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Ministres privés de smartphones : "On sait depuis longtemps qu'il y a des failles de sécurité"

Jean-Marc Ayrault a demandé à ses ministres d'abandonner leurs smartphones pour communiquer des informations sensibles, par mesure de sécurité. Le décryptage d'Alain Juillet, président de l'Académie de l'intelligence économique.

Article rédigé par Hervé Brusini - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, montre son téléphone portable alors qu'il quitte l'Elysée, le 11 septembre 2013 à Paris. (PATRICK KOVARIK / AFP)

"Gare à vous si vous utilisez vos smartphones pour parler de secrets d'Etat !", dit en substance une note de Jean-Marc Ayrault adressée à ses ministres et révélée par L'Express, mardi 10 septembre. Le Premier ministre demande aux membres du gouvernement de renoncer à leurs smartphones et tablettes pour leurs conversations "sensibles". Alain Juillet, ancien des services secrets et président de l'Académie de l'intelligence économique, connaît particulièrement la question. Il réagit pour francetv info.

Francetv info : Que pensez-vous de ce recadrage du Premier ministre ?

Alain Juillet : Très franchement, cette recommandation me fait sourire. On m'a traité de paranoïaque alors que je disais la même chose il y a huit ans. J’étais ce qu’on appelait le "haut responsable pour l'intelligence économique" auprès du Premier ministre d'alors, Dominique de Villepin.

Nous avions reçu une étude qui nous alertait sur le fait que le Blackberry pouvait être très facilement intercepté. Or tous les ministres et les hauts fonctionnaires étaient équipés avec ce téléphone. A l’époque, il était perçu comme le nec plus ultra en matière de mobile, avec la possibilité, par exemple, de recevoir des pièces jointes. L'appareil montrait en fait de véritables failles – des backdoors voulues ou pas –  qui le rendaient presque transparent à l’usage. En tout cas, nous savions que pour les services secrets américains ou britanniques, c’était un jeu d’enfant.

Quand j'ai exposé tout ça, on m'a dit que je rêvais, et que nous n'étions pas dans un film d'anticipation. Pourtant, quelques années plus tard, devant les conseils appuyés de la NSA, le tout nouveau président américain Obama renonçait à se servir de son Blackberry. C’était bien la preuve qu’il y avait un problème. Depuis, il y a eu l'affaire Snowden, d'où la prise de conscience actuelle que tout peut être potentiellement écouté.

Alors comment doit-on se prémunir de cette capacité d'intrusion ?

Il y a trois solutions : soit on arrête de parler au téléphone des sujets sensibles, voire secrets. Mais cela reste difficile à mettre en œuvre. Autre solution : utiliser des téléphones cryptés. Ces appareils ne sont pas forcément volumineux, on peut avoir un mobile classique et le crypter en lui ajoutant une "couche" de chiffrage. Des sociétés font ce travail pour l’Etat comme pour le privé.

Enfin, et c'est ce qui a été retenu par le gouvernement actuel, il est possible de n'employer que des appareils agréés par les pouvoirs publics. Pour ces téléphones-là, les désagréments d'utilisation sont relatifs, juste un temps de retard dans les échanges entre personnes.

Cette prise de conscience peut sembler tardive...  

Tout à fait. Mais au plus haut niveau de l'Etat, on montrait parfois une incroyable légèreté sur ce sujet. On se souvient des images où l'on voit Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy l'oreille vissée au portable. Un téléphone non crypté et parfaitement "écoutable" par des pros de l'interception. En fait, ce sont les grands groupes industriels qui, les premiers, ont équipé leurs collaborateurs de dispositifs téléphoniques cryptés, surtout pour les négociateurs qui discutent d’importants marchés de par le monde. Là, si vous êtes écouté, la sanction est immédiate : vous ratez le marché.

 

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