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Appels au jihad : les responsables musulmans français ont-ils un rôle à jouer ?

Trois Français combattant en Syrie appellent les musulmans de l'Hexagone à tuer des Français non croyants, au nom d'Allah. Les institutions religieuses peuvent-elles dissuader certains jeunes radicaux de partir ?

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Capture d'écran de la vidéo des trois Français appelant les musulmans de France à faire le jihad en Syrie ou à tuer des "mécréants" en France, le 20 novembre 2014. (  FRANCETV INFO )

"Ceci est un message pour tous les musulmans qui vivent encore en terre de mécréance, de la part de vos frères français... Qu'attendez-vous ?" Dans une vidéo diffusée sur des sites jihadistes, aux alentours du 20 novembre, trois Français appellent les musulmans de l'Hexagone à faire le jihad en Syrie ou à commettre des attentats sur le sol français. Leurs propos interviennent quelques jours après la décapitation filmée de 18 soldats syriens et d'un humanitaire américain. 

Un plan anti-jihad a été mis en place par le gouvernement, critiqué dès sa sortie. Aux côtés de l'Etat, les institutions religieuses musulmanes peuvent-elles aussi jouer un rôle ? Comment les représentants de la communauté musulmane française peuvent-ils dissuader les candidats au jihad de partir ?

Détecter les profils suspects (quand c'est possible)

S'adresser aux personnes en voie de radicalisation est d'une extrême complexité, car "une fois qu'il y a eu basculement, le taux de 'déradicalisation' est proche de zéro", selon Dounia ­Bouzar, fondatrice du Centre de ­prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam, interrogée par Le Figaro.fr. Certains recruteurs arriveraient à "retourner" des jeunes gens en quelques semaines. Il faut donc agir vite. "Quand une maman voit son enfant déchirer une image en disant que c'est le diable, elle sait qu'il ne s'agit pas d'un comportement religieux, poursuit-elle. Les familles non musulmanes, elles, sont démunies. Elles hésitent et perdent du temps. De manière générale, tout le monde est dans l'hésitation, de l'élu à l'assistante sociale qui parle de simple conversion." 

Selon Abdallah Zekri, président de l'Observatoire national contre l'islamophobie et membre du comité exécutif du Conseil français du culte musulman (CFCM)un travail est effectué en amont, avec les imams, pour dissuader d'éventuels candidats au jihad. "La parole radicale ne se trouve pas dans les mosquées, mais ailleurs, dans la rue, sur internet, assène-t-il. De toutes façons, tous les prêches de France sont surveillés par la police ou des indicateurs." D'après lui, cette prévention peut également se faire en prison, un lieu privilégié de radicalisation"Le problème, c'est que la parole des imams n'y est pas libre, un gardien les accompagne toujours. Il faudrait leur faire davantage confiance. Les imams peuvent faire prendre conscience aux détenus qu'ils ont fait du mal, et qu'ils se sont mépris sur les enseignements réels du Coran." 

Parler de religion avec eux (même si c'est dur)

Les dignitaires religieux le répètent avec force, l'islam défendu par les membres de l'Etat islamique trahit les textes fondamentaux. Mais lancer une discussion sur le fond de l'affaire peut s'avérer périlleux. Abdallah Zekri rencontre régulièrement des jeunes gens radicalisés, comme ce groupe d'adolescentes dont certaines ont souhaité rejoindre leur petit ami en Syrie. Lors de cette entrevue, elles ont refusé de serrer la main d'Abdallah Zekri, parce que c'est un homme. "Je leur ai expliqué qu'elles ne comprenaient pas l'islam et qu'elles n'y connaissaient rien, au fond. Elles m'ont tout de suite branché sur d'autres sujets : qu'en France, les musulmans ne sont pas considérés, que le regard des autres a changé sur elles... Mais aussi qu'elles enduraient des échecs personnels, comme l'absence de travail." 

Pour les musulmans les plus rigoristes vivant sur notre territoire, le dialogue peut s'enclencher différemment. Un salafiste originaire du sud-est de la France, qui fréquente une petite mosquée rassemblant une quinzaine de fidèles, nous explique au téléphone : "Les combattants en Syrie ne sont pas des jihadistes, ce sont des criminelsMais pratiquer sa religion est devenu impossible en France. Ce que je conseille aux musulmans qui souhaitent vivre selon la charia, c'est d'émigrer, mais pas en Syrie. Ils peuvent aller au Maghreb, dans les pays du Golfe." Sa solution, donc : quitter la France, mais sans faire le jihad pour autant. "D'ailleurs, qui peut croire qu'on peut prier dans un pays en guerre ?" glisse le jeune homme.

Intervenir dans le débat public (malgré tout)

Les musulmans pratiquants doivent-ils intervenir publiquement pour se démarquer de ces messages de haine, ou ne rien dire, pour éviter l'amalgame ? La situation est délicate. Joint au téléphone par francetv info, un responsable d'une salle de prière d'Ile-de-France, qui souhaite rester anonyme, s'emporte : "Pourquoi je devrais vous répondre ? Les musulmans de France n'ont rien à voir avec les jihadistes, on ne se sent pas concernés..." L'entretien tourne court, l'homme précise juste avant de raccrocher : "Il ne faut pas croire, nous sommes disciplinés. Nous parlons de foi à la mosquée, c'est tout." 

"Il existe une diversité de voix et d'options au sein du champ islamique français, relève Haoues Seniguer, enseignant à l'IEP de Lyon (Rhône), sur Le Figaro.frC'est en premier lieu une responsabilité des médias que de leur donner la parole, ne serait-ce que pour mesurer ou apprécier leur diversité." Une pluralité de points de vue qui s'accordent au moins sur une chose : les exactions perpétrées par les jihadistes de l'Etat islamique ne souffrent d'aucune excuse, comme l'écrit l'Union des organisations islamiques de France dans un communiqué : "Toutes ces exécutions au nom de l’islam ne sont qu’une instrumentalisation de la religion musulmane par des groupes terroristes."

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