Les trois collégiennes placées en garde à vue la semaine dernière à Paris ont bien été menottées
Elles l'ont été pendant leur transfert vers un cabinet médical, a indiqué jeudi une source policière, confirmant la version des parents.
Les conditions de mise en garde à vue de ces trois adolescentes de 14 ans, après une bagarre à la sortie de leur collège, a relancé la polémique sur les gardes à vue en France.
Les jeunes filles auraient bien été menottées durant leur transport du commissariat de police du XXe arrondissement de Paris à un cabinet médical situé dans le XVIIIe, a établi l'enquête de l'Inspection générale des services (IGS, "police des polices"), selon cette source, non confirmée par la préfecture de police de Paris. Les parents des collégiennes avaient encore affirmé mercredi soir que leurs filles avaient été menottées, ce que les policiers avaient dans un premier temps contesté.
Rappel des faits
L'affaire a éclaté quand les parents des trois collégiennes ont protesté contre les conditions de mise en garde à vue de leurs filles, après une bagarre près de leur collège du XXe arrondissement de Paris. L'Inspection générale des services (IGS) a été officiellement chargée d'une enquête administrative sur cette affaire.
"Je comprends très bien qu'on demande des explications après une bagarre, qu'il y ait une convocation au commissariat, mais je trouve le dispositif d'interpellation au domicile suivi d'une garde à vue complètement disproportionné", a confié la mère d'Anne, l'une des trois adolescentes, qui n'a pas souhaité communiquer son nom.
Selon les parents, les trois adolescentes seraient intervenues le 2 février dans une bagarre pour séparer une jeune fille de 16 ans et un garçon de 14 ans qui l'agressait. Pour les policiers, les trois collégiennes participaient à l'agression. Deux d'entre elles ont été interpellées le lendemain au collège, avec l'accord du proviseur. La troisième, Anne, souffrante selon sa mère, a été interpellée chez elle à 10h30 et emmenée en jogging, la tenue dans laquelle elle dormait.
Dès le départ, elles ont affirmé qu'elles avaient été menottées lors de leur transfert du commissariat du XXe arrondissement vers un centre médical. Ce que semblent confirmer les premiers éléments de l'enquête de l'IGS. Leur avocat, Me Jean-Yves Halimi, a rappelé que les conditions d'utilisation des menottes sont très encadrées et limitées "à une dangerosité pour soi-même ou pour autrui, ou un risque de fuite" et doivent être d'autant plus limité qu'il s'agit d'enfants.
Anne a également été prise en photo de face et de profil, "comme les grands bandits", s'est énervée sa mère. "C'est délirant, un terroriste n'aurait pas été traité différemment", a-t-elle ajouté au micro de France Info.
D'après la loi, un enfant de 13 à 16 ans peut être placé en garde à vue pendant 24 heures, si des indices laissent penser qu'il a commis ou tenté de commettre une infraction. Les trois adolescentes ont été remises en liberté au bout de douze heures pour deux d'entres elles et dix pour Anne. Le garçon impliqué dans la bagarre, interpellé dès le 2 février, a lui passé 25 heures en garde à vue. Ils sont tous convoqués chez le délégué du procureur, avec "une lettre d'excuses". Anne est convoquée le 16 mars, selon son avocat.
Réactions de parlementaires
Lors d'un débat au Sénat sur la garde à vue, les intervenants, quelle que soit leur couleur politique, ont souligné l'explosion du nombre des gardes à vue ces dernières années et déploré une "banalisation" de cette mesure.
L'ex-ministre PS de la Justice et sénateur des Hauts-de-Seine, Robert Badinter, a déploré mardi "les conditions scandaleuses" de certaines gardes à vue et les "humiliations" infligées aux personnes retenues. Selon lui, "il n'y aura jamais qu'une seule garantie qui mettra un terme à tous les abus: la présence de l'avocat lors de l'interrogatoire".
"J'ai connu une garde à vue où j'ai signé n'importe quoi pour qu'on me libère au plus vite", a témoigné le sénateur UMP René Vestri.
"La France, pays des droits de l'Homme, est le mauvais élève de la classe" en Europe, a déclaré Jacques Mézard (Rassemblement Démocratique et Social Européen). "Il nous faut une réforme rapidement, une réforme profonde", a ajouté le parlementaire.
De son côté, le député Nouveau centre François Sauvadet estime qu'il y a "un vrai problème de garde à vue" en France.
Le président des députés UMP, Jean-François Copé, a annoncé mardi un "travail de réflexion" au sein de son groupe sur la garde à vue, après la révélation de pratiques "pour le moins troublantes".
Gardes à vue: hausse de 35 % en 5 ans
Officiellement, la police a procédé à 577.816 gardes à vue en 2008, ce qui représente une hausse de 35 % par rapport à 2003. Mais selon un journaliste de France Info, Matthieu Aron, qui vient d'écrire un livre sur le sujet ("Gardés à vue"), les statistiques officielles "oublient" les gardes à vue pour infractions routières. La réalité serait plus proche de 800.000.
L'actuel système de garde à vue permet aux policiers de placer en cellule et d'interroger à leur guise toute personne pendant une durée de 48 heures en droit commun, quatre jours en matière de terrorisme, drogue et crime organisé.
Selon les avocats, le principe juridique dit de "proportionnalité", qui impose à tout policier de lier l'usage de la contrainte à l'ampleur des faits et aux nécessités de l'enquête, et à faire usage si possible d'une simple convocation, n'est plus respecté. Dans toute la France, la profession demande l'annulation des gardes à vue sur le fondement d'arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme. Pour la Cour, l'avocat doit pouvoir être présent dès la première heure de garde à vue et doit pouvoir se faire communiquer le dossier du prévenu.
Ces derniers mois, plusieurs juridictions de première instance, notamment à Bobigny et à Paris, ont annulé des gardes à vue dans lesquelles le mis en cause n'avait pas pu avoir accès à un avocat dès le début de la mesure de privation de liberté. Ces juridictions estiment que leurs défenseurs n'ont pu exercer pleinement les droits prévus par les textes européens.
Pour le ministère de la Justice, le régime français, qui permet l'accès à un avocat pendant trente minutes au début de la garde à vue, sans accès au dossier, est conforme aux normes européennes.
Vers une réforme du système
"Je suis attentive à ce que les conditions de la garde à vue ne portent pas atteinte à la dignité de la personne", a déclaré mardi au Sénat le garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, ajoutant que cette "exigence serait inscrite dans le futur code de procédure
pénale".
"Personne ne met en cause le travail des policiers et gendarmes, mais il est important de recentrer la garde à vue sur ce qu'elle est: un instrument d'enquête", a estimé Mme Alliot-Marie, jugeant "essentiel" d'en "limiter l'usage aux nécessités réelles de l'enquête".
De son côté, le ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux a envisagé mercredi une réforme de la garde à vue, mais pas "en catimini". "Nous sommes prêts à accompagner une réforme qui viserait à mieux protéger les droits et la dignité des personnes dès lors qu'elle ne nuit pas à l'efficacité des enquêtes et la lutte contre la délinquance. Il ne s'agit pas de stigmatiser la police et les gendarmes", a-t-il déclaré à l'Assemblée nationale.
Des propositions de loi de l'opposition
Deux parlementaires Verts, Noël Mamère et Alima Boumediene-Thiery, ont présenté mardi une proposition de loi visant à limiter les gardes à vue aux infractions passibles d'une peine d'emprisonnement supérieure à cinq ans. En de ça, elles seraient soumises à une autorisation de la justice. L'avocat pourrait être présent dès le début de la garde à vue, aurait accès au dossier pénal et assisterait aux interrogatoires.
Les députés PS ont aussi annoncé le dépôt d'un texte similaire: tout gardé à vue devrait immédiatement faire l'objet d'une audition, assistée d'un avocat s'il en fait la demande". Le texte sera débattu le 25 mars lors de leur journée d'initiative parlementaire.
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