Grève de la faim pour défendre les migrants : que se passe-t-il à Calais, où militants et associations demandent l'arrêt des violences et des expulsions ?
Selon l'ONG Human Rights Watch, "humiliation", "harcèlement" et "expulsions" sont devenus le quotidien des réfugiés à Calais. Une situation que veulent faire changer trois grévistes de la faim.
Une grève de la faim pour dénoncer "l'intolérable". Depuis le 11 octobre, l'aumônier du Secours catholique, le prêtre jésuite Philippe Demeestère, installé dans l'église Saint-Pierre de Calais (Pas-de-Calais), a arrêté de s'alimenter. Accompagné des militants associatifs Anaïs Vogel et Ludovic Holbein, ils dénoncent "un durcissement des politiques menées à l'encontre des exilés". Leur mobilisation est soutenue par 150 associations.
C'est la mort de Yasser Abdallah, un jeune exilé écrasé par un camion le 10 octobre, qui a poussé ces trois personnes à entamer une grève de la faim. Ce jeune Soudanais de 20 ans, depuis peu arrivé à Calais, voulait devenir chauffeur au Royaume-Uni, raconte Libération (article abonnés). Sa mort est le point d'orgue d'une situation de plus en plus compliquée pour les "deux milliers de migrants dont des centaines d'enfants non accompagnés, vivant dans les zones boisées, les entrepôts désaffectés, ou encore sous des ponts à Calais et ses environs", dénonce l'ONG Human Rights Watch dans un rapport publié le 7 octobre.
"On demande finalement le respect de la loi"
Depuis quelques semaines, "il y a eu une escalade de violence, physique et psychologique", constate Ludovic Holbein auprès de France 3 Hauts-de-France. "On fait un démantèlement alors qu'un jeune est décédé dans les minutes qui précèdent, on empêche les distributions de nourriture." Depuis le 10 septembre 2020, un arrêté préfectoral, que le Conseil d'Etat a refusé de suspendre, interdit aux associations la distribution de nourriture et de boissons aux migrants dans le centre-ville de Calais. Saisie en urgence, la plus haute juridiction administrative notait à l'époque dans un communiqué "que cette interdiction n'empêche pas les associations de réaliser leurs missions à proximité immédiate du centre-ville" et que "l'interdiction de distribution est strictement limitée aux zones définies par le préfet".
Les revendications portées par les trois grévistes sont claires. Ils réclament, durant toute la trêve hivernale (du 1er novembre 2021 au 31 mars 2022), la suspension des expulsions et des démantèlements et l'arrêt de la confiscation des tentes et effets personnels des migrants. Ils demandent aussi l'ouverture d'un dialogue avec l'Etat sur la mise en place de points de distribution des produits de première nécessité. "Nos demandes étaient beaucoup plus fortes au départ", rappelle Anaïs Vogel auprès de France 3 Hauts-de-France. "Mais on a choisi de demander des choses auxquelles on sait que l'Etat peut répondre. On demande finalement le respect de la loi, puisqu'on n'est pas censé pouvoir expulser des personnes pendant la trêve hivernale."
"Une vie de plus en plus misérable"
Près de "neuf expulsions de grande ampleur sur dix en France, entre novembre 2019 et octobre 2020, ont eu lieu à Calais et à Grande-Synthe", relève Human Rights Watch dans son rapport. "Il y a une routine des pratiques policières et les associations courent après les dommages que causent ces policiers", dénonce le prêtre Philippe Demeestère, à l'origine ces deux dernières années de l'ouverture de lieux d'accueil hivernaux pour les réfugiés. Régulièrement, au moment des expulsions, les effets personnels des migrants leur sont enlevés. "Il y a des tentes qui sont prises, des sacs avec des téléphones, leurs papiers qui sont saisis", souligne-t-il auprès de franceinfo.
Dans son rapport annuel 2020, l'association Human Rights Observers (HRO) a identifié, dans les camps de migrants à Calais, au moins "967 expulsions de lieux de vie informels" et "349 arrestations lors de ces expulsions". Au moins "2 816 tentes et bâches" ont également été saisies, relève l'association. Selon les observateurs de HRO, ces expulsions sont "la première étape d'une longue procédure liée aux contrôles des situations administratives des personnes exilées : contrôles d'identité au moment des expulsions, arrestations arbitraires – parfois violentes –, placement en centre de rétention administrative (CRA), délivrance d'obligations de quitter le territoire français (OQTF) et potentiel renvoi en dehors du territoire français."
Un constat partagé par l'ONG Human Rights Watch, qui remarque que "les pratiques de la police dans les deux villes [Calais et Grande-Synthe], de même que les politiques restreignant la distribution de nourriture, d'eau et d'autres produits essentiels par les associations humanitaires, ont rendu la vie des migrants de plus en plus misérable".
L'Ofii mandaté par Beauvau pour trouver "une sortie de crise"
Pour le prêtre Philippe Demeestère et les militants Anaïs Vogel et Ludovic Holbein, cités par l'AFP, cette grève de la faim, en pleine campagne électorale "où la pression sur les exilés s'accentue", est un "bon moment" pour dire : '"ça suffit'".
Les autorités ont d'ailleurs réagi ces derniers jours. Une première fois, vendredi 22 octobre, par l'entremise de la sous-préfète de Calais qui a rencontré les grévistes de la faim ainsi que les associations. Sans succès. Mercredi 27 octobre, c'est le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), Didier Leschi, qui a été mandaté par le ministère de l'Intérieur dans le cadre d'une "mission de contact et de médiation" afin de "mettre en place les conditions d'une sortie de crise constructive pour tous".
Quelques heures avant de se rendre dans le Pas-de-Calais, il a estimé, lors d'une interview accordée à France Inter, que "personne [n'avait] intérêt à ce que se reconstitue à Calais un campement indigne pour les personnes qui y sont, indigne pour la ville de Calais et pour ses habitants, indigne aussi pour les associations". Une fois sur place, il a rencontré le prêtre et les deux militants en grève de la faim, affirmant depuis les marches de l'église Saint-Pierre de Calais : "On a eu un premier contact. Il y a la volonté partagée qu'un maximum de personnes soient mises à l'abri."
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