Rentrée : instruction obligatoire à 3 ans et classes à 14 élèves, des mesures pas toujours faciles à mettre en œuvre
Ces deux objectifs de la loi "pour une école de la confiance" impliquent d'avoir des infrastructures adéquates et le personnel en conséquence. Ce qui peut se révéler problématique dans certaines académies.
"Garantir les savoirs fondamentaux pour tous." Telle est l'ambition de la loi "pour une école de la confiance" portée par le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, qui organise une conférence de presse de rentrée, mardi 27 août. Pour y parvenir, une des mesures phares de ce texte, promulgué le 28 juillet, est l'abaissement de l'âge obligatoire de l'instruction à 3 ans, contre 6 ans actuellement. La réforme prévoit également de poursuivre à la rentrée la réduction des effectifs, à 14 élèves, de certaines classes de CP et de CE1. Si ces engagements ne concernent qu'une minorité d'élèves au regard de la population scolaire française, elles soulèvent des problèmes de logistique quant à leur mise en œuvre dans certaines académies.
A la rentrée, environ 25 000 enfants concernés par l'instruction obligatoire à 3 ans découvriront les bancs de l'école. "C'est LE grand changement concernant le primaire annoncé par le gouvernement", ironise Francette Popineau, du SNUipp-FSU. "La quasi-totalité des enfants, 97%, sont déjà scolarisés dès leur troisième année", constate la porte-parole syndicale, pointant surtout du doigt l'absence d'un plan pour l'Outre-mer et la Seine-Saint-Denis. Ces départements regroupent la quasi-totalité des académies concernées par les 3% d'élèves non encore scolarisés avant 6 ans.
Il n'y a pas l'infrastructure suffisante pour accueillir ces enfants supplémentaires en Seine-Saint-Denis et en Outre-mer. Le bâti actuel ne suffit pas et le personnel enseignant non plus d'ailleurs.
Francette Popineau, SNUipp-FSUà franceinfo
Lorsque Jean Michel Blanquer a présenté son projet de loi, en mars 2018, il a souligné que, derrière ce chiffre de 97% d'élèves de 3 ans déjà scolarisés, se cachaient de fortes disparités géographiques. En Corse, ce chiffre tombe à 87%, à Paris à 93% et dans certains territoires d'Outre-mer, à parfois moins de 70%. Pour le ministre, rendre obligatoire l'école dès 3 ans est une mesure sociale, car "la grande majorité des enfants concernés par la mesure sont issus de milieux défavorisés". Comme Jean-Michel Blanquer l'a expliqué devant l'Assemblée, il s'agit aussi d'un moyen de lutter contre "les phénomènes sectaires et [le] fondamentalisme religieux", en particulier dans des familles qui empêchent les petites filles d'aller à l'école maternelle, ou qui envoient leurs enfants dans des "écoles clandestines". Francette Popineau soulève également les problématiques de distances élevées entre les lieux d'habitation et les écoles maternelles dans certains territoires d'Outre-mer.
Cette nouvelle obligation ne remet pas en cause le droit, pour la famille, de dispenser son propre enseignement, mais le contrôle sera renforcé. Si l'obligation scolaire n'est pas remplie, dans une école publique, au sein de la famille ou dans un établissement privé, les parents contrevenants sont passibles d'une amende de 1 500 euros, comme l'indique l'article L.131-8 du Code de l'éducation.
Des classes à 14, en théorie, dans certaines écoles
Selon les syndicats, la dernière vague de dédoublement des classes de CP et CE1 en REP+ (ex-Zones d'éducation prioritaire), entamée en 2017, va également se heurter, à la rentrée, à des problèmes d'infrastructures et de moyens humains. Cette mesure concerne les "secteurs isolés connaissant les plus grandes concentrations de difficultés sociales ayant des incidences fortes sur la réussite scolaire", selon le ministère. Cette réduction des effectifs à 14 élèves par classe doit bénéficier à 300 000 écoliers au total.
Si tout le monde s'accorde à dire qu'il s'agit d'une bonne décision, le nombre d'élèves par classe étant un critère de réussite, les syndicats s'interrogent sur son coût humain et financier. "Je ne pense pas que cet objectif sera atteint dans le département de Seine-Saint-Denis. C'est également compliqué dans l'académie de Marseille car moins de 15 élèves par classe, c'est extrêmement coûteux et cela nécessite davantage d'instituteurs", relève Francette Popineau, du SNUipp-FSU. La syndicaliste soulève également le problème du bâti dans ces académies. "On aurait préféré 24 à 25 élèves dans toutes les classes, sans distinction de zone", ajoute-t-elle.
La direction académique de Seine-Saint-Denis a annoncé la création de 282 postes supplémentaires à la rentrée. Mais "cela ne répond même pas aux besoins liés à l'étendue de la réforme aux CE1 en REP", dénonce Rachel Schneider, secrétaire départementale du SNUipp-FSU, dans Le Parisien. "On compte 160 écoles en REP dans le département. Si l'on se base sur deux classes en moyenne par établissement – et c'est plutôt bas – cela nécessiterait la création d'au moins 320 postes. Sans compter les besoins liés à l'accroissement de la population, le compte n'y est pas !"
Faute d'espace disponible, les enseignants doivent parfois se partager la même classe. "L'année dernière, nous étions deux instituteurs pour 28 élèves dans la même classe", témoigne Rachelle*, institutrice en CE1 dans une école classée REP+ dans le Val-de-Marne.
Sur le papier, le ratio d'un instituteur pour 14 élèves est respecté. Mais, physiquement, à 28 dans la même classe, c'est assez contraignant en termes d'enseignement.
Rachelle, institutrice en CE1 dans le Val-de-Marneà franceinfo
"Nous appelons ça de la 'co-intervention'", précise l'institutrice. Cette année, Rachelle change d'école et a une "véritable classe à 14". Pour y arriver,"ils ont piqué des salles au centre de loisirs qui est dans le même complexe", souffle-t-elle.
Des postes et des classes en moins
En 2020, ce sont les grandes sections de maternelle des REP+ qui devront descendre à 14 élèves. Or, la rentrée des classes est parfois synonyme de classes fermées et de postes supprimés. "Nous sommes un peu plus sereins cette année car il n'est plus question de supprimer 50 000 postes dans la fonction publique", observe Frédérique Rolet, du SNUipp-FSU. Le gouvernement a révisé à 15 000 le nombre de postes de fonctionnaires à supprimer durant le quinquennat. Mais les syndicats gardent un œil sur la loi de finances pour 2020. Votée à l'automne, elle définit les plafonds d'emplois ministère par ministère.
Lors de la dernière rentrée, nous avons perdu 2 650 postes.
Francette Popineau, du SNUipp-FSUà franceinfo
Même vigilance du côté des fermetures de classes. Chaque année, la carte scolaire, construite en concertation entre les rectorats et le ministère, définit le nombre de suppressions de classes. Son élaboration a débuté en octobre 2018 pour se terminer dans les jours qui suivront cette rentrée des classes 2019. Les derniers ajustements seront effectués en fonction des effectifs constatés le jour de la rentrée. "Il ne devait pas y avoir de fermetures d'écoles cette année, mais selon nos remontées, il y en aura finalement autour de 400. Le ministre assure que cela sera moins, mais il y en aura, de toute façon", s'inquiète Francette Popineau, du SNUipp-FSU.
"Du budget en moins pour le public"
En avril, le ministre de l'Education nationale s'est engagé à ce que toute fermeture d'école soit effectuée en concertation avec les maires concernés. Ainsi, dès septembre, 186 fermetures potentielles d'écoles seront étudiées. Jean-Michel Blanquer a également confirmé que des classes continueraient d'être fermées afin d'atteindre une "équité territoriale".
Selon les syndicats, ces possibles suppressions de postes et de classes risquent de compliquer la mise en œuvre de l'école obligatoire à 3 ans et du dédoublement des classes. D'autant que les mairies, qui financent les écoles sur leur budget, vont devoir désormais mettre la main à la poche pour les écoles maternelles privées, comme le prévoit la loi. L'exécutif s'est engagé à rembourser les collectivités concernées, via une compensation. Insuffisant, juge Francette Popineau : "L'aide de l'Etat ne sera pas à la hauteur. C'est du budget en moins et une dégradation pour l'école publique."
*Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressée.
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