Témoignage Internats de la honte en Guyane : un ex-pensionnaire, séparé de sa famille autochtone dès l'enfance, dénonce "une acculturation forcée"

Un collectif d'universitaires et de Guyanais souhaite faire émerger la vérité sur les huit pensionnats indiens du département français, qui ont existé pendant des décennies. Ils demandent la création d'une commission pour enquêter.
Article rédigé par Agathe Mahuet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Que s'est il passé dans les huit pensionnats indiens de Guyane, dont le dernier a fermé en 2023 ? (photo d'illustration) (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

L'État français a-t-il privé de leur culture autochtone quelque 2 000 enfants de Guyane, durant toute la deuxième moitié du XXe siècle ? Un collectif d'universitaires et de Guyanais souhaite faire émerger la vérité sur ce qui s'est passé dans les huit pensionnats indiens du département français, qui ont existé pendant des décennies. Ils demandent donc à l'État la mise en place d'une "commission vérité et réconciliation" pour apporter justice et réparation à ces enfants issus de familles amérindiennes, qui furent totalement isolés de leur famille.

Sylvestre Waya a cinq ans quand il entre au pensionnat d'Iracoubo, entre Cayenne et Saint-Laurent-du-Maroni, en 1961. "Mes parents n'ont pas eu d'avis à opposer, se souvient-il, ça a été fait comme ça", car le territoire est devenu département français. Sylvestre, qui est né dans la culture kali'na (des Indiens de Guyane), se voit alors imposer une nouvelle identité. "Il fallait parler français, il fallait chanter la Marseillaise, il fallait apprendre le Chant des partisans", raconte-t-il.

"Je suis obligé de traduire en français pour comprendre ma famille"

L'identité de Sylvestre devient française et catholique. Les internats sont financés par l'État et gérés par l'Église. "La journée commençait par Au Nom du père, du fils et du Saint-Esprit. Pourquoi il fallait qu'on nous baptise ? J'avais mes propres croyances, souligne Sylvestre. C'est devenu cette acculturation forcée qui a été un déracinement pour moi."

Lui qui a 67 ans aujourd'hui n'a jamais pu retrouver vraiment sa langue natale : "J'ai encore ma mère et mes frères et sœurs qui sont en vie, qui me parlent en kali'na, ma langue maternelle. Je suis obligé de traduire en français pour comprendre ce que mes frères et sœurs et maman me disent. Et j'en suis très malheureux", se désole Sylvestre.

"Vous imaginez ? J'ai 67 ans et ça fait 62 ans que je suis séparé de ma culture, de mes origines."

Sylvestre Waya, ancien interne du pensionnat catholique d'Iracoubo

à franceinfo

L'isolement voulu par les autorités à l'époque est total. Interne dans ce "home indien" pendant huit ans, à quelques kilomètres de son village, Sylvestre ne revoit sa famille que pendant les grandes vacances. "On n'avait pas contact avec l'extérieur, on n'avait pas le droit de sortir. Mes parents n'ont jamais eu le droit de visiter leurs enfants au home indien", s'indigne l'ancien pensionnaire.

"On est vraiment dans la perspective coloniale"

Le professeur de droit public Jean-Pierre Massias a pu réunir une centaine de récits comme celui de Sylvestre pour mener son enquête, avec l'Institut francophone pour la justice et la démocratie (IFJD). Il a recensé des cas de violences physiques dans certains pensionnats, ainsi que deux témoignages directs d'abus sexuels.

Jean-Pierre Massias formule aujourd'hui le souhait de voir l'État rendre justice à ces enfants autochtones : "À l'époque, on considère ces enfants comme de toute manière des gens à civiliser et l'Église a carte blanche pour les civiliser. On est vraiment dans la perspective coloniale". Il demande donc une commission "vérité et réparation" pour Sylvestre et les 2 000 enfants indiens de Guyane passés par ces pensionnats catholiques, dont le dernier a fermé il y a un an seulement.

Il dénonce une "acculturation forcée". Le témoignage d'un autochtone guyanais, pensionnaire enfant d'un "home indien", recueilli par Agathe Mahuet.

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