"J'ai embarqué avec une quarantaine de personnes sur un petit bateau gonflable"
Abdallah, Omar et Salah Ibrahim racontent à francetv info le périple qui les a menés de leur pays d'Afrique jusqu'au centre d'accueil temporaire de Pouilly-en-Auxois (Côte-d'Or).
Ils viennent du Soudan, d'Erythrée, du Tchad, du Congo ou d'Irak. Ils ont parcouru des milliers de kilomètres, à pied, en voiture, en bateau ou encore en train. Ils sont arrivés à Calais, épuisés par ce long voyage. Ils ont décidé de déposer une demande d'asile en France. L'Etat leur a alors proposé un logement provisoire au sein d'un nouveau centre ouvert à Pouilly-en-Auxois pour désengorger Calais.
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En Bourgogne, ils ont pu retrouver un peu de sérénité. Se laver, dormir au chaud, manger à leur faim, se sentir en sécurité. "Ils ont déjà récupéré une humanité", explique Corinne Fournier, la responsable du centre Adoma, chargé de l'accueil de ces demandeurs d'asile. Francetv info a recueilli le témoignage de ces hommes qui aspirent à vivre en France.
"Ils me faisaient pendre la tête en bas et me faisaient tourner"
Abdallah Mohammed est né en Erythrée à la fin des années 1970 dans un pays en guerre. Refusant le service militaire, il a été emprisonné et torturé : "Ils m'ont attaché en me faisant pendre la tête en bas et ils me faisaient tourner." Ils l'ont aussi frappé "avec le bout d'une Kalachnikov", explique-t-il, laissant des marques sur son corps, sur ses bras et sur son torse. Accoudé à la table de sa cuisine, il raconte comment il est parvenu à s'enfuir en se cachant dans un camion poubelle, pour rejoindre la ville de Kassala, au Soudan. Après y avoir passé dix-huit ans, il rencontre de nouveaux ennuis. Menacé d'être renvoyé en Erythrée où il risque la peine de mort, il choisit de partir pour l'Europe en 2014.
L'homme de 38 ans est à l'aise et raconte son périple en ponctuant son récit de grands sourires. Pour quitter le Soudan, il achète un passeport falsifié et se rend par avion à Istanbul, en Turquie. De là, il rejoint Izmir, le deuxième plus grand port du pays, et donne 1 000 dollars à un passeur : "J'ai embarqué avec une quarantaine de personnes sur un petit bateau gonflable." Au bout d'une heure et demie de traversée, il rejoint une île grecque. Il réussit ensuite à se cacher dans un camion embarquant sur un paquebot en direction de l'Italie. Il reste coincé au milieu des cartons de marchandises pendant quatorze heures. Puis commence un long voyage en train, caché dans les toilettes, de Bari à Paris, en passant par Rome, Vintimille, Gênes et Nice. Il se rend à Calais où il a entendu dire qu'il était plus simple d'obtenir des papiers.
Il obtient alors une place au centre Adoma de Pouilly-en-Auxois et ne cache pas son soulagement : "Je suis content d'être ici, car, à Calais, je dormais dans la rue." Il attend maintenant des nouvelles de son recours après avoir essuyé un rejet pour sa demande d'asile. "Je souhaite vivre en paix et en sécurité, et si possible faire venir ma famille en France", explique Abdallah en proposant de faire du café. Il évoque ses trois enfants de 1, 4 et 6 ans, repartis en Erythrée. S'il peut rester en France, ce pays qui symbolise pour lui la démocratie, il aimerait bien devenir chauffeur de taxi ou de bus. Il rêve aussi de s'installer dans la "belle ville" de Dijon, située à une quarantaine de kilomètres de Pouilly.
"A Calais, c'était difficile, j'avais froid et pas toujours à manger"
Omar est un Erythréen de 25 ans. Assis sur le lit dans sa petite chambre du centre Adoma de Pouilly, il raconte comment il a fui la guerre pour le Soudan. Pour éviter d'être renvoyé dans son pays, il décide de partir en Libye. Il laisse derrière lui sa mère et sa grand-mère, "trop malades pour faire le trajet". Omar fait des gestes pour décrire comment il s'est caché en position fœtale pendant trente heures dans une remorque remplie de bois afin de rejoindre le nord de la Libye. Il est arrivé à Tripoli, "affamé et les genoux gonflés". La guerre le rattrape et il décide de partir pour l'Europe.
Pour rejoindre l'Italie, il débourse 1 000 dollars auprès d'un passeur qui le cache dans un petit bateau en bois et "en mauvais état". En jetant de brefs coups d'œil par la fenêtre de sa chambre, Omar raconte sa traversée "la peur au ventre" en pensant à tous ceux qui sont morts avant lui. Tétanisé, il passe dix-neuf heures sans bouger, sans manger et sans boire. En Italie, il est conduit dans un centre pour migrants, près de Naples. "Je n'aime pas l'endroit, les conditions de vie étaient affreuses." Les autorités le laissent partir et il monte dans un train, direction Calais. Il change de toilettes toutes les 15-20 minutes pour éviter les contrôles. En arrivant sur Lille, il a eu chaud. Il a été repéré par un contrôleur qui l'a finalement laissé partir. Quand on lui demande s'il a eu peur, le jeune homme hoche la tête frénétiquement.
Depuis qu'il est arrivé ici, il y a quinze jours, Omar se sent bien. "A Calais, c'était très difficile, j'avais froid, on était toujours à l'extérieur et je n'avais pas toujours à manger", raconte-t-il. En attendant de recevoir des nouvelles concernant sa demande d'asile, Omar rêve de devenir "photojournaliste pour les événements sportifs". Il sait que ce sera très difficile. Il aimerait bien s'installer à Marseille ou à Lyon, mais, pour l'instant, il habite Pouilly-en-Auxois et prépare ses chaussures pour se rendre à l'entraînement de foot de l'équipe du village.
"Je jouais au football en division 3 égyptienne"
Salah Ibrahim, 26 ans, accepte de descendre de son vélo pour raconter son histoire. Casquette vissée sur la tête, il explique qu'il a quitté le Tchad pour raisons politiques avant de trouver refuge en Egypte. Il reste au Caire pendant cinq ans, mais décide de partir à cause de l'insécurité : "Il y avait des gangs qui tuaient les gens sans raison dans la rue." Il rejoint le Cameroun où il trouve un passeur qui lui permet de gagner l'Allemagne en avion pour 5 000 dollars, puis, de Francfort, il se rend à Calais.
Comment le jeune homme disposait-il d'une telle somme ? "J'ai joué au football en division 3 égyptienne, pour le Céramica Cleopatra, et j'avais un autre travail à côté", explique-t-il. La carrière de footballeur de Salah Ibrahim prend un coup à Calais, lorsque le demandeur d'asile se fait renverser par une voiture de police qui l'avait pris en chasse. Il souffre d'une blessure au genou que les médecins envisagent d'opérer. Il compte maintenant poursuivre les policiers en justice, car il les accuse "d'avoir bu de l'alcool le soir de l'accident".
Debout les bras croisés devant le centre d'accueil Adoma, Salah Ibrahim explique qu'il ne reste pas beaucoup à Pouilly-en-Auxois : "Le week-end, je vais chez ma copine à Nancy." Il a rencontré la jeune femme alors qu'il était de passage sur Strasbourg et compte bien s'installer un jour avec elle. Il attend la réponse pour sa demande d'asile, mais se projette déjà dans sa future vie. Il aimerait mettre à profit son diplôme en relations internationales pour travailler dans le domaine politique. Mais il pense que ce sera dur et envisage déjà une reconversion dans le tourisme. Il parle plusieurs langues et espère grâce à cela trouver du travail dans ce domaine.
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