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Violences conjugales : "Parfois, ce sont des mots qui tuent à petit feu"

Francetv info a rencontré des professionnelles qui accueillent des femmes victimes de violences conjugales, dans les Hauts-de-Seine. Reportage.

Article rédigé par franceinfo - Jéromine Santo Gammaire
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Hall d'entrée de l'association l'Escale, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine). (JEROMINE SANTO GAMMAIRE / FRANCETV INFO )

"Il a quel âge, votre bébé ?" La femme souriante penchée au-dessus de la poussette rose articule bien ses mots et joint les gestes à la parole. "Trois mois et trois semaines", répond, d’une voix réservée, la mère qui ne maîtrise pas très bien le français. Elle attend son tour, assise sur une chaise dans l’entrée, en face d’un coin enfant où s’entassent les jouets en plastique aux couleurs vives. Au mur, un tableau noir avec ses craies et des images d’animaux encadrées.

Le hall est animé par le va-et-vient des conseillères de l’Escale, une association qui vient en aide aux femmes victimes de violences conjugales dans le département des Hauts-de-Seine. Situé à Gennevilliers, au pied d’un immeuble rose en rénovation, cette structure d'accueil est immergée dans la cité. L’association a fait installer un interphone pour filtrer les entrées. 

L'écoute de celles qui ont "des bleus à l'âme"

Ici, on traite tous les types de violences conjugales. La violence psychologique précède la violence physique et est parfois tout autant destructrice. "Ce sont des mots qui les tuent à petit feu, témoigne Evelyne, "écoutante" et chargée de l’accueil des nouvelles arrivantes. Ils laissent des bleus à l’âme." L’écoutante, âgée d'une cinquantaine d'années, aux cheveux colorés coupés courts, insiste aussi sur l’importance des mots dans la prise de conscience progressive de ce qui s’est passé.

Mais il n’est pas toujours aisé de libérer la parole de ces femmes. "En parler à des personnes extérieures est extrêmement humiliant pour elles, assure Evelyne. Elles ressentent de la honte et de la culpabilité."

L’Escale organise des accueils collectifs, mais aussi des activités afin que les femmes puissent échanger sur leurs expériences personnelles. Certaines victimes sont bien intégrées dans la société, d’autres vivent en marge, parlent parfois mal le français, n’ont pas toujours de papiers en règle, n’ont pas de famille ou sont responsables d’enfants en bas âge. Beaucoup, sous l’emprise de leur conjoint, sont surtout très fragilisées sur le plan psychologique.

"Il est important de respecter le temps de chacune"

"Nous avons une femme qui se présente chaque semaine aux accueils collectifs, mais qui ne s'est toujours pas confiée, raconte l’écoutante avec un sourire qui fait ressortir les rides aux coins de ses yeux. Elle dit que c’est encore trop dur pour elle. Mais cela viendra. Il est important d’accompagner ces femmes en respectant le temps de chacune, de ne pas les brusquer."

Au sein de l'association, les femmes sont écoutées, conseillées. Les membres de l'Escale revendiquent une prise en charge globale. Elles les aident à trouver un hébergement, mais aussi un emploi et les orientent vers des professionnels pour leurs démarches juridiques.


Evelyne répond au numéro d'écoute départemental dans les locaux de l'Escale, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), le 26 novembre 2013. (JEROMINE SANTO GAMMAIRE / FRANCETV INFO )

L’hébergement, problème numéro un 

Le téléphone sonne sur le standard de l'Escale. Evelyne répond : "Bonjour. [...] Nos centres d’hébergement sont complets, il n’y a plus de place. Essayez le 115, c’est souvent occupé, mais il faut persister. Vous êtes dehors depuis ce matin ?" La conversation dure quelques minutes, Evelyne raccroche. "Son mari l’a mise à la porte avec leurs trois enfants."

Dans une vidéo postée sur internet le dimanche 24 novembre, l'association Paroles de femmes interpelle Najat Vallaud-Belkacem (ministre des Droits des femmes) sur le 115, un numéro d'hébergement d'urgence qui "ne répond jamais". Le manque de places amène régulièrement le 115 à orienter les femmes victimes de violences conjugales vers des centres inappropriés où sont logées aussi des prostituées ou des sans-abris. 

Parmi les mesures annoncées vendredi 22 novembre dans son plan de lutte contre les violences faites aux femmes, le gouvernement prévoit la création de 1 650 places d'hébergement d'urgence supplémentaires. 

"Trouver des places d’hébergement est l’un de nos principaux problèmes", reconnaît Salia David, assistante sociale auprès de l'ADAVIP-92 (Association d'aide aux victimes d'infractions pénales) en poste au commissariat de Nanterre depuis 2008.

Son bureau est situé à l’extrémité du bâtiment, à côté de celui de la psychologue, après un hall d’accueil austère. C’est une pièce rectangulaire aux meubles bon marché qui ont déjà bien vécu. Pour protéger la confidentialité des dossiers, une armoire en ferraille tenue par un cadenas. "Je reste parfois jusqu’à 21 heures ou 22 heures, je ne pars pas tant qu’on n’a pas trouvé d'hébergement pour la femme que je reçois. Vous comprenez, je ne peux pas lui dire 'désolée, je termine à 17 heures' et la laisser là." 

L'étape délicate du dépôt de plainte

Les femmes que reçoit Salia ont été dirigées ici pour qu’elle les accompagne et les prépare au dépôt de plainte. Sur le mur, l’intervenante sociale a accroché des dessins d'enfants, elle leur a aussi réservé un coin où elle a disposé une petite table et des chaises. 

Le dépôt de plainte est une étape d'autant plus difficile à franchir qu'elle peut être lourde de conséquences. "Dans la grande majorité des cas, le conjoint violent ne fait pas, à ce moment, l’objet d’une procédure d’éloignement, explique Salia David. C’est absurde : la femme porte plainte pour violences et on lui dit d’attendre le résultat du jugement qui peut survenir plusieurs semaines plus tard."

Le passage au commissariat est surtout l'occasion de les rassurer et de les informer sur leurs droits. Non, le mari ne pourra pas partir avec les enfants. Non, elles ne seront pas expulsées dans leur pays d’origine en franchissant la porte du commissariat même si elles n’ont pas de papiers français.

Salia David les encourage "à s’ouvrir sur l’extérieur, à parler à un professionnel". L'assistante sociale assure aussi le relais entre les services sociaux, les services municipaux, les associations et la police.

Améliorer la formation des professionnels

Pour repérer les violences, la formation des professionnels en contact avec les femmes est nécessaire. En première ligne : policiers, gendarmes, professions médicales, travailleurs sociaux... C'est un des axes d'amélioration identifié par le gouvernement, qui a annoncé dans son plan d'action un programme de formation initial et continu spécifique.

"Dans ce commissariat, ça se passe plutôt bien, raconte Salia David. Il y a une brigade spécialisée dans la protection de la famille au niveau local. Ils ont suivi une formation de quelques semaines et apprennent au quotidien."

Mais les policiers des autres services ont juste été sensibilisés à la question. Pourtant, ce sont eux qui prennent le relais le soir et les week-ends, des moments où les couples se retrouvent et où les actes de violence peuvent être plus fréquents. Et le personnel d’accueil du commissariat oublie encore trop souvent d’orienter les personnes qu’il reçoit vers l’assistante sociale ou vers les organismes spécialisés.

Des dysfonctionnements encore plus sensibles dans d’autres commissariats où il n’y a pas forcément de brigade de la famille. Les assistantes sociales sont au nombre de cinq et couvrent neuf commissariats différents dans les Hauts-de-Seine, département pourtant précurseur. Certains départements n'en comptent aucune.

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