Cet article date de plus de deux ans.

Avec l’arrêt d’Internet Explorer, Microsoft met définitivement fin à un symbole du numérique

La firme américaine arrête mercredi son navigateur historique, qui a dominé le marché pendant de nombreuses années. Même s’il était tombé progressivement en désuétude, il reste un symbole et un marqueur important pour des utilisateurs et l’histoire du numérique.

Article rédigé par Clémentine Vergnaud
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Capture d'écran du site de Microsoft annonçant l'arrêt d'Internet Explorer, affiché sur ce même navigateur, le 19 mai 2022.  (CAPTURE D'ECRAN INTERNET EXPLORER)

"Nous annonçons que le futur d’Internet Explorer sur Windows 10 est Microsoft Edge." C’est par ces mots que Microsoft avait annoncé le 19 mai 2021 la fin de son navigateur historique. Une annonce qui devient réalité le 15 juin 2022 puisque le support technique d’Internet Explorer est supprimé sous Windows 10, de manière progressive. En août 2021, déjà, c’est Microsoft 365 qui avait arrêté de prendre en charge le navigateur, progressivement délaissé par l’entreprise.

Pour autant, les rares utilisateurs restants d’Internet Explorer peuvent se rassurer : Edge, l’autre navigateur de Microsoft lancé en 2015, prendra le relais. "Microsoft Edge a un mode Internet Explorer intégré", assurait la firme américaine sur son blog au moment de l’annonce de l’arrêt du navigateur. Une adaptation rendue nécessaire par la structuration de bon nombre de logiciels et applicatifs d’entreprise : "De nombreuses organisations ont un nombre étonnamment élevé de sites web fondés sur l’ancienne technologie", expliquait à l’époque Microsoft, qui a dénombré "en moyenne 1 678 applications d’ancienne génération" dans les entreprises.

Ces sites et applications pourront donc continuer à fonctionner dans Edge via le mode Internet Explorer jusqu’en 2029, selon Microsoft. "Attention, le mode de compatibilité d’Edge ne résout pas tous les problèmes", prévient cependant Éric Le Bourlout, rédacteur en chef du site 01net, site spécialisé dans le monde numérique. Certains éléments comme le langage Javascript ou le plug-in Silverlight sont, par exemple, concernés, d’après lui.

Moins de 1% des internautes l'utilisaient

"C’est une page qui se tourne. Cela fait partie des grandes étapes du web", analyse le journaliste spécialiste du numérique Jérôme Colombain, qui compare cela à l'arrêt de certains programmes phares de Microsoft, comme Windows 98. "C’est la fin d’une époque et d’un des symboles de l’explosion d’internet", confirme Benjamin Vincent, journaliste spécialiste des nouvelles technologies et auteur de la chronique Nouveau monde sur franceinfo.

Mais si le 15 juin est le jour officiel de l’arrêt d’Internet Explorer, "ça ne change pas grand-chose puisque le navigateur n’était déjà plus utilisé et remplacé par Edge", souligne Jérôme Colombain, qui est également producteur du podcast Monde numérique. En effet, si l’on regarde les chiffres proposés par le site Statcounter, en avril 2022 seules 0,39% des entrées sur le web se faisaient à partir d’Internet Explorer contre 64,34% pour Chrome, le navigateur du géant Google. "Il n’y a plus vraiment d’internautes lambda qui utilisent encore Internet Explorer car le web actuel n’est plus vraiment compatible avec ces technologies", décrit Éric Le Bourlout. Selon le journaliste, seules "des utilisations pointues" de certains logiciels ou applicatifs peuvent amener les internautes à continuer à ouvrir Internet Explorer.

Source: StatCounter Global Stats - Browser Market Share

Il faut dire que le navigateur et son créateur, Microsoft, ont, petit à petit, dissuadé les utilisateurs de s’en servir. "Microsoft l’a abandonné depuis longtemps", affirme ainsi Éric Le Bourlout. "Il était dépassé techniquement et sur le plan de la sécurité car il n’était plus mis à jour." Selon lui, "Microsoft n’a pas suivi les avancées technologiques et s’est contentée du strict minimum, passant ainsi complètement à côté de certaines étapes majeures du web". Même constat du côté de Benjamin Vincent, qui pointe le virage raté du smartphone.

"Le lancement de l’iPhone puis des smartphones coïncide avec le déclin d’Internet Explorer. Cela me fait penser à l’erreur des maisons de disque qui n’ont pas vu venir l’arrivée du MP3."

Benjamin Vincent, journaliste spécialiste des nouvelles technologies

à franceinfo

Microsoft s’est ainsi laissé distancée et "a mis beaucoup de temps avant de réagir à tout ça", déplore Éric Le Bourlout. Et n’a donc pas lésiné en 2015, une fois le constat établi : exit Internet Explorer, bonjour Edge. Dès son lancement, le nouveau navigateur a eu vocation à remplacer son ancêtre pour repartir sur de nouvelles bases. Mais il peine pour l’instant à convaincre, avec seulement 4,05% des utilisateurs au mois d’avril 2022. Cette fin officielle d’Internet Explorer n’en reste pas moins "un échec" pour Éric Le Bourlout. Benjamin Vincent confirme : "Microsoft a raté l’occasion de garder le leadership."

Une "madeleine de Proust"

Si Internet Explorer est donc relégué dans le fond des tiroirs depuis plusieurs années, pourquoi sa fin nous paraît-elle donc aussi symbolique ? "C’était l’exemple de la toute-puissance de Microsoft sur Internet, analyse Jérôme Colombain. Ils dominaient". Et pour cause : après avoir délaissé Internet par manque de conviction sur son intérêt, Bill Gates a permis à son entreprise de faire une entrée fracassante dans le domaine avec le lancement d’Internet Explorer en 1995.

"La norme c’était Internet Explorer. C’était le truc passe-partout qui évoluait et fonctionnait partout."

Jérôme Colombain, journaliste et producteur du podcast "Monde numérique"

à franceinfo

C’était aussi un passage obligé lors de l’installation de la suite Windows, Microsoft obligeant les utilisateurs à choisir son navigateur. La pratique a d’ailleurs valu à l’entreprise des poursuites judiciaires aux États-Unis et une amende en Europe pour pratique anti-concurrentielle. Mais le résultat était là : "À son apogée, en 2004, il est monté à 95% de parts de marché", soulignent ainsi Les Échos. En janvier 2009, le navigateur cumulait encore 64,97% des entrées sur le net là où Google Chrome, l’actuel leader, n’en affichait que 1,37%.

Tout ceci a contribué à faire d’Internet Explorer un mythe de l’internet. "L’attachement est générationnel et affectif", affirme Jérôme Colombain. "Beaucoup de gens ont découvert le web avec lui", abonde Éric Le Bourlout. Pour Benjamin Vincent, le navigateur "a un petit côté madeleine de Proust ! Les plus de 25 ans ont forcément surfé à un moment grâce à Internet Explorer. On tourne la page d’un logo et d’un nom qui nous ont accompagnés pendant plus de vingt ans." 

Détourné dans un compte Twitter

Le symbole est tel que certains ont repris le nom du navigateur pour le tourner en dérision. Ainsi, le compte Twitter @intrnetexp s’amuse en s’appuyant sur l’actualité pour faire remonter de vieilles informations. "C’est une icône ! Tout le monde connaît Internet Explorer, même ceux qui ne sont pas très branchés par le numérique", assure le créateur du compte parodique. Ce qui n’était au départ qu’une blague entre amis a vite vu s’imposer le nom du navigateur de Microsoft :

"Ça reste un meme internet classique : c’est obsolète, rien ne fonctionne dessus, ça rappelle les vieux ordinateurs de CDI dans les collèges où c’était le seul navigateur... Ça en devient marrant tellement c’est mal optimisé !"

Le créateur du compte Twitter @intrnetexp

à franceinfo

Pour les nostalgiques de l’époque Internet Explorer, le créateur du compte promet de "marquer le coup". Mais ne sait pas ce que va devenir le compte : "Soit on arrête là, et ça pourrait être une fin très intéressante, soit on utilise cette actualité pour être porté. Pour autant, les blagues sur Internet Explorer continueront pour les gens qui connaissent et le navigateur pourra donc malgré tout continuer à vivre." 

Sollicitée, l'entreprise Microsoft n'a pas donné suite à nos demandes d'interview.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.