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En quelques "likes" sur Facebook, le basculement dans la communauté des candidates au jihad

Francetv info a passé un mois au cœur des réseaux sociaux des jeunes Françaises radicalisées, sous un faux profil Facebook. Récit.

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
En quelques clics sur Facebook, Sara s'est retrouvée dans un réseau parallèle, entre rappels islamiques et conseils pour rejoindre les jihadistes de l'EI.  (REUTERS / FRANCETV INFO )

"Assalam aleykoum mes sœurises [cœur] voici 10 perles de conseils pour le bonheur de la femme ! A lire inchaAllah [cœur]" : voici ce que découvre Sara L. en ouvrant Facebook, jeudi 13 novembre. "Démé, c'est pas parce que tu like toutes les photos de filles qu'elles vont s'intéresser à toi !" peut lire Suzanne B. de son côté, le même jour. Créés le 9 octobre pour comprendre le rôle des réseaux sociaux dans le parcours des adolescentes françaises candidates au jihad en Syrie, les faux comptes de Sara et Suzanne sont identiques : une Française de 15 ans, scolarisée à Janson-de-Sailly, dans le 16e arrondissement de Paris. 

Des amies en niqab

La différence, c'est que Sara a "liké" (aimé) la page "Ummah charity", l'ONG "d'aide humanitaire qui vise à alléger les souffrances des populations les plus pauvres du monde", qui porte le nom de la communauté des musulmans au-delà des nations. Elle a ajouté comme amis une dizaine de personnes qui, eux aussi, avaient suivi cette page. Tandis que Suzanne ajoutait dans son réseau autant d'élèves de son supposé lycée, et "likait" les pages de One Direction et Beyoncé. Sur le profil de cette dernière, rien à signaler. C'est le fil classique des adolescents : des fautes d'orthographe à la pelle et autant de selfies à la moue boudeuse.

Mais celui de Sara prend instantanément une autre tournure. Plus aucun visage n'apparaît dans les suggestions d'amis : ce sont quasi-exclusivement des jeunes filles intégralement voilées. Plus aucune identité complète non plus. Elles s'appellent "Umm" ou "Oum" ("mère" en arabe), "Rappel", "Ta Sœur", "Créature du créateur", "Perle d'Islam", "Fière de Mon voile" ou encore un prénom suivi de "convertie" ou "Fi Allah", ("avec Dieu" en arabe). Et certaines de préciser : "N'accepte pas d'homme." 

Hijab et rappels islamiques

Ici, les tutoriels expliquent comment mettre son hijab. Mais les jeunes filles n'échappent pas aux modes des statuts participatifs. En 48 heures, au moins 6 de mes 40 amies ont demandé à leurs contacts ce qu'elles voulaient faire plus tard. Reviennent régulièrement : femme au foyer, infirmière, médecin ou couturière de jilbab.

Mais surtout, elles inondent leurs publications d'aides à l'apprentissage de l'islam et de "rappels islamiques". Des versets du Coran ou des hadiths, des paroles rapportées du prophète Mahomet, citées sur des dizaines de lignes à l'orthographe malhabile. Ou bien postées grâce à des montages photos. Les plus anodins apparaissent sur fonds colorés, plus ou moins assortis de cœurs, fleurs et d'émoticônes de baisers. D'autres prescrivent des gestes du quotidien. Ils sont parfois carrément culpabilisants. 

 

"A ski parai jmanipule des gens au collège ! Pske j'leur parle D'Islam Mais a cette heurs ci al HamdouliLlah grâce a Allah Azzawajel Une fille de ma classe c converti !", se félicite une Parisienne immédiatement encouragée par une pluie de likes, d'émoticônes cœurs et diamants. 

"La vérité sur l'Etat islamique"

Au fur et à mesure, j'ajoute les jeunes femmes suggérées par Facebook. Quasiment personne ne me demande qui je suis ni d'où je viens. En revanche, quand je poste le simple statut "trop triste", je reçois du soutien immédiat en message privé et en commentaires, ainsi qu'un lien : "Quand tu es triste rappelles toi qu'Allah t'éprouve et t'aime"Le même statut récolte un malheureux "like" chez Suzanne... Je vois aussi apparaître, partagées par mes "sœurs", des vidéos "d'enfants syriens sauvés des décombres" et les publications de la page "La vérité sur l'Etat islamique". 

Depuis, Facebook a supprimé cette page, qui relayait notamment les vidéos du groupe terroriste. Le réseau social se défend de toute responsabilité dans la propagation de l'idéologie jihadiste. "Nous nous appuyons sur les 1,32 milliard d'utilisateurs de Facebook pour signaler les contenus qui sont contraires à la charte, dont ceux qui font l'apologie du terrorisme ou qui sont violents", assure-t-on au staff de Facebook, contacté par francetv info. Et de jurer : "Un seul signalement suffit pour que le contenu soit traité par une équipe de modération spécialement dédiée, qui retrouve aussi tous les comptes associés au contenu." 

"Faut pas écouter les gens lol"

Ce qui ne m'empêche pas de me retrouver "taguée" par des inconnues dans des photos incitant à partir au "Châm" (en Syrie). Ni la plupart de mes interlocutrices de défendre les jihadistes dans nos conversations privées.

 

Sara : "Tu es en France ? parce qu'ici l'état islamique les gens disent que c'est des terroristes."

****** Soeurs : "Faut pas écouter les gens lol, C'est simple c'est juste que les gens écoute n'importe qui et beaucoup de mensonge surtout."

Sara : "L'état islmaique si c'est pas des terroristes ils se batten pour quoi ?"

****** Soeurs : "Ukthii ya de vidéo sur mon mur jette un petit coup d'œil in sha Allah. Tu verra part toi même, tu pensera part toi même de se que tu vois." 

Sur son mur, elle a notamment partagé la vidéo de propagande de l'EI qui instrumentalise le journaliste et otage britannique John Cantlie. Dans le même temps, d'autres "sœurs" postent des clichés de femmes voilées et armées, ou d'un jihadiste portant un agneau dans ses bras. Je lance la conversation avec l'une d'entre elles en lui demandant d'où elles viennent. Quelques jours plus tard, sur Skype pour ne pas se faire "cramer" (repérer), elle m'explique, en détails, comment et pourquoi partir en Syrie. Des informations qu'elle a obtenues grâce à des contacts sur place rencontrés sur Facebook et qu'elle espère rejoindre "dès que possible". 

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