Les Tziganes "souffrent de l'amalgame" avec les Roms
Chaque année, fin août, un grand rassemblement tzigane est organisé quelque part en France. Régulièrement confrontés à la méfiance des habitants, ils dénoncent l'amalgame avec les Roms.
SOCIETE - "Le voilà, le peuple tzigane! ", s'écrie Jimmy, balayant la foule du regard. Cinq mille caravanes agglutinées sur le tarmac d'un ancien aéroport militaire de Couvron, dans l'Aisne. "Fin août, depuis 60 ans, nos routes se croisent pour ce rassemblement", explique Kelly, une jeune gitane. "Tout se passe ici. Les affaires, parce qu'on ne vend qu'entre nous… Comme les histoires d'amour. Parce que c'est un peu pareil !", plaisante-t-elle.
C'est aussi - et surtout, diront certains - un rassemblement religieux orchestré par la Mission évangélique des Tziganes de France, Vie et Lumière. Le pasteur Georges "Jimmy" Meyer en est "le grand patron", murmure Kelly. "Il vient nous dire les miracles et la fin du monde." Elle se tait. Devant la foule rassemblée pour la prière, un enfant vient de monter sur scène. "Hier, il ne pouvait pas marcher, crie un pasteur à l'assemblée. Alors j'ai dit : 'Au nom de Jésus, marche'. Et l'enfant a marché !" L'assistance semble convaincue. Secoués d'un sanglot, Kelly et tous les autres s'exclament à leur tour : "C'est un miracle ! Un dieu guérisseur ! Amen. Dieu soit béni."
Cette manifestation, qui dure six jours, attire au total quelque 30 000 Tziganes. "C'est la deuxième fois en trois ans qu'ils débarquent", explique-t-on devant la boulangerie de Couvron. En 2009, le village a perdu sa base aérienne. Les Tziganes ont trouvé une nouvelle utilité à ce terrain abandonné. "Des gitans à la place des militaires", lâchent quelques habitants.
"Les habitants ont peur de l'insalubrité et de l'insécurité"
A un kilomètre du rassemblement, Vivaise, petit bourg de 800 âmes. Des barrages empêchent les Tziganes de passer. Pour s'identifier, les habitants arborent tous un morceau de papier aux couleurs de la communauté de communes. "Si quelqu'un circule dans les rues sans le badge, il risque une amende de 90 à 750 euros", explique un gendarme.
"Les habitants ont peur de l'insalubrité et de l'insécurité", dit-il. Pourtant, un service de nettoyage est à l'œuvre toute la journée sur le terrain de Couvron, rétorque-t-on chez les Tziganes. Question sécurité, rien à signaler non plus. Sous les tentes bleues plantées à l'entrée de l'ancienne base aérienne, les forces de l'ordre s'ennuient ferme : "Dans le coin, on enregistre moins de délinquance pendant le rassemblement", souligne Bernard Woitrain, adjoint chef du service interministériel de défense et protection civile de la préfecture de l'Aisne.
Pourtant, la méfiance a poussé certains commerçants à fermer boutique - à tort. "Cet afflux de gens profite aux commerces locaux", assure le préfet, Pierre Bayle, dans L'Union. "Les gitans ont de l'argent, ça fait grimper notre chiffre d'affaires un peu mou en plein mois d'août", témoigne la gérante d'une sandwicherie proche de la gare.
Mais la pilule ne passe pas. Les habitants, comme les élus, souhaitent que la base militaire serve pour des activités plus régulières - mais surtout plus prestigieuses que des rassemblements tziganes. Le 30 juin dernier, ils avaient manifesté pour faire annuler le grand raout religieux, rapportait L'Union. Sans résultat - sauf un durcissement des tensions entre les deux communautés. Un responsable de Vie et Lumière constate : "Ici, c'est comme partout ailleurs. Ces dernières années, nous avons des relations de plus en plus tendues avec les élus dans toute la France."
"C'est les Roms qui nous ont causé du tort"
"En fait, c'est les Roms de l'Est qui nous ont causé du tort", explique-t-il. "Nous, on est Français, on se rassemble pour notre religion, on ne cause pas de problèmes. On souffre de l'amalgame alors qu'on ne parle même pas leur langue."
Roms, manouches, gitans… Tous sont tziganes. Mais au sein de cette communauté, les Roms bulgares et roumains sont souvent mis à part, stigmatisés. "On n'a pas la même culture. On fait pas la manche nous, on nettoie nos caravanes…", se défend Etienne, un membre de Vie et Lumière.
Des crispations qui se renforcent depuis que les Roms font la une de l'actualité. "On récupère leur mauvaise image, et en plus, nous, on est oubliés des discussions politiques", lâche Ben, un manouche. Mercredi 22 août, le gouvernement a décidé d'"assouplir les contraintes" pesant sur l'accès au travail des Roms. "Et les problèmes des gens du voyage alors ?", s'interroge Etienne, amer.
Une citoyenneté limitée
Si les Roms n'ont aucun statut, les "gens du voyage", dont la majorité a la nationalité française, sont soumis à une loi de 1969 qui leur reconnaît une citoyenneté limitée. Elle impose notamment "un quota de 3% maximum de gens du voyage pouvant être rattachés et donc voter dans une commune", rappelle le site Dépêches tsiganes. Leur inscription sur les listes électorales est donc un vrai casse-tête.
Pierre Hérisson, sénateur UMP et président de la Commission nationale consultative des gens du voyage, a d'ailleurs profité du rassemblement à Couvron pour exposer la loi qu'il a déposée le 31 juillet sur le statut juridique de cette communauté. "Il a notamment parlé de reconnaître la caravane comme un domicile, se réjouit Sarah, la mère de Kelly. Ça nous changerait la vie." Plus de carnets de circulation à faire tamponner tous les trois mois par la gendarmerie. "Si on ne fait pas ça aujourd'hui, c'est amende, puis prison. Mon papi a fait un mois de prison pour ça, s'indigne Alison, la sœur. C'est comme une puce qu'ils nous mettent pour nous suivre. Et puis s'il y a un vol, ils disent que c'est nous."
"David contre Goliath"
"On doit se battre. Tous ensemble, on est plus forts. Tous ensemble, on sera gagnants. C'est David contre Goliath", crie Jimmy Meyer. "Il n'y a pas assez de terrains d'accueil, pas assez de grands terrains, souligne Noël, un autre membre de la communauté. On récupère les endroits insalubres, avec de la terre sèche, sous les lignes haute tension, sans électricité, sans poubelles." "C'est très important de se réunir pour que les choses changent maintenant", insiste Etienne.
Les Tziganes voyagent de père en fils, de mère en fille. "Nous avons toujours voyagé. Si vous nous mettez en cage, nous sommes malheureux. C'est notre vie, c'est comme ça qu'on se sent bien", témoigne Sarah. Après le rassemblement, ils reprendront la route car les vendanges commencent. "Depuis qu'on a 12 ans, on le fait toutes les saisons", insistent ses filles, qui ne sont jamais allées à l'école. A 18 et 19 ans, elles sont toutes deux enceintes. "C'est tout ce qu'on veut ! Avoir le permis pour voyager et profiter de la vie avec nos enfants et un homme", sourient-elles, une main sur le ventre.
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