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"La question posée par Fillon pour le référendum n'est pas constitutionnelle"

La proposition de Fillon concernant le référendum sur la formation des chômeurs est extrêmement précise, même chiffrée. Cela peut-il avoir une influence sur l'issue du vote ? Les explications de FTVi.

Article rédigé par Ariane Nicolas - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
En France, neuf référendums ont été soumis à la population sous la Ve République. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

"Approuvez-vous un projet de loi qui permette de transférer les 30 milliards d'euros alloués à la formation professionnelle, à la formation des demandeurs d’emploi ?" François Fillon a dévoilé vendredi 17 février sur RTL la question qui pourrait être soumise par référendum aux Français en cas de réélection de Nicolas Sarkozy. Selon Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à Paris I - Sorbonne, elle n'est pas conforme à la loi française.

Est-il possible de poser une question chiffrée à un référendum ?

Dominique Rousseau : Pour répondre à cette question, il faut d'abord rappeler aux lecteurs sur quoi un référendum peut porter. L'article 11 de la Constitution permet de faire un référendum pour "tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent (...)". Sur le fond, à savoir la formation des chômeurs, la proposition de Nicolas Sarkozy est donc acceptable.

En revanche, d'un point de vue juridique, un référendum doit renvoyer à une question de principe. Tout ce qui concerne l'élaboration d'une loi sur ce sujet relève de la négociation entre les partenaires sociaux, négociation qui peut être effectuée en amont ou en aval du vote populaire. Le chiffrage prévu dans la question que propose François Fillon ne rentre donc pas dans le champ du référendum.

Pour qu'elle passe, il faudrait que la question soit beaucoup plus générale, par exemple : "Approuvez-vous le projet de loi qui prévoit le transfert de financement entre la formation professionnelle et celle des demandeurs d'emploi ?"

Cette question a-t-elle quand même une chance de passer telle quelle ?

Depuis la révision constitutionnelle de 2008, les propositions ou projets de loi soumis à un référendum doivent être d'abord validés par le Conseil constitutionnel. Or dans ce cas précis, la précision du projet de loi est contraire à la Constitution qui ne permet à la loi que de fixer les principes généraux. Les conventions et accords doivent être fixés par les partenaires sociaux.

La question soumise par François Fillon entre en contradiction avec l'article 8 du préambule de la Constitution de 1946. Cet article prévoit que travailleurs et organisations professionnelles "participent à la détermination des conditions collectives de leur travail". Un référendum qui passerait outre cette problématique serait donc contraire à la Constitution. Un des principes de la démocratie sociale, c'est bien de faire participer les partenaires.

Pourquoi avoir choisi de poser une question aussi précise ?

Quelle que soit la qualité ou la précision de la question, l'électorat s'intéresse davantage au contexte politique qu'à la question elle-même. En 2005, les Français étaient effectivement contre le Traité européen mais ils ont surtout voulu dire "non" à Jacques Chirac. Idem en 1969, où les Français ont profité du référendum pour faire partir De Gaulle mais se sont peu intéressés au thème de la régionalisation sur lequel portait pourtant la question.

En France, plus que dans d'autres pays, le référendum a progressivement glissé vers le plébiscite. L'électorat accorde beaucoup plus d'importance à la personne qu'à la question posée. Le référendum est en fait un faux instrument de démocratie. On élude l'étape de la discussion et de la délibération et on cherche directement la fusion entre le corps du peuple et du prince. 

Un référendum pourrait avoir une réelle dimension démocratique si les citoyens avaient la possibilité de poser la question eux-mêmes. Nicolas Sarkozy, qui dit 'rendre le pouvoir au peuple' fait une erreur constitutionnelle : il ne rend pas le pouvoir au peuple. Peut-être que le peuple n'a pas du tout envie de se prononcer sur la formation des chômeurs, parce que ce n'est pas son problème. Peut-être qu'il préfèrerait se prononcer sur le droit au logement, par exemple. 

 

Pour mémoire : toutes les questions posées sous la Ve République :

1958 (De Gaulle) : Approuvez-vous la Constitution qui vous est proposée par le Gouvernement de la République?

1961 (De Gaulle) : Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant l'autodétermination des populations algériennes et l'organisation des pouvoirs publics en Algérie avant l'autodétermination ?

1962 (De Gaulle) : Voulez-vous que l'Algérie devienne un Etat indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par les déclarations du 19 mars 1962 ? (une référence aux accords d'Evian et au cessez-le-feu, ndlr)

1962 (De Gaulle) : Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et relatif à l'élection du président de la République au suffrage universel ?

1969 (De Gaulle) : Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat ?

1972 (Pompidou) : Approuvez-vous, dans les perspectives nouvelles qui s'ouvrent à l'Europe, le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République, et autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la Grande-Bretagne, du Danemark, de l'Irlande et de la Norvège aux Communautés européennes ? 

1988 (Mitterrand) : Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie ?

1992 (Mitterrand) : Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République autorisant la ratification du traité sur l'Union européenne ? 

2000 (Chirac) : Approuvez-vous le projet de loi constitutionnelle fixant la durée du mandat du Président de la République à cinq ans ?

2005 (Chirac) : Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe ?

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