La garde à vue du maître d'hôtel soupçonné d'avoir enregistré clandestinement Liliane Bettencourt a été levée
Il n'a pas été cité à comparaître devant la justice, a-t-on appris vendredi de source judiciaire.
En revanche, la garde à vue d'un informaticien depuis jeudi après-midi, a été prolongée de 24 heures. Dans le même temps, son épouse, une ancienne comptable de Mme Bettencourt, a été placée en garde à vue vendredi, selon Europe 1.
Cette comptable est soupçonnée d'avoir dérobé des documents comptables avant son départ.
Le maître d'hôtel ne souhaitait pas nuire, selon son avocat
La garde à vue du maître d'hôtel, interrogé depuis 48 heures par la police, "a été levée dans l'attente de la poursuite des investigations", selon la source judiciaire citée plus haut. Il est accusé d'avoir enregistré clandestinement les conversations de la propriétaire de L'Oréal et de plusieurs de ses proches, entre mai 2009 et mai 2010, dans son hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Pour sa part, l'informaticien est soupçonné d'avoir copié les enregistrements sur des CD-roms.
L'ex-maître d'hôtel est sorti "fatigué" mais "soulagé" de sa garde à vue, a déclaré son avocat, Me Antoine Gillot. "Mon client ne se considère pas comme un espion, il assume ses actes", a-t-il poursuivi. "En aucune façon, comme j'ai pu le lire, (il) n'a souhaité piéger Mme Bettencourt. En aucune manière, il n'a souhaité lui nuire, bien au contraire, parce que je pense que ce que révèlent ces enregistrements montre qu'en réalité dans cette affaire il y a une victime importante, c'est Mme Bettencourt ", a encore dit Me Gillot.
Révélés par le site Médiapart et Le Point, qui en ont publié des extraits, les documents incriminés mettent en lumière la fragilité psychologique de Liliane Bettencourt, 87 ans.
Ils révèlent aussi des opérations financières destinées à échapper au fisc, des immixtions de l'Elysée dans une procédure judiciaire, ainsi que les liens entre la milliardaire et le ministre du Travail, Eric Woerth, et son épouse.
Plaintes de Mme Bettencourt et de M.Banier
Liliane Bettencourt et le photographe François-Marie Banier ont porté plainte vendredi, notamment pour atteinte à la vie privée, après la découverte de ces enregistrements.
Ces enregistrements clandestins ont été transmis à la police par la fille unique de la milliardaire, Françoise Bettencourt-Meyers. Celle-ci cherche depuis deux ans à faire condamner pour "abus de faiblesse" François-Marie Banier, à qui sa mère a fait don de près d'un milliard d'euros.
Quel a été le rôle de la fille de Mme Bettencourt ?
Selon Françoise Bettencourt -Meyers, M. Banier aurait profité de la fragilité de sa mère pour obtenir les dons. Des accusations démenties par l'intéressé et par Liliane Bettencourt qui assurent que ces cadeaux ont été librement consentis.
"Françoise Bettencourt n'espère qu'une seule chose: c'est que cette emprise disparaisse et qu'elle puisse recontacter sa mère", a déclaré son avocat, Me Metzner. L'affaire des enregistrements, "ce n'est pas une opération montée par sa fille. Il y a simplement un salarié qui, écoeuré, a démissionné. Mais avant de démissionner, il a pris quelques précautions, semble-t-il, (...) et l'a remis à Françoise Bettencourt, qui l'a remis aux services de police", a-t-il dit.
De son côté, Me Georges Kiejman, avocat de Liliane Bettencourt, a réaffirmé n'avoir "aucun doute" sur le rôle joué par la fille de la milliardaire dans ces enregistrements clandestins. "Depuis plusieurs mois, elle fait espionner par un domestique les propos de sa mère", a-t-il assuré en jugeant ce procédé "scandaleux". D'autant plus, a-t-il ajouté, que "ça peut se prêter à toutes les falsifications, il peut très bien s'agir de voix des gens remaniées dans un laboratoire". "On est en droit d'envisager raisonnablement que les domestiques de Mme Bettencourt sont soudoyés", a-t-il ajouté, rappelant d'autres dépositions d'anciens domestiques de Lilianne Bettencourt figurant au dossier.
Le procureur de Nanterre Philippe Courroye a classé sans suite la plainte de Françoise Meyers le 3 septembre 2009, mais en vain. Après une citation directe, le photographe sera quand même jugé du 1er au 6 juillet prochain.
Une enquête préliminaire pour "atteinte à la vie privée" avait déjà été ouverte en début de semaine par le parquet de Nanterre sur ces enregistrements embarrassants.
Les révélations de Médiapart et du Point
Le site Médiapart et Le Point avaient révélé mercredi la teneur d'enregistrements pirates entre Mme Bettencourt et ses conseillers, transmises à la justice par Françoise Meyers-Bettencourt, la fille de Liliane, et effectuées par le maître d'hôtel.
Les conversations enregistrées "révèlent les fragilités d'une vieille femme de 87 ans, mais aussi diverses opérations financières destinées à échapper au fisc, des relations avec le ministre Eric Woerth et son épouse, ainsi que les immixtions de l'Elysée dans la procédure judiciaire", selon Mediapart.
Dans l'un des extraits des enregistrements, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt , Patrice de Maistre, évoque l'implication d'Eric Woerth, alors ministre du Budget, dans un dossier concernant la construction d'un auditorium "André Bettencourt ", du nom du mari défunt de l'héritière de L'Oréal.
"Ils ont obtenu un bâtiment de l'Hôtel de la Monnaie (...) Et ça, c'est mon ami Eric Woerth dont la femme travaille pour nous, qui s'en est occupé. Et maintenant, il faut faire des travaux pour faire un auditorium (...). Là, vous vous engagez pour donner au maximum 10 millions (...) J'ai demandé au ministre Eric Woerth, qui est un ami, d'être là, parce que c'est grâce à lui qu'il y a eu l'Hôtel de la Monnaie", déclare M. de Maistre à la milliardaire, dans cette conversation du 27 octobre 2009.
Faisant référence à la femme du ministre, Florence Woerth, chargée de la gestion de la fortune Liliane Bettencourt entre 2007 et début 2010, M. de Maistre indique à Mme Bettencourt : "je pense qu'il faut que j'aille voir son mari et que je lui dise que avec le procès (...) on peut plus avoir sa femme. Et puis on lui donnera de l'argent et puis voilà".
Selon les enregistrements, l'Elysée serait intervenu dans une procédure judiciaire
Les documents audio révèlent aussi des immixtions de l'Elysée dans la procédure judiciaire qui oppose la milliardaire à sa fille, inquiète des sommes versées au photographe et écrivain François-Marie Banier, qui avoisineraient le milliard.
Lors d'une conversation privée du 23 avril 2010, le gestionnaire de la fortune de Mme Bettencourt , Patrice de Maistre, aurait expliqué à la milliardaire avoir vu Patrick Ouart, conseiller pour les affaires judiciaires de Nicolas Sarkozy jusqu'à la fin 2009.
"Il a voulu me voir l'autre jour et il m'a dit: 'M. de Maistre, le président continue de suivre ça de très près ... En première instance, on ne peut rien faire de plus, mais on peut vous dire qu'en cour d'appel, si vous perdez, on connaît très, très bien le procureur'", aurait affirmé M. de Maistre dans cet entretien cité par Mediapart. L'Elysée a répondu n'avoir "aucun commentaire" à faire.
Des évasions fiscales et une île aux Seychelles ?
Les enregistrements, toujours selon Médiapart et Le Point, font aussi état de discussions fiscales entre la milliardaire et Patrice de Maistre. Le gestionnaire conseille notamment de transférer un compte de Suisse à Singapour : "la France peut demander aux Suisses si vous avez un compte là-bas. Je suis en train de m'en occuper et de mettre un compte à Singapour. Parce qu'à Singapour, ils ne peuvent rien demander".
Selon les enregistrements clandestins, Liliane Bettancourt aurait disposé de comptes bancaires non déclarés en Suisse pour un montant de près de 80 millions d'euros.
D'après Médiapart, l'hebdomadaire Le Point et le quotidien Libération, Liliane Bettencourt serait également la propriétaire d'une île des Seychelles, D'Arros, qu'elle n'aurait pas déclarée au fisc français.
Le site internet du Conseil national du tourisme seychellois indique que D'Arros fait partie du groupe des Amirantes, située à 255 kilomètres au Sud-Ouest de la capitale, Mahé. Selon ce site officiel, l'îlot a été racheté par le prince iranien Shahram Pahlavi-nia en 1975, avant d'être cédé en 1998 "à un nouveau propriétaire privé", qui n'est pas nommé. Libération indique avoir consulté des documents selon lesquels Liliane Bettencourt a racheté cette île à la famille du shah d'Iran "au terme de contrats signés le 16 février 1999".
L'affaire prend un tour politique
Marine Le Pen, vice-présidente du Front national, a estimé vendredi que l'affaire Bettencourt pourrait se transformer en "Sarkogate". Une allusion à l'affaire du Watergate aux Etats-Unis qui avait entraîné la démission du président Richard Nixon en 1974.
"Si cette affaire et si ces enregistrements se révèlent vrais, tout comme l'affaire de Karachi, nous sommes face là à un scandale d'État qui doit entraîner la démission du président de la République ou sa destitution", a-t-elle déclaré.
"Cette affaire n'en est probablement qu'à ses débuts, j'espère qu'elle n'en restera pas là", a ajouté la dirigeante d'extrême droite.
Elle s'en est également pris à l'actuel ministre du Travail, Eric Woerth. Marine Le Pen a ajouté avoir également dénoncé de longue date la "double casquette" du ministre du Budget de l'époque, Eric Woerth, devenu ministre du Travail, qui était "en même temps trésorier de l'UMP", poste qu'il occupe toujours. "C'est le mélange absolu des genres", a-t-elle déploré.
Eric Woerth se défend
Eric Woerth, actuel ministre du Travail, et qui était ministre du Budget de mai 2007 à mars 2010, s'est défendu jeudi d'être intervenu en faveur de la situation fiscale de Liliane Bettencourt. Dans un communiqué, il a estimé que ces allégations visaient à porter atteinte à sa réputation, au moment où, en tant que ministre du Travail, il présente la réforme des retraites. "Ce qui ne me semble pas relever du hasard", a-t-il écrit.
"Ce sont des allégations totalement dénuées de fondement. Elles sont d'autant plus ridicules que je rappelle qu'en tant que ministre du Budget j'ai mené une lutte acharnée contre l'évasion fiscale et les paradis fiscaux", a-t-il ajouté. Un peu plus tôt, sur RTL, Eric Woerth avait cependant jugé "possible qu'il y ait eu des dons dans le cadre de la campagne" pour les élections régionales des 14 et 21 mars 2009". La ministre de l'Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, était alors la candidate de la majorité présidentielle en Ile-de-France.
Lire aussi :
-> Sur Mediapart : Sarkozy, Woerth, fraude fiscale : les secrets volés de l'affaire Bettencourt
-> Sur le site du Point : Les enregistrements secrets, le maître d'hôtel et la milliardaire
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