: Reportage Législatives : dans le Finistère, Amazon sème la discorde sur un territoire en quête d'emplois
Séduits par la promesse de nouveaux emplois, les habitants et élus locaux de Briec, près de Quimper, sont réservés quant aux conditions de travail et à l'impact environnemental d'une plateforme en cours d'implantation.
"Amazon ? Ras le bol !" Dans un bar-tabac du centre de Briec (Finistère), Thierry, le patron, donne le ton, rapidement suivi par ses clients. "Ça fait deux ans qu'on polémique avec ça, il faut arrêter, lance un habitué. De toute façon, le chantier est bientôt terminé, on ne va pas tout détruire quand même ?" Autour de lui, les regards sont dubitatifs.
Il faut dire que le sujet a beaucoup fait réagir depuis l'annonce, mi-2020, de l'installation dans cette bourgade bretonne du géant américain de la vente en ligne. Au point de devenir tabou. "Personne ne veut en parler, on attend simplement de voir ce que ça va vraiment nous rapporter, confie le boulanger voisin, dont le commerce donne sur la place de l'église. Et puis, on espère qu'il n'y aura pas trop de nuisances." Bien connue des habitants de la région, cette actualité n'a pas échappé aux candidats aux élections législatives de la 1re circonscription du Finistère, qui sont, eux aussi, partagés entre l'attrait économique et l'impact social ou environnemental du site logistique.
Si Amazon a choisi Briec, c'est avant tout parce que cette implantation lui permettra de livrer plus rapidement ses clients de la pointe bretonne. La commune de près de 6 000 âmes est idéalement située, le long de la voie express qui relie Quimper à Brest. Elle dispose, en outre, d'une zone industrielle où un terrain était justement disponible pour accueillir les quelque 7 000 mètres carrés d'entrepôt envisagés par la société. Mais le projet d'Amazon s'est rapidement heurté au rejet d'une partie de la population, qui a tenté de le bloquer, en vain.
Des craintes multiples
Accoudée à la table haute de sa cuisine, Catherine Malbranque se remémore les actions engagées contre l'installation de ce voisin pas comme les autres. "On a essayé beaucoup de choses. Certains militants sont allés jusqu'à s'enchaîner au portail du chantier, mais ça n'a pas suffi", raconte-t-elle, résignée. Cette professeure de lettres à la retraite, militante "tendance La France insoumise", habite un hameau situé à quelques kilomètres à peine du futur site d'Amazon. Une "aberration écologique", selon elle. "Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls dans cette situation. Le nombre d'entrepôts d'Amazon en France a explosé en cinq ans, pour passer de quatre en 2017 à 44 aujourd'hui", dénonce-t-elle, citant un décompte de l'association Les Amis de la Terre. Sur son site, Amazon France dénombre officiellement 33 établissements, dont huit centres de distribution comme celui prévu à Briec.
A ses côtés, Emmanuel et Jeanne, deux autres membres du collectif Stop Amazon Briec, déroulent leur liste de doléances : pollution routière, surconsommation et artificialisation des sols. "Dans le contexte climatique actuel, je ne comprends pas comment un tel projet a pu être validé, s'étonne Emmanuel. Du transport aux emballages, en passant par le carburant, rien ne va." Le quinquagénaire, qui travaille dans le domaine des semences, s'attarde sur le terrain attribué à Amazon. "A l'époque, le parc industriel avait été installé sur une ancienne zone humide. Aujourd'hui, elle serait intouchable", regrette-t-il. A sa gauche, Jeanne, 77 ans, craint quant à elle de voir les routes de la commune "envahies par les livreurs payés au colis".
"Ce sont des terres agricoles que l'on bétonne pour de bon. Tout ça pour que des camionnettes livrent à toute vitesse des objets qui viennent de l'autre bout du monde."
Jeanne, membre du collectif Stop Amazon Briecà franceinfo
Malgré les actions du collectif, l'entrepôt est finalement sorti de terre à l'automne 2021. Un bloc tout en nuances de gris, doté d'une imposante baie de chargement, dont la mise en service doit avoir lieu à la fin 2022. "Pour nous, le combat continue, assure Catherine Malbranque, car le problème va se poser ailleurs en France." Les membres du collectif préviennent aussi qu'ils resteront "très vigilants" sur les conditions de travail des 80 employés et 250 livreurs sous-traitants que la firme promet d'embaucher, "dès que possible, entre un et deux mois avant l'ouverture du site", assure l'entreprise. En attendant, à la mission locale de Briec, comme à l'agence Pôle emploi de Quimper Nord, "on n'a pas encore vu passer d'offres d'Amazon", expliquent les conseillers à franceinfo.
"Il s'agit souvent de tâches difficiles, et on craint que les cadences soient synonymes de précarité pour ces travailleurs", note Emmanuel. Surtout, les militants ne voient pas d'un bon œil les postes promis par le géant américain. "Pour chaque emploi Amazon créé, ce sont deux à quatre emplois détruits autour", assure Catherine Malbranque. Ce ratio, déjà avancé en 2019 par l'ex-secrétaire d'Etat au numérique, Mounir Mahjoubi, est issu d'une estimation du nombre de suppressions d'emplois dans le commerce physique à cause des activités d'Amazon, ainsi que de l'économie de main-d'œuvre permise par les cadences du géant américain.
Contactée par franceinfo, la filiale logistique d'Amazon fait valoir qu'elle emploie plus de 15 000 salariés en CDI en France et qu'elle verse, au bout de deux ans de CDI, "une rémunération supérieure à 25% du Smic à ses agents". Sur le volet écologique, la société assure que le site de Briec disposera de panneaux photovoltaïques et d'éclairages basse consommation, tout en affirmant que "des efforts seront faits" pour utiliser davantage de camionnettes électriques et de vélos cargos sur le dernier kilomètre.
"L'impression d'aller contre une lame de fond"
Dans le centre de Briec, les commerçants n'ont, en tout cas, pas attendu l'implantation de l'entrepôt pour se faire une idée concernant la vente en ligne. "Je vends des livres, donc je suis inévitablement contre Amazon !", s'exclame Marie-Pierre Hémon, qui tient la librairie du coin depuis 1992. Outre la concurrence de la plateforme, elle dénonce un "changement de mentalité" chez les consommateurs. "Les gens n'ont plus le temps, ils veulent tout, tout de suite, et ne voient pas la logistique qu'il y a derrière." Pourtant, il y a quelques années, Marie-Pierre a cédé un peu d'espace à ce système qu'elle fustige, en aménageant un point colis au bout de son comptoir. "Ça amène du monde dans la boutique, le centre-ville, explique-t-elle. Et puis, à quoi bon résister ? On a l'impression d'aller contre une lame de fond".
A quelques rues de là, installé à la caisse d'un magasin de producteurs locaux, Paul Le Bras tient un discours similaire. "Je suis éleveur et agriculteur, certifié bio depuis plus de vingt ans, et pourtant, moi aussi j'achète chez Amazon", souffle-t-il. La plateforme, comme d'autres sites de vente en ligne, lui permet notamment de réaliser "de grosses économies" sur du matériel professionnel. "Par contre, je groupe mes achats et je fais trois commandes par an, détaille-t-il. C'est un peu moins nocif pour la planète." Interrogé sur la régulation de la vente en ligne, l'agriculteur est pour le moins pessimiste. "Tant que les gens achètent, ce système grossira, peu importe ce que nos députés peuvent décider, lance-t-il. Je pense qu'on a parfois plus de pouvoir avec notre carte bancaire qu'avec notre bulletin de vote."
"Face à Amazon, c'est dur, pour un élu local, de négocier"
Au-delà du débat sur les méthodes de la société fondée par le milliardaire Jeff Bezos, certains n'ont toujours pas digéré la façon dont l'affaire a été conclue, dans le bassin quimpérois. Fin juin 2020, à peine élue, la maire de Quimper, Isabelle Assih (PS) a en effet découvert que son prédécesseur, Ludovic Jolivet (Agir), alors président de la communauté d'agglomération Quimper Bretagne Occidentale (QBO), avait discrètement signé un compromis de vente pour l'installation du géant, quelques jours avant le second tour des élections municipales. Depuis, les élus locaux se font très discrets sur ce dossier. "Il faut bien comprendre que c'est un projet dont nous avons hérité, et que l'on pouvait très difficilement annuler", souligne-t-on au cabinet de la maire de Quimper.
Aujourd'hui reconverti dans la communication, Ludovic Jolivet défend l'accueil réservé à Amazon. "Les politiques veulent de l'emploi mais se dérobent souvent quand ça ne plaît pas à tout le monde. Personnellement, j'estime qu'il ne faut jamais cracher sur l'emploi", confie-t-il à franceinfo. Avec un taux de chômage de 6%, le bassin de Quimper "fait mieux que la moyenne nationale", qui était à 7,2% au premier trimestre 2022, explique-t-on au Pôle emploi local. Un dynamisme surtout porté par l'agroalimentaire et le tourisme, "qui doit être entretenu par les élus" assure Ludovic Jolivet.
"Dans nos territoires, on n'a pas forcément le choix des emplois. Travailler chez Amazon, ce n'est pas plus difficile que travailler dans un abattoir ou dans le textile."
Ludovic Jolivet, ancien maire (Agir) de Quimperà franceinfo
A Briec, l'ex-maire (PS) Jean-Hubert Pétillon, désormais à la retraite, partage ce constat. Mais l'ancien élu évoque tout de même un rapport de force relativement inégal. "Face à Amazon, c'est dur, pour un élu local, de négocier", confie-t-il. Alors, dans un contexte de concurrence entre agglomérations, les élus doivent parfois "faire des concessions" pour "dynamiser leur économie", explique-t-il.
Mis devant le fait accompli, les actuels maires de Briec et de Quimper ont tout de même tenu à imposer quelques conditions à l'installation de la multinationale, comme une réduction de la surface du site, des engagements en faveur des entreprises de BTP locales, ainsi que le recrutement d'employés dans le bassin quimpérois. "Au moment de négocier, nous étions seuls, fait-on remarquer au cabinet de la maire de Quimper. C'était difficile de nous positionner alors que les débats sur Amazon, ses activités et ses impôts par exemple, ne sont toujours pas tranchés au niveau national." Une tâche qui incombe aux députés, à travers une nouvelle loi ? "Cela nous aurait donné un cadre, effectivement."
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