: Reportage "Il faut stopper l'hémorragie des prix" : en Martinique, "l'armée du ruban rouge" bloque un supermarché pour dénoncer la vie chère
Des caddies vides renversés pour bloquer l'accès au supermarché. Il n'est pas encore 8 heures, samedi 21 septembre, mais plusieurs dizaines de manifestants se rassemblent déjà devant le Carrefour Market du François, en Martinique. L'objectif : empêcher l'ouverture de l'enseigne afin de dénoncer le coût de la vie sur l'île. Un mode d'action qui se multiplie depuis le début du mouvement de contestation, enclenché il y a plusieurs semaines. "On ne va pas lâcher", assure Florence, bien décidée à se faire entendre face à des prix "qui ne sont plus raisonnables".
A l'entrée du barrage, une photo d'un pack d'eau à 7,99 euros a été collée sur une pancarte afin d'illustrer les tarifs pratiqués dans ce territoire d'outre-mer. Selon l'Insee, les produits alimentaires étaient "40% plus chers en Martinique qu'en France métropolitaine" en 2022. Et l'inflation continue d'alourdir la facture des Martiniquais, avec une hausse des prix de 3,2% sur les douze derniers mois, soit un point de plus que dans l'Hexagone.
"Je suis obligée de choisir entre payer mes courses et payer mon loyer", affirme une manifestante, toute de rouge vêtue. En quelques mois, cette couleur est devenue le signe de ralliement du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC). C'est cette "armée du ruban rouge", comme se surnomme le mouvement, qui est à l'origine de cette mobilisation et des principales actions contre la vie chère qui agitent l'île depuis l'été.
Face-à-face avec les gendarmes
"Nous avons les prix alimentaires de la Suisse... mais pas leurs salaires !", lance Rodrigue Petitot, le président du RPPRAC, bob rouge vissé sur la tête. Et pour cause, en Martinique, le taux de pauvreté est près de deux fois supérieur au taux de l'Hexagone, selon l'Insee. "On est là parce qu'il faut stopper cette hémorragie des prix", affirme cette figure du mouvement, que tout le monde surnomme "le R".
C'est lui qui, dès 6 heures du matin, a appelé au rassemblement dans cette ville de 15 000 habitants, à une vingtaine de kilomètres de Fort-de-France. La localisation n'a pas été choisie au hasard. La ville ne fait pas partie des quatre communes dans lesquelles "les manifestations et rassemblements revendicatifs" sont désormais interdits par un arrêté préfectoral publié la veille.
Cela n'a pas empêché une intervention rapide des forces de l'ordre. Aux alentours de 8h40, environ 45 gendarmes du département et du groupement mobile sont venus dégager l'accès au supermarché. En quelques minutes, le barrage est levé et les fourgons bleus s'interposent entre les manifestants vêtus de rouge et le supermarché. "Ce déploiement de force est disproportionné, s'insurge Rodrigue Petitot, en plein direct diffusé sur TikTok. C'est une forme de violence face à un peuple pacifique."
Si le déploiement des forces de l'ordre a rapidement tendu l'ambiance sur place, aucune violence n'est venue perturber l'action des gendarmes. Ces derniers, armés de lanceurs de balle de défense (LBD), ne bronchent pas face aux interpellations des manifestants, nombreux à filmer la scène et leur numéro d'identification RIO. "Il n'y a eu aucun contact physique avec les manifestants, nous avons simplement libéré l'accès pour permettre au magasin d'ouvrir et à ses employés de venir travailler", commente le lieutenant-colonel Franck, dont le groupement mobile est déployé sur l'île depuis quelques jours.
"Les voleurs sont derrière vous !"
Au fil de la matinée, le face-à-face se poursuit, au rythme de la musique antillaise diffusée par les manifestants. "Les voleurs sont derrière vous !", s'époumone une femme, à quelques centimètres des militaires. Derrière le magasin, ce sont tous les grands distributeurs implantés sur l'île qui sont pointés du doigt lors de ces mobilisations. "Ce sont eux qui gouvernent et qui ont toutes les richesses ici", affirme un autre manifestant, en t-shirt rouge.
Ce Carrefour Market a ainsi été ciblé, car, comme tous ceux de l'île, il appartient au Groupe Bernard Hayot (GBH), également propriétaire des enseignes Euromarché, Décathlon, Monsieur Bricolage, ainsi que des principaux réseaux de distribution de voitures sur l'île. Une concentration, héritée de l'époque coloniale, qui alimente la colère des habitants. "Nous demandons un contrôle de leurs marges et un alignement des prix sur l'Hexagone", explique Aude Goussard, secrétaire et membre fondatrice du mouvement.
Des revendications que le RPPRAC espère pouvoir faire entendre auprès des autorités de l'île. Une nouvelle table ronde sur le coût de la vie doit prochainement être organisée par la préfecture. "Nous souhaitons y participer, mais nous demandons que tout le peuple puisse y assister", explique Rodrigue Petitot, qui a déjà quitté les négociations à plusieurs reprises ces dernières semaines, faute de pouvoir les filmer et les diffuser en direct. Il prévient : "S'ils continuent à vouloir nous museler, nous ne nous mettrons plus à la table des négociations, nous la renverserons !"
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