Nouvelle-Calédonie : le transfert de militants dans l'Hexagone est vécu "comme l'expression de la justice coloniale", analyse un anthropologue
"Cela ne va rien régler du tout, ça risque surtout de mettre de l'huile sur le feu vu la tension qui continue d'exister dans le pays", analyse Benoît Trépied, anthropologue au CNRS, spécialiste de la Nouvelle-Calédonie. Il réagit au transfert dans l'Hexagone de sept militants indépendantistes kanak de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), dont le porte-parole Christian Tein, dans la nuit de samedi à dimanche, pour y être incarcérés. Ils sont soupçonnés par les autorités d'avoir orchestré les émeutes contre la réforme électorale en Nouvelle-Calédonie.
"Les gens vivent cela, une fois de plus, comme l'expression de la justice coloniale, de la prison coloniale et d'un État colonial", affirme Benoît Trépied. Selon lui, "tant qu'on n'a pas mis tous les gens autour d'une table, et la CCAT est incontournable, la paix ne reviendra pas".
franceinfo : Comment analysez-vous cette incarcération dans l'Hexagone ?
Benoît Trépied : Cette décision, c'est d'abord une façon de satisfaire la droite loyaliste extrême de Nouvelle-Calédonie qui demande depuis longtemps la mise sous les verrous des responsables de la CCAT. Cela ne va rien régler du tout, ça risque surtout de mettre de l'huile sur le feu vu la tension qui continue d'exister dans le pays, vu aussi l'ampleur qu'a prise la CCAT à l'échelle du peuple kanak. Maintenant, c'est une organisation qui est extrêmement populaire.
Vous pensez que ça ne passera pas auprès des indépendantistes ?
Il faut rappeler que tout a été déclenché par la volonté de l'État de passer en force sans écouter le propos des indépendantistes. Tout cela n'est pas de nature à calmer la situation. L'exil en métropole, en France, parce que c'est vécu comme un exil pour des gens qui considèrent qu'ils ne sont pas Français, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase.
"Il y a des droits, notamment quand on est prévenu, pour voir sa famille, son avocat, pour préparer sa défense. C'est pour cela qu'un exil aux antipodes est extrêmement problématique."
Benoît Trépied, anthropologue au CNRSà franceinfo
La politique du tout sécuritaire n'a pas ramené la paix. Tant qu'on n'a pas mis tous les gens autour d'une table, et la CCAT est incontournable, la paix ne reviendra pas. Les gens vivent cela, une fois de plus, comme l'expression de la justice coloniale, de la prison coloniale et d'un État colonial.
Est-ce que cette décision peut relancer des tensions en Nouvelle-Calédonie ?
C'est déjà ce qui est en train de se passer malgré l'appel au calme. La Nouvelle-Calédonie, à l'heure actuelle, est toujours couverte de barrages qui ont l'étiquette CCAT. Toute cette organisation est extrêmement décentralisée. Moi personnellement, je ne crois pas à l'hypothèse défendue par l'État de dire que tout a été commandité, préparé. Ce n'est pas le cas.
"Les gens montent des barrages et ce qu'on a vu, ces dernières semaines, c'est au contraire Christian Tein et les autres aller sur des barrages pour essayer de faire baisser la pression."
Benoît Trépied, anthropologue au CNRSà franceinfo
Il n'y a pas de mainmise, ni de courroie de transmission directe, au contraire, chaque barrage est assez autonome. Ce qui s'exprime c'est l'expression d'une jeunesse kanak qui a dit "maintenant, on en a marre", "marre de repousser l'indépendance, donc on se mobilise et s'il faut tout péter, on va tout péter". Christian Tein et les autres, ils sont dans une position médiane, ils ont un lien avec ces gens mais ils sont aussi dans les partis politiques.
Le fait que l'Élysée a supprimé le projet de loi qui a mis le feu aux poudres, ça n'a rien changé ?
Comme disait Laurent Fabius en 1984, la France fait toujours trop peu et trop tard. Annoncer la suspension d'un projet qui de toute façon était désormais mort-né du fait de la dissolution n'a pas réduit les tensions, surtout que ça n'a pas été accompagné d'un processus politique. Le lendemain, ils arrêtent les gens de la CCAT, conclusion, on braque les uns, les autres mais on n'a pas une perspective de sortie construite sur le long terme et on ne l'aura pas tant que les élections ne se seront pas tenues. À l'heure actuelle, c'est le flou total. C'est autant le flou en Nouvelle-Calédonie qu'en France [hexagonale].
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