L'égalité des chances à l'école, le vœu pieux de l'Education nationale
La Cour des comptes épingle les différences de moyens consacrés aux élèves selon leur lieu de scolarisation. Un constat d'échec pour les politiques "d'égalité des chances" qui se sont mutipliées.
La Cour des comptes sait à merveille pointer du doigt les dépenses excessives de l'Etat ou l'opacité de sa comptabilité. Mais ses observations remettent parfois en cause bien plus que des chiffres. Dans un rapport d'observations, dont Le Monde publie des extraits vendredi 13 avril, les magistrats se sont penchés sur la répartition des moyens financiers consacrés à l'enseignement primaire et secondaire sur l'ensemble du territoire.
Mauvaise surprise : les élèves en zones défavorisées, loin de concentrer l'essentiel des moyens, reçoivent moins que les autres. Pour la Cour, il est clair que "le système éducatif se caractérise par des inégalités territoriales de toutes natures". Pour l'Education nationale, c'est justement là que le bât blesse, dans sa difficulté à promouvoir cette "égalité des chances" si chère à la République.
Les établissements difficiles reçoivent moins d'argent
ZEP : depuis 30 ans, cet acronyme symbolise à lui seul les efforts des pouvoirs publics dans ce domaine… et leur échec. Le grand principe des Zones d'éducation prioritaire date de 1981 mais a connu de multiples relances. Aujourd'hui, l'éducation prioritaire concerne au sens large - si l'on regroupe les Réseaux ambition réussite (RAR) et et les Réseaux de réussite scolaire (RSS) - 1 076 collèges (environ 20% des collégiens) et 6 549 écoles, selon le ministère de l'Education nationale.
Par définition, ces réseaux ont vocation à recueillir davantage de moyens. Et pourtant : selon la Cour des comptes, en 2010, l'Etat a dépensé 47% de plus pour un élève de l'académie de Paris que pour un élève de l'académie de Créteil, qui compte davantage d'établissements relevant de l'éducation prioritaire.
Les enseignants fuient les écoles sensibles
Pourquoi un tel écart ? Il est le symptôme d'un des points noirs du système : alors que ces zones concentrent les plus grandes difficultés, elles ont le corps enseignant le moins expérimenté. Les profs au salaire le plus élevé, qui sont aussi ceux qui ont le plus d'ancienneté et donc la priorité dans leux choix d'affectation, fuient les établissements les plus sensibles.
La prime annuelle de 1 156 euros promise aux enseignants (le ministre, Luc Chatel, a d'ailleurs proposé en janvier de la compléter à la rentrée 2012 d'une prime de mérite pouvant aller jusqu'à 2 400 euros) n'y change rien. "Les enseignants l'ont plus vue comme une compensation que comme une incitation", explique Agnès van Zanten, qui travaille sur les politiques éducatives à l'Observatoire sociologique du changement de Sciences Po.
Des moyens réels mais trop dilués
En termes d'heures d'enseignement, les établissements en éducation prioritaire bénéficient bien de davantage de moyens : le nombre d’élèves par classe y est de 22,2 en RAR contre un peu plus de 24 en école "ordinaire". Mais, comme le soulignait en septembre 2011 un rapport du Conseil économique, social et environnemental intitulé "Les inégalités à l'école", "ce différentiel est hors de proportion avec les enjeux du contexte".
De fait, le taux d'élèves en situation de retard scolaire à l'entrée en 6e y est deux fois plus important que dans les établissements ordinaires, selon les chiffres de l'Education nationale.
Le rapport dénonce un "saupoudrage" de moyens mis en avant par tous les observateurs. "Le problème de l'éducation prioritaire, c'est qu'il y a eu une extension importante des zones, et ce n'est que tardivement qu'on a établi une hiérarchie, relève Agnès van Zanten. On a étendu le dispositif sans augmenter les moyens." Le ministre de l'Education nationale lui-même en dresse un bilan plus que mitigé.
Les effets pervers de l'assouplissement de la carte scolaire
Dans ce contexte, les enseignants ne sont pas les seuls à fuir les établissements "prioritaires". Les parents qui le peuvent sont nombreux à faire en sorte que leur enfant n'y soit pas scolarisé. Et la réforme de la carte scolaire n'a rien arrangé. Destinée à l'origine à mettre fin aux passe-droits en permettant à toutes les familles de choisir leur établissement, elle a eu un effet pervers pour les établissements en ZEP.
Selon un rapport de l'Ecole d'économie de Paris (en PDF), "l’augmentation du nombre de dérogations accordées pour éviter ces collèges a entraîné une diminution des effectifs scolarisés en 6e entre 2006 et 2009, de l’ordre de 5% pour les collèges des réseaux de réussite scolaire et de 9% pour les collèges 'ambition réussite'". Or, les demandes de dérogation sont plus rares dans les milieux défavorisés, diminuant encore la mixité sociale au sein de ces établissements.
Les internats d'excellence, bons pour le renouvellement des élites...
Pour lutter contre les inégalités liées au milieu d'origine des élèves, un autre type de programmes a récemment vu le jour, qui doit permettre aux meilleurs élèves d'avoir toutes les chances de réussite. Dans le secondaire, ce sont les "internats d'excellence" mis en place pendant le dernier quinquennat.
Actuellement au nombre de 26, ceux-ci mettent à disposition "des élèves qui en ont le plus besoin un établissement innovant dans son fonctionnement et son offre pédagogique et éducative". Au contraire de l'éducation prioritaire, le dispositif est très ciblé : il concernait un peu plus de 2 000 élèves en 2010-2011.
Mais là aussi, les spécialistes redoutent des effets pervers. "Du point de vue de l'élève, il y a un gain évident car cela [lui] permet de sortir de [son] cadre pour aller dans un établissement meilleur", développe Agnès van Zanten. Mais cette initiative marque aussi "un abandon d'une logique collective de lutte contre les inégalités".
... mais n'agissent en rien sur la lutte contre l'échec
Non seulement cette initiative ne concerne que les élèves aux meilleurs résultats, mais elle affaiblit doublement les autres en dépouillant les établissements, souvent sensibles, de leurs meilleurs éléments. Pour Agnès van Zanten, la priorité accordée à ce genre de programmes, qui relève du "renouvellement de l'élite", est inquiétante.
"Il y a un tournant important dans la politique éducative, qui tend à substituer ce type de dispositif aux dispositifs de lutte contre l'échec", explique-t-elle. Or, "ce sont deux aspects totalement différents de la politique éducative". Le premier est "attractif et consensuel", reconnaît la chercheuse. Mais "que faire avec la grande masse d'élèves en difficulté ? Ça, c'est beaucoup moins consensuel et beaucoup plus difficile."
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