Robert Laffont est décédé mercredi à l'Hôpital américain de Neuilly, à l'âge de 93 ans
Considéré comme l'un des plus grands éditeurs français, il avait publié plus de 10.000 titres dont de très nombreux best-sellers et créé des collections prestigieuses comme "Pavillons" et "Bouquins", avec Guy Schoeller.
Ses obsèques devraient avoir lieu mardi ou mercredi en l'église Saint-Sulpice, à Paris.
"Il était encore plein de vivacité intellectuelle jusqu'à ces derniers jours", a indiqué Alix Girod de l'Ain, épouse de Laurent Laffont l'un des fils de Robert Laffont.
"Robert Laffont n'était pas seulement le Petit Père des best-sellers. Il aimait profondément la littérature, s'intéressait à la politique et se montrait très éclectique dans ses goûts", a souligné sa belle-fille.
Une vie vouée à l'édition
Né le 30 novembre 1916 à Marseille, et fils d'officier de marine, Robert Laffont entre à HEC et s'oriente sans conviction vers une carrière d'avocat. "Mon père avait fait de moi un jeune homme très bien, genre scout-toujours prêt, catholique pratiquant, vivant dans le plus beau pays du monde, vous voyez le profil!", racontait l'éditeur.
La guerre changera les choses.
Intellectuel, amoureux de la vie, il hésite longtemps entre le cinéma et les livres. Son ami Guy Schoeller, d'Hachette, lui lance: "Ce sont deux chemins qui mènent le plus sûrement à la ruine. Le premier est le plus rapide, le second le plus raffiné". Robert opte pour le long terme et fonde sa maison d'édition dans sa ville natale, capitale de la "zone Nono" (zone libre), dernier refuge des intellectuels face à l'avancée allemande.
"J'étais fait pour lui et pour lui seul", disait de son métier Robert Laffont dans son livre de mémoires, paru en 2005, "Une si longue quête", où presque chaque page résonne de son amour de la vie.
"Je suis le plus heureux des hommes", soulignait-t-il dans cet ouvrage malgré des difficultés privées et professionnelles, deux lourdes opérations du coeur et le décès d'un de ses fils.
"S'il existe un métier épié, mal compris et tyrannique, c'est bien celui que j'ai choisi. Mais je l'ai aimé, il m'a aidé à atteindre une certaine sérénité, peut-être une sagesse".
Le livre est rempli d'anecdotes, des déceptions, des désillusions parfois et des joies aussi. Il noue des liens profonds avec notamment Graham Greene, Dino Buzatti, Gilbert Cesbron, John Le Carré ou Henri Charrière, auteur de "Papillon", un des plus grands succès de l'éditeur (plus d'un million d'exemplaires rien que pour l'année 69).
Il raconte aussi qu'il a "failli empêcher la mort" d'Albert Camus et de Michel Gallimard en conseillant à ce dernier de prendre le train plutôt que la voiture pour aller sur la Côte d'Azur. Il venait de voyager avec Michel Gallimard qui conduisait comme un fou.
Robert Laffont parlait aussi largement de sa vie privée et notamment de ses différentes épouses et de ses cinq enfants : Patrice Laffont (animateur télé), Anne Carrière, Isabelle Laffont et Laurent Laffont (tous éditeurs) et Olivier, décédé en 1995.
Le 21 septembre 2005, Anne Carrière, qui a publié le livre, avait organisé dans un restaurant parisien un déjeuner en l'honneur de son père : entouré de Bernard Pivot, Pierre Assouline, Max Gallo et Jacques Chancel, Robert Laffont avait fait oublier son âge, poussant la chansonnette, levant le coude et fumant le cigare comme un jeune homme : "Je crois que je suis devenu adulte, mais je n'ai pas grandi. J'ai gardé à peu près toutes mes illusions, mes impulsions, mes craintes et mes joies d'enfant".
Nicolas Sarkozy a rendu hommage à ce "Découvreur de chefs d'oeuvre de la littérature universelle, de Salinger à Soljenitsyne en passant par Graham Greene et Dino Buzzati, il a marqué de son empreinte généreuse plus d'un demi-siècle d'édition française", selon un communiqué diffusé par la présidence de la République. "Au moment où l'édition traverse une grande révolution, où la tablette numérique et l'hyperlivre concurrencent les livres, le président de la République souhaite rendre hommage au talent et à la vision d'un homme de culture et d'entreprise qui aura compris que le fond comptait plus que la forme, et qu'il était possible de s'adapter à l'évolution sans renier ses valeurs", conclut le communiqué.
"C'est un géant de l'édition qui s'en est allé", a déclaré jeudi le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand en lui rendant hommage. C'était "un ardent défenseur de la diversité littéraire, qui nous laisse riches d'un héritage de plus de dix mille titres", a poursuivi le ministre. "C'est à un esprit tel que le sien, ouvert, éclectique et visionnaire, que nous devons d'avoir découvert tant de nouveaux auteurs et conquis tant de nouveaux lecteurs", a-t-il ajouté. "Sans lui, sans son don unique de débusquer les talents et de les mettre en lumière, les chefs-d'oeuvre de maîtres comme J. D. Salinger, Graham Greene, Dino Buzzati, Mikhaïl Boulgakov ou encore Alexandre Soljenitsyne, n'auraient pu de sitôt venir nourrir notre culture, notre imaginaire et notre vision du monde. Il a su nous révéler ces univers et nous les rendre familiers", a dit M. Mitterrand. "Avec la publication de romans de Bernard Clavel, Gilbert Cesbron et Henri Charrière notamment, il aura également contribué à la renaissance, en France, des livres populaires à grand succès, et montré que la valeur d'un ouvrage tient aussi au plaisir de lecture qu'il est capable de procurer à chacun", a-t-il rappelé. "C'est pour tous les lecteurs, quels que soient leurs horizons, qu'il a créé des collections comme Bouquins ou Pavillons, aussi prestigieuses que populaires", a souligné le ministre. "Pour chacun d'entre nous, le nom de Robert Laffont demeurera l'emblème par excellence de l'éditeur qui aura su concilier l'exigence, la qualité, et le succès auprès de tous les publics", a-t-il conclu.
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