: Témoignages "On est dans un rouleau compresseur" : ces chefs d'établissement se préparent à une rentrée dense et pleine d'incertitudes
"Le moral, on ne peut pas dire qu'il soit au plus haut pour les collègues." Igor Garncarzyk a embarqué sur le paquebot de l'Education nationale il y a vingt ans, et le secrétaire général FSU des personnels de direction en est certain : "On est dans un attentisme forcené jamais connu auparavant." En l'absence de nouveau gouvernement et sans ministre de plein exercice aux commandes, les chefs d'établissement peinent à trouver un horizon clair, à la veille de la rentrée des élèves, lundi 2 septembre.
Marie Tamboura, membre de l'exécutif national du SNPDEN-Unsa, est principale au collège Cesaria-Evora de Montreuil (Seine-Saint-Denis). "Qu'il s'agisse des emplois du temps ou de l'accueil des élèves, nous sommes prêts pour la rentrée. Ce qui m'interroge, c'est plutôt ce que je vais leur dire pour la suite", s'inquiète cette cheffe d'établissement. Car collégiens et lycéens lui poseront sans doute de nombreuses questions. Le brevet sera-t-il obligatoire pour entrer en seconde ? Devront-ils bientôt laisser leur smartphone à l'entrée d'établissement ? L'interdiction du téléphone portable, expérimentée dans 200 collèges, pourrait devenir la règle dès janvier.
"Le temps politique n'est pas le temps de l'école"
En attendant de connaître leur futur ministre de l'Education nationale, les chefs d'établissement craignent déjà de voir leur charge de travail augmenter de nouveau. "On est dans un rouleau compresseur depuis des années, avec une 'accélération Blanquer'", estime Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-Unsa, rappelant que l'ex-ministre de l'Education nationale (2017-2022), a été à l'origine de nombreuses réformes, à l'école et au lycée. "Depuis, il y a sans cesse de nouvelles priorités. On charge la barque sans se demander ce qu'on pourrait nous retirer", déplore ce responsable syndical.
Marie Tamboura situe le point de bascule au moment de la crise sanitaire : "Les dossiers se sont particulièrement empilés depuis le Covid-19." Selon elle, les chefs d'établissement font "face à des temporalités raccourcies entre les demandes et la mise en application". Tous les professionnels contactés par franceinfo partagent ce constat. "Le temps politique n'est pas le temps de l'école", souligne Emilie*, principale dans un collège isérois. Elle estime notamment que le pacte enseignant a été mis en place de façon trop rapide pour convaincre les profs.
Certaines missions sont aussi devenues plus complexes. L'instauration des tout nouveaux groupes de besoins en 6e et 5e, dès cette rentrée, a donné du fil à retordre à son équipe, raconte Marie Tamboura. "Construire les emplois du temps a demandé un mois de travail non-stop, soit dix jours en plus que d'habitude" à son adjoint, assure-t-elle.
"On souffre d'une méconnaissance de notre quotidien"
Une tâche d'autant plus difficile pour des chefs d'établissements qui se disent "de moins en moins d'accord sur le fond", comme Bruno Bobkiewicz. "Depuis 2017, quasiment toutes les années, je me suis retrouvé à appliquer des réformes qui ne vont pas dans le sens du progrès du système éducatif", témoigne Nicolas Bonnet, proviseur au lycée professionnel Henri-Brulle, à Libourne (Gironde), et membre de l'exécutif national du SNPDEN-Unsa. Il cite la réforme du lycée professionnel qui acte, entre autres, l'avancement du bac en mai. "Cette année, nos terminales perdent un mois de travail, c'est une aberration qui ne va pas leur permettre d'acquérir un meilleur niveau scolaire", selon lui.
Ces personnels de direction pointent une forme de déconnexion entre le ministère et la réalité de leurs établissements. "On ne souffre pas d'un pas manque de reconnaissance, mais d'une méconnaissance de notre quotidien", relève Marie Tamboura, qui s'estime toutefois "soutenue par l'institution", en particulier les académies et leurs recteurs. Bruno Bobkiewicz abonde : "Il n'y a pas de volonté de nous nuire, c'est la conséquence d'un rythme." Mais pour Igor Garncarzyk, les chefs d'établissements "ne sont pas chers payés" au regard du nombre d'heures et de missions réalisées. Selon le ministère, ces personnels de direction touchent entre 48 000 et 62 000 euros bruts par an.
Stagiaire l'année précédente, Christophe* était adjoint du proviseur de son lycée. Il estime avoir "passé plus de semaines à 60-70 heures qu'à 35 heures", mais suggère que son manque d'expérience a joué. Une étude du Syndicat national des lycées, collèges écoles et du supérieur (Snalc) (PDF), publiée en 2023, dévoile que 83% des répondants ont déclaré travailler plus de 48 heures par semaine. "Quand on fait ce genre de travail, quelque part, il faut l'accepter. On sait qu'on va déborder, même s'il faut rester dans le raisonnable", ajoute celui qui est désormais titularisé.
Les réclamations de parents en nette augmentation
Dans un autre registre, les relations avec les parents se tendent, remarque Bruno Bobkiewicz. "Ils hésitent de moins en moins à contester, qu'il s'agisse d'une note ou d'une sanction donnée à leur enfant, jusqu'à aller jusqu'au tribunal", souligne le secrétaire général du SNPDEN-Unsa. Un rapport de la médiatrice de l'Education nationale, publié mi-juillet (PDF), confirme que les réclamations de parents sont en nette augmentation (+12% entre 2022 et 2023).
Les proviseurs et principaux doivent aussi gérer l'inquiétude des familles quant au manque de professeurs. D'autant que plus de 3 000 postes n'ont pas été pourvus aux concours de l'enseignement (premier et second degré) et que les remplaçants manquent en particulier lorsque les professeurs ne sont pas remplacés durant l'année.
Même au sein de leurs établissements, ces directeurs et directrices devront aussi parfois essuyer les critiques des enseignants qu'ils encadrent. "Les premiers ont parfois du mal à reconnaître la légitimité pédagogique du chef d'établissement", constate Jean-Rémi Girard, président du Snalc. Selon une enquête de l'Autonome de solidarité laïque (PDF), parue en 2022, "près de la moitié des personnels interrogés perçoivent une mauvaise qualité de la relation enseignants/direction, en augmentation de 14% par rapport à l'enquête précédente". Dans la liste des interlocuteurs quotidiens des chefs d'établissement, on trouve aussi les équipes administratives. Et, comme pour les équipes pédagogiques, elles sont de moins en moins au complet, affirment les principaux et proviseurs interrogés par franceinfo. "Les gestionnaires et secrétaires deviennent une denrée rare", illustre Emilie* après dix ans de carrière.
Des burn-out fréquents
Face à ces difficultés cumulées, les enseignants envisagent de moins en moins la fonction de chef d'établissement. "On pourvoit tous les postes au concours, mais on perd des candidats d'année en année", rapporte Bruno Bobkiewicz. Plus grave encore que cette perte d'attractivité, les personnels de direction "en burn-out ou alcooliques sont aujourd'hui une réalité du métier", assure Jean-Rémi Girard. Mais l'absence de chiffres à ce sujet complique la juste mesure du phénomène.
"Ce métier, si on n'arrive pas à mettre des garde-fous, occupe toute l'existence."
Igor Garncarzyk, secrétaire général FSU des personnels de directionà franceinfo
Pour ceux qui restent ou décident de s'engager, être principal de collège ou proviseur de lycée "reste passionnant, car on prend du recul, on aborde la vie dans l'établissement de manière différente", assure quand même Christophe. Ils seront, à la rentrée, plus de 10 000 à accueillir les 5 600 000 élèves du second degré.
* Les prénoms ont été modifiés.
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