Polynésie française : "La filière des urgences reçoit entre 150 et 160 patients Covid par jour", alerte un responsable du centre hospitalier
Philippe-Emmanuel Dupire affirme sur franceinfo que "l'hôpital est rempli de personnes qui ne sont pas vaccinées" et s'inquiète du manque de personnel pour prendre en charge les patients.
"La filière des urgences reçoit entre 150 et 160 patients Covid par jour", a annoncé lundi 23 août sur franceinfo Philippe-Emmanuel Dupire, chef du service pharmacie et président de la Commission médicale d’établissement du centre hospitalier de la Polynésie française, à Papeete, où le niveau de contamination a été multiplié par 14 en quinze jours. Environ 30% de la population polynésienne est complètement vaccinée, d'après le site OurWorldinData.
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franceinfo : Quelle est la situation dans votre hôpital ?
Philippe-Emmanuel Dupire : La situation est très tendue, même si nous avions subi une première vague fin 2020, avec une organisation prête à l'emploi, on était très vite débordé puisque les modules qu'on a ouverts n'ont pas suffi. Là on est pratiquement à saturation. Depuis quelques temps, les deux établissements privés nous aident un petit peu. Du point de vue pratique, ils prennent des patients. Le nerf de la guerre ce sont les ressources, puisque nous sommes très éloignés. La distance est de 20 000 kilomètres, on a douze heures de décalage. La situation est très difficile. Les pays limitrophes, la Nouvelle-Zélande et l'Australie, sont fermés.
"Les ressources humaines posent un vrai problème, puisque la Polynésie française est petite, et elles sont forcément limitées, notamment pour les infirmiers et infirmières qui ont la pratique de la réanimation."
Philippe-Emmanuel Dupire, directeur du centre hospitalier de la Polynésie françaiseà franceinfo
Les ratios, habituellement, pour les soignants en réanimation, sont d'une infirmière pour deux patients, et là, on est obligé de dégrader les ratios pour faire face à la situation. On monte à une infirmière pour trois, voire à une infirmière pour quatre en réanimation, ce qui est très compliqué. Dans les ratios des services, on a dépassé l'entendement. La théorie ce serait un infirmier pour huit patients Covid et on monte à un infirmier pour 10, 12, 14, 16. Récemment on était à un infirmier pour 20 personnes.
Combien de patients Covid arrivent par jour ? Quels sont leurs profils ? Devez-vous faire des choix ?
La filière des urgences reçoit entre 150 et 160 patients Covid par jour. Les profils sont plutôt des patients à risque, notamment lorsque les patients sont en surpoids ou en obésité. L'hôpital est rempli de personnes qui ne sont pas vaccinées. En Polynésie française, on a une population qui est plutôt jeune, mais on a un problème de santé publique qui est lié à l'obésité et au surpoids. Les patients hospitalisés en réanimation ont souvent des comorbidités, en particulier l'obésité est un risque majeur. Le mot choix peut être prononcé. Dans les services de l'hôpital, on arrive à prendre en charge des patients avec des ratios d'infirmiers plus faibles. On fait en sorte de pouvoir sortir les patients plus rapidement, avec des risques plus importants. On essaie d'amener les patients vers le domicile, avec des concentrateurs portables à oxygène. Ils viennent à manquer, donc nous allons en recevoir un certain nombre, soit de métropole, soit d'ailleurs. Cet hôpital est contraint, il n'y en a qu'un aussi important que celui-là sur tout le territoire. La vraie réponse, c'est de faire sortir les patients le plus vite possible, pour pouvoir faire entrer les autres. Oui on prend un peu plus de risques, on fait parfois des choix de faire sortir plus vite des patients de réanimation. Mais il faut qu'on puisse soigner pratiquement tout le monde.
Comment expliquez-vous le faible taux de vaccination en Polynésie ? Cette situation est-elle tenable sur la durée ?
C'est multiparamétrique, il y a des gens qui se sont sentis plus libres, parce que la première vague était passée. On avait, il y a à peine quinze jours, deux trois patients qui entraient à l'hôpital. Il y a les gens qui sont vaccino-sceptiques, il y a les réseaux, les fausses informations. Et il y a des gens qui sont persuadés qu'on touche à leur liberté et qui confondent liberté et individualisme forcené. Les soignants font des efforts très importants. Les gens sont fatigués, mais on fait face, pour le moment on prend en charge les patients.
"On sait tous qu'on a une petite communauté, on est en milieu insulaire donc il faut faire face. Ils prennent des gardes longues, ils reviennent le lendemain. J'ai croisé un infirmier qui avait pris cinq gardes dans la semaine, c'est épuisant."
Philippe-Emmanuel Dupire, directeur du centre hospitalier de la Polynésie françaiseà franceinfo
Des renforts peuvent-ils arriver de métropole ? De l'oxygène vient d'être convoyé aux Antilles, peut-on envisager la même chose en Polynésie française ?
On a sollicité la réserve sanitaire. En début de semaine dernière, douze infirmiers sont arrivés de France métropolitaine. Et nous avons reçu huit infirmiers de Nouvelle-Calédonie, vendredi soir. Mais ça reste très difficile, ma collègue réanimatrice évoquait un besoin de 60 infirmiers. C'est impossible pour nous de faire ce type de transport [d'oxygène]. Déjà, la Nouvelle-Zélande se trouve à quinze jours de bateau. Il faudrait pouvoir assumer les quinze jours aller et les quinze jours retour avec du transport d'oxygène liquide. Il y a une dizaine d'années, l'hôpital avait pris le principe d'une autonomie en fonctionnement. Nous ne travaillons pas avec de l'oxygène liquide. L'hôpital est autonome en fabrication et dispose d'énormes concentrateurs, qui produisent de l'oxygène en ligne. On vit avec 3 000 litres minute, ce qui est hors du commun.
Le confinement est durci en Polynésie française, avec des établissements scolaires qui ferment dès aujourd'hui. Était-ce le bon choix ?
Il fallait faire quelque chose, on l'aurait attendu avant, parce que les effets du confinement sont souvent attendus dans les quinze jours qui suivent. Quand on sait le niveau de portage des jeunes et le brassage qu'il peut y avoir dans les écoles, on estime que ça va pouvoir nous aider à ralentir la transmission. Tout au moins, que les gens les moins symptomatiques puissent rester à la maison avec le virus qu'ils transportent et qu'ils ne le transmettent au reste de la population.
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