"Le village des Schtroumpfs"
Il faudrait d'autres articles pour raconter toutes les anecdotes glanées ça et là, auprès d'Antoine toujours prêts à défendre leur "Saint-Prénom", des 'Karao-toine' à cet Antoine, gérant d'une crêperie et qui "boit un shooter avec tous les Antoine qui viennent", des guerres contre un groupe de Pierre aux 'bières antoinistes' fabriquées par un brasseur - qui s'appelle forcément Antoine. Arrêtons-nous sur une dernière tradition : les Antoinade, des soirées uniquement entre Antoine.
"C'est quand même assez bizarre parce que normalement, quand tu vas dans une soirée, ou tu te retrouves avec des potes, ou alors ce sont des gens que tu ne connais pas, mais c'est souvent autour d'un centre d'intérêt. Là, le contexte est vraiment singulier, c'est hyper bizarre et hyper marrant", raconte un énième Antoine. Et son colocataire - Antoine évidemment - d'ajouter : "Tout le monde fait des trucs différents dans la vie, donc c'est très sympa. C'est un peu le village des Schtroumpfs." Un village qui se réunira de nouveau à Nantes, le 2 septembre, pour une nouvelle Antoinade, la "Nantoinade". Et Antoine Penhard d'assumer un objectif : "En faire la plus grande Antoinade de l'Histoire".
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