Pourquoi les politiques se pressent au dîner des institutions juives de France
Au rendez-vous annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France, mercredi, sont attendus Nicolas Sarkozy, François Hollande... Le sociologue Samuel Ghiles-Meilhac explique les raisons de cet empressement.
Rendez-vous politique et mondain, le dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) se tient mercredi 8 février pavillon d’Armenonville, à Paris. Entre 800 et 1 000 convives, issus d’associations, de la communauté israélite de France, d’instances juives… se réunissent aux côtés d’invités prestigieux, ministres, grands patrons, intellectuels… A 73 jours du premier tour de l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy en est l’invité d’honneur en tant que président de la République. Mais le candidat socialiste François Hollande doit également s’y rendre, comme beaucoup d’autres personnalités politiques de tous bords.
Pourquoi participent-ils tous à ce dîner ? Réponses de Samuel Ghiles-Meilhac, historien et sociologue français et auteur du Crif, de la Résistance juive à la tentation du lobby. De 1943 à nos jours (Robert Laffont) en 2011.
FTVi : Pour quelle raison toutes les personnalités politiques semblent se presser au dîner annuel du Crif ?
Samuel Ghiles-Meilhac : Il faut faire attention. Le Front national n’y a jamais été, les verts et les communistes ne sont plus invités depuis trois ou quatre ans. François Bayrou ne s’y rend pas non plus, tout comme Philippe Seguin en son temps. Ce que je trouve intéressant, c’est que tous ceux qui y vont donnent toujours la même réponse quand on leur demande pourquoi : "C’est une tradition", "c’est un rendez-vous républicain". Un discours automatique qui en fait un rituel politique. C’est, en effet, devenu le cas depuis les années 90.
FTVi : Quel est le sens de leur présence à ce dîner ?
S. G.-M. : Le dîner annuel du Crif représente le lieu où la droite et la gauche se rassemblent autour de l’idée que la France s’est réconciliée avec sa mémoire, a évacué la culpabilité de Vichy. Cela explique qu’on y trouve aussi bien l’ambassadeur de Pologne que le président de la SNCF. Comme le Crif est né clandestinement en 1943 sous l’Occupation, cela donne un point d’ancrage à cette mémoire. Le Crif est un élément politique du devoir de mémoire. On se souvient de plusieurs temps forts comme, par exemple, l’annonce de la création de la mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France par Alain Juppé en 1997.
De plus, c’est devenu le lieu et le moment pour une personnalité politique au pouvoir de délivrer un discours d’homme d’Etat sur l’histoire ou l’identité. Lionel Jospin y évoqua ainsi en 2000 le "travail de lucidité" et la mémoire de la torture perpétrée durant la guerre d’Algérie.
La mémoire de la Shoah constitue un aspect important de l’histoire de France et de l’histoire d’Europe. Si on veut être du bon côté de l’histoire, il faut être au dîner annuel du Crif.
FTVi : Y a-t-il aussi un enjeu électoral, particulièrement cette année ?
S. G.-M. : Bien sûr. D’ailleurs, le fait que le maintien de ce rendez-vous à une date si proche de l’élection présidentielle a fait débat au sein même du Crif. Celui-ci prend un risque. Pour certains, cela fait de leur institution, déjà maintes fois accusée de soutenir Nicolas Sarkozy, un organisme trop partisan. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les dirigeants du Crif se sont rendus en masse à une rencontre avec François Hollande, il y a quelques jours. Ce n’était pas une visite de courtoisie mais bien le signe qu’ils ne veulent se fâcher avec personne.
Quant à l’impact sur les élections, c’est très difficile à évaluer. On ne peut pas exclure l’idée qu’il y ait un vote juif mais on n’a rien de précis. On n’a pas d’exemple qui prouverait que le Crif ait fait une élection. Participer à ce rendez-vous relève plutôt du symbole.
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