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RECIT. "Il est arrivé quelque chose à votre mari" : le 6 février 1998, la nuit où le préfet de Corse, Claude Erignac, a été abattu

Anne Brigaudeau, Yann Thompson le mardi 6 février 2018

Des policiers inspectent la scène du meurtre de Claude Erignac, le 6 janvier 1998, à Ajaccio (Corse-du-Sud). (SIPA)

Ce vendredi 6 février 1998, José Rossi a choisi de passer la soirée chez lui. Bien que convié à un concert de musique classique à Ajaccio, le président du conseil général de la Corse-du-Sud préfère s'offrir une respiration, après une nouvelle journée de campagne pour les élections territoriales de mars. En début de soirée, il était encore au téléphone avec le préfet, qui s'interrogeait sur la régularité d'une candidature sur sa liste.

Après un dîner léger, José Rossi s'assoit devant l'émission politique de France 3 Corse. A 22h19, un homme, visiblement éprouvé, apparaît au second plan. C'est Jean-Marc Leccia, le rédacteur en chef de la chaîne. Le présentateur lui donne la parole. "Nous venons de l'apprendre : le préfet de région, Claude Erignac, a été assassiné, il y a probablement une heure ou deux, à Ajaccio."

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"Je suis sidéré, se souvient José Rossi. Pour la première fois, un préfet a été abattu. Est-ce le début d'une vague d'assassinats, d'une situation de violence irréversible, presque d'une révolution ?" La Corse est frappée de stupeur. L'île va être "plongée une nouvelle fois dans un climat que l'on croyait oublié", poursuit Jean-Marc Leccia. Pour l'un des éditorialistes en plateau, l'ensemble du pays va "se sentir meurtri, pour très longtemps".

Vingt ans plus tard, mardi 6 février, le président de la République, Emmanuel Macron, est attendu à Ajaccio pour un hommage à Claude Erignac. Cette première visite du chef de l'Etat sur l'île s'inscrit dans un contexte politique tendu avec l'exécutif corse, récemment investi après des élections territoriales remportées par les nationalistes. Ces derniers réclament notamment un "statut spécial" pour la Corse et le retour sur l'île de Beauté des "prisonniers politiques". Parmi eux, les membres du commando Erignac qui ont été condamnés à des peines allant de 15 ans de réclusion à la perpétuité. Les discussions entre Paris et la Corse, qui ont déjà viré au bras de fer, s'annoncent difficiles. Deux décennies après, le souvenir de l'assassinat de l'avenue Colonel-Colonna-d'Ornano plane toujours.

Une "vision d'horreur"

Des policiers examinent la scène du meurtre de Claude Erignac, le 6 février 1998, à Ajaccio. (TOUSSAINT CANAZZI / AFP)

D’habitude, les concerts se déroulent à l’église Saint-Roch, suffisamment proche du palais Lantivy pour que le préfet et sa femme s’y rendent à pied. Celui du vendredi 6 février se tient au théâtre Kallisté, plus éloigné de la préfecture. Protestant cévenol, Claude Erignac a des principes stricts : pas question d’être conduit par son chauffeur pour une soirée privée. Le mélomane prend donc lui-même le volant de sa Safrane, vers 20h45. Faute de place, il dépose son épouse devant le théâtre, vers 20h55, puis se gare cours Napoléon, à 150 mètres de la salle de spectacle.

Les rues sont vides, ou presque. Claude Erignac est seul, sans garde du corps. "Il m’avait dit : 'De toute façon, si on veut m’avoir, on m’aura : quand on veut flinguer un type, on y arrive'", se remémore Jean Orizet. Le préfet remonte à pied l'avenue Colonel-Colonna-d’Ornano, qui mène au Kallisté, tandis que son épouse, Dominique, a déjà gagné sa place réservée au balcon. Devant le bâtiment, l’organisateur du concert, José Colombani, guette avec un peu d’impatience l‘arrivée du préfet : il est déjà 20h59. Vingt-cinq mètres plus bas, dans la rue mal éclairée, il aperçoit alors un homme qui se dirige vers le théâtre, suivi de deux autres.

"Ça se passe très vite, raconte José Colombani, encore hanté, vingt ans plus tard, par ces images. Après le premier coup de feu, l’homme visé se courbe en deux pour échapper aux balles et tente de s’enfuir vers une impasse. Presque aussitôt, un autre coup de feu retentit. Un nuage de fumée orange se dégage, d’où sort un tireur, qui fait feu à nouveau. La personne courbée en deux s’effondre sous des échafaudages devant un immeuble en réfection. Deux coups de feu supplémentaires sont tirés." 

Puis, comme au ralenti, les deux silhouettes du commando "reculent sans se tourner, en regardant vers le théâtre. L’un d’eux fait un geste ample pour jeter quelque chose [l'arme du crime]. Sans se presser, ils se dirigent vers le bas de la rue, le cours Napoléon, puis disparaissent à mes yeux. Ils étaient dans l’ombre, je n’ai pas vu leur physionomie."

Sonné, José Colombani entre dans le théâtre pour appeler police-secours. Sans faire le lien, il réalise que Claude Erignac "n’est pas encore là". Il ressort, descend jusqu’au corps allongé. Une "vision d’horreur", qu’il décrit ainsi : "Il était méconnaissable, sans ses lunettes, la tête enflée, avec des mèches de cheveux sur le front." Bouleversé, il ne reconnaît pas son ami, au point de demander : "Où est le préfet ?" "On se demande si ce n'est pas lui", lui répond-on. Un policier lui confirme, un peu plus tard, l’identité du mort, dont les papiers ont été retrouvés. Face contre terre dans son loden vert, Claude Erignac serre encore dans ses mains les clés de sa Safrane.

"Madame Erignac est seule"

Photo non datée du préfet Claude Erignac et de sa femme Dominique. (REUTERS)

Alors que la nuit s'étire dans les appartements privés de la préfecture de Corse, Dominique Erignac n'a toujours pas vu la dépouille de son mari, dont elle a appris la mort assez tardivement. "On rentre, il est arrivé quelque chose à votre mari", lui a simplement lancé le secrétaire général de la préfecture, Didier Vinolas, appelé en urgence au Kallisté. Sans se douter que son époux a été abattu quelques mètres plus bas, elle a été reconduite en voiture jusqu'au palais Lantivy. C'est là que le médecin légiste lui a annoncé le décès de son époux, avant de partir pour l'autopsie.

Un petit comité s'est improvisé autour de la veuve, à l'initiative notamment de Marie-Ange Susini, prévenue par le procureur. "Marie-Ange, allez vite en préfecture, Madame Erignac est seule, on vient d'assassiner le préfet", l'a alertée Jacques Dallest. "C'est un tsunami", se souvient cette collaboratrice du préfet, proche de son épouse, qui devait aller au cinéma le lendemain avec le couple.

Pendant que les secrétaires particulières préparent des tisanes dans la cuisine, Dominique Erignac tente de téléphoner à ses deux enfants, qui vaquent alors à leurs occupations d'étudiants à Paris. "Devant nous, elle a aussi appelé son beau-père, pour lui annoncer la mort de son mari", raconte Marie-Ange Susini. Après une demi-heure de route depuis leur résidence de Porticcio, le président du département, José Rossi, et sa femme, Denise, se sont joints à la veillée.

On a trouvé une femme effondrée, mais très digne.

José Rossi

Vers 5 heures, après avoir passé une partie de la nuit à trouver un avion pour faire venir les enfants et le père du préfet, Didier Vinolas reçoit l'appel tant attendu par Dominique Erignac : le médecin légiste en a terminé, le cadavre est présentable. A la morgue, "le corps est étendu dans une petite salle, comme un gisant, avec les mains croisées sur le thorax", décrit l'homme de confiance du préfet.

Alors que, devant le théâtre, voyant "une partie du front explosé", Didier Vinolas n'avait identifié Claude Erignac qu'en remarquant ses chaussures richelieux et son pantalon à plis, cette fois, "on le reconnaît un peu plus, sans trou dans le front". Dominique Erignac se recueille. Pour la première fois en neuf heures, elle peut s'adresser à son époux, qui l'avait déposée avec un simple "A tout de suite".

"Sur place, tout le monde était hagard"

Captures d'écran d'images diffusées dans les journaux de France 2 et France 3 le 7 février, au lendemain de l'assassinat du préfet Erignac.  (FRANCE 2 / FRANCE 3)

Vingt minutes après l’assassinat, il n’y a encore qu’une voiture de police devant le Kallisté, rapidement rejointe par le médecin légiste. "Vers 21h15, lorsque le téléphone sonne, j’hésite à répondre", racontera Paul Marcaggi à L'Express. Renonçant à son film policier du vendredi soir, le légiste s'y rend néanmoins et procède rapidement à l’examen du corps. Il découvre "un homme couché à même le trottoir", qu'il ne reconnaît pas tout de suite.

Le procureur d’Ajaccio, Jacques Dallest, arrive à peu près en même temps. Il se rappelle sa stupeur. "Sur place, tout le monde était hagard, blafard, estomaqué. Je me suis approché du visage ensanglanté du préfet, contre le sol. J’ai vite compris qu’il avait été abattu, qu’il ne s’agissait pas d’un accident. Mais toutes les pistes restaient possibles à ce stade."

Quant au commissaire Demetrius Dragacci, alors directeur du service régional de la police judiciaire (SRPJ), il est alerté, en plein congés, chez lui, à Cargèse, par un policier à qui il rétorque : "Le préfet ! Trouvez une autre plaisanterie." Il arrive une heure après les faits, "tellement catastrophé" qu'il n'a "même pas eu la force de conduire""Vous n’y croyez pas. Vous perdez la voix, la respiration, mais il faut faire face, car tout est anéanti." Le nombre de policiers sur place est déjà impressionnant : "Dès que l’info a fusé sur les ondes, tout le SRPJ a débarqué, soit une centaine de personnes."

On avait le sentiment que le plafond s’abattait sur la tête de la République.

Demetrius Dragacci

Dès cette nuit-là, la piste ne fait, pour lui, aucun doute : "Le Beretta 9 mm a été volontairement laissé sur place pour signer le crime. Cette arme avait été volée cinq mois plus tôt, en septembre 1997, lors de l’attaque contre la gendarmerie de Pietrosella par un commando nationaliste dissident du FLNC. Cet élément matériel prouve que les deux attentats sont liés." Une pique à l'attention de Roger Marion, le chef de la division antiterroriste qui récupérera l'enquête et s'égarera pendant un an en suivant la piste de syndicalistes agricoles, qualifiée par l'ancien magistrat Gilbert Thiel de "bérézina judiciaire". Pour autant, la police ne néglige rien. Une heure après les faits, sur la foi des descriptions fournies par un témoin, elle a déjà arrêté trois jeunes, qui seront bientôt innocentés.

Vers 2 heures du matin, Paul Marcaggi pratique l’autopsie du corps dans les locaux modernes de la morgue de l’hôpital d’Ajaccio. Sans surprise, "le médecin constate que le préfet a été tué de trois balles de calibre 9 mm tirées à courte distance dans la nuque", résume l’ancien procureur Jacques Dallest. Demetrius Dragacci attend que la veuve soit à la morgue pour examiner le bureau du préfet. Il rédige alors "un procès-verbal pour expliquer que l’examen minutieux des lieux n’a fourni aucun indice susceptible d’orienter l’enquête en cours".

"Coup de tonnerre" à l'Elysée

Le palais de l'Elysée, le 31 mars 1995. (BOULAT ALEXANDRA / SIPA)

Il ne faut pas longtemps pour que la nouvelle de la mort du préfet s'ébruite. A l'époque, l'agence d'Ajaccio de Corse-Matin est située en face de la préfecture, au-dessus d'un bar – d'où, on l'apprendra plus tard, un membre du commando a annoncé à ses complices le départ du préfet vers le Kallisté. Peu après 21 heures, le scanner des ondes radio de la police se met à crépiter sur le bureau de la journaliste chargée des faits divers. "On entend 'Blessé par balle… Kallisté...' se souvient Isabelle Luccioni. Ensuite, plus rien pendant une minute. Et puis 'L'individu est décédé'. Et là, plus rien du tout, silence radio." C'est près d'une heure plus tard que la police, par téléphone portable, lui annonce l'identité de la victime. L'onde de choc se répercute sur le titre de une du lendemain : "Le préfet assassiné !"

La une de "Corse-Matin", le 7 février 1998. (CORSE-MATIN)

Au bureau de France 2 à Marseille, Jacques Cardoze est en plein montage quand il apprend la nouvelle. Le journaliste de 28 ans est immédiatement chargé par sa direction de louer un avion pour se rendre en Corse, sans attendre les vols réguliers du matin. "J'ai fait le tour des compagnies d'avions privés et j'ai fini par trouver un appareil réservé par une équipe de foot qui revenait de Montpellier", raconte-t-il. Facture : "37 500 francs" (7 400 euros), qu'il parvient à diviser avec son caméraman en invitant d'autres médias à bord. Il arrive dans la nuit à Ajaccio, où il restera plusieurs jours.

C'est vraiment à ce moment-là, plus que tout autre, qu'on a senti que la Corse pourrait quitter la France.

Jacques Cardoze

A Paris, dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, une soixantaine de députés est réunie pour le vote du projet de loi sur les 35 heures. Vers 22h15, après le rejet d'un amendement communiste, la ministre de l'Emploi, Martine Aubry, prend le micro. Elle informe les parlementaires de l'assassinat du préfet de Corse et demande "quelques instants de recueillement".

Assassinat préfet Erignac  minute de silence Assemblée
Assassinat préfet Erignac minute de silence Assemblée Assassinat préfet Erignac minute de silence Assemblée

Passé le choc de l'annonce, l'heure est à l'affirmation de l'Etat de droit. "L'assassinat d'Erignac a renforcé la ligne sur la Corse défendue par [le ministre de l'Intérieur] Jean-Pierre Chevènement et [le Premier ministre] Lionel Jospin, assez ferme, sans concession envers les nationalistes", rappelle le conseiller spécial de Jean-Pierre Chevènement, Philippe Barret. A Matignon, Lionel Jospin condamne rapidement un "acte inqualifiable et abject", qui "atteint la nation tout entière". A l'Elysée, Jacques Chirac assure qu'il "veillera à ce que l'autorité de l'Etat soit respectée". "La nouvelle de l’assassinat en pleine rue d’un préfet de la République a été un vrai coup de tonnerre", se remémore Bertrand Landrieu, le directeur de cabinet du chef de l'Etat.

Depuis son fief de Belfort, Jean-Pierre Chevènement annonce que "tous les moyens sont d'ores et déjà mis en œuvre" pour retrouver les assassins. Place Beauvau, les responsables du ministère, de la police et des renseignements généraux sont réunis pour analyser les différentes pistes possibles. "Ça a duré jusqu'à 2 ou 3 heures, se souvient le directeur de cabinet du ministre, Jean-Pierre Duport, un ami du préfet Erignac. Une fois les circonstances de l'assassinat analysées, il n'y avait pas grand-chose à faire à cette heure-là." Dès le lendemain matin, Jean-Pierre Duport sera chargé de trouver un successeur au préfet, avec plusieurs refus polis à la clé.

Le jour d'après

Le cercueil de Claude Erignac quitte la préfecture d'Ajaccio, le 8 février 1998, sous les yeux de Dominique Erignac et de ses enfants, Charles-Antoine et Marie-Christophine. (GEORGES GOBET / AFP)

Samedi 7 février 1998, la France se réveille avec les projecteurs braqués sur Ajaccio. De hautes figures de la justice et de la politique convergent à l'aéroport Campo dell'Oro. Après une nuit blanche, le juge Gilbert Thiel, chargé de l'enquête sur l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella, arrive dans le premier avion parti d'Orly. La patronne de l'antiterrorisme, Irène Stoller, est du voyage. Deux avions spéciaux, l'un transportant le ministre de l'Intérieur, l'autre le Premier ministre, se posent aussi sur le tarmac.

Lorsque les membres du gouvernement se rendent à la préfecture, où le drapeau est en berne, le cercueil a déjà été installé sur des tréteaux dans un salon privé du palais. "Quand Jospin arrive, il va se recueillir devant la dépouille, raconte le numéro deux de la préfecture, Didier Vinolas. Quant à Chevènement, madame Erignac lui interdit de le faire, estimant que c'est à cause de lui que son mari était encore en Corse alors qu'il aurait dû être nommé dans le Calvados."

En fin de matinée, un registre de condoléances est ouvert devant les grilles de la préfecture, où des passants déposent des fleurs. "On ne construit pas la Corse, là, on la détruit", dénonce un homme, venu dire "non à la violence",  devant la caméra de France 2.

Plus tôt dans la matinée, les enfants, Marie-Christophine et Charles-Antoine Erignac, ont rejoint leur mère par avion militaire. Dès lors, la famille s'active pour quitter au plus vite la Corse, sans attendre la venue de Jacques Chirac, annoncée pour le lundi. Le corps du préfet, entouré des siens, s'envolera dès le dimanche. 

Ce jour-là, les lecteurs de Corse-Matin découvriront "les dernières confidences" que Claude Erignac avait livrées au journal, deux mois plus tôt. Interrogé sur son choix de se déplacer sans protection rapprochée, il avait eu cette réponse : "Par nature, je suis quelqu'un de confiant. J'aime trop la Corse pour que, quelque part, elle ne me le rende pas."

"Montrer qu'on n'a pas peur"

Le préfet Claude Erignac dans son bureau à Ajaccio (Corse-du-Sud), peu avant sa mort. (P.A. FOURNIL / MAXPPP)

A la préfecture de Corse, rien ne distingue, a priori, ce vendredi des autres jours. La veille, Claude Erignac est revenu de Paris par le dernier vol direct, selon le récit du journaliste Alain Laville dans Un crime politique en Corse (Le Cherche-Midi, 1999). Le lendemain matin, le préfet se lève aussi tôt qu'à l'accoutumée dans ses appartements privés du palais Lantivy, qui abrite l'institution à Ajaccio.

Le haut fonctionnaire de 60 ans, muté en Corse deux ans plus tôt, sait qu’il constitue une cible potentielle. L’été précédent, sous le sceau du secret, il a confié au poète Jean Orizet, son meilleur ami, avoir reçu par écrit des menaces de mort. Malgré tout, il refuse de transformer la préfecture en bunker. "Vous sortez, vous vous montrez", ordonne-t-il à son équipe, soucieux de "montrer qu'on n'a pas peur". Pour lui, la Corse doit être un territoire de la République comme les autres.

Le préfet croit aux vertus de l’intégration à la vie locale, notamment par le sport. En 1997, il est même devenu champion de Corse de tennis chez les plus de 55 ans. "Quand il arrivait quelque part, Nancy, Fort-de-France, Versailles ou Ajaccio, il s'inscrivait aussitôt au club de tennis et de vélo, se rappelle l'écrivain. Comme ça, il se faisait adopter. Les gens l’appelaient 'Monsieur le préfet' dans le cadre de ses fonctions, et 'Claude' pendant ses loisirs." Cette recherche de proximité stupéfie encore l’ancien élu nationaliste de l’Assemblée de Corse Pierre Poggioli.

Un jour, je l’ai rencontré à vélo sur un marché. Je me suis dit : 'C’est de l’inconscience'.

Pierre Poggioli

En ce beau vendredi d'hiver, le préfet déjeune, plutôt gaiement, avec douze membres de la sécurité civile. Il passe de nombreux coups de fil, "qui résonneront ensuite comme un testament", déclare, un peu mélancolique, l’ancien directeur de cabinet du président de l’Assemblée de Corse, José Colombani.

Malade ce jour-là, Jean Orizet se souvient que "Claude" lui avait téléphoné à Paris pour s’enquérir de sa santé, "avec l’amitié attentive qui était la sienne" : "Alors, il paraît que tu es grippé ?" Un autre entretien, avec José Colombani, vers 18 heures, se décline en deux temps. Après "des échanges de vue sur les dossiers en commun entre l’Etat et la région", la conversation dérive sur le concert de la soirée, organisé par l’association Musique en Corse, dont José Colombani est trésorier.

Au programme : la Symphonie inachevée de Schubert, le Concerto pour violon de Mendelssohn et la Symphonie n°3 dite "héroïque" de Beethoven, interprétés par l’Orchestre d’Avignon. Avec son agenda chargé, Claude Erignac interroge son interlocuteur sur l’heure précise de la représentation, l’affiche indiquant 20h30 et son invitation 21 heures. "Je lui confirme que c’est 21 heures, il répond 'ça m’arrange'", reconstitue José Colombani. En début de soirée, le secrétaire général de la préfecture, Didier Vinolas, passe rapidement. Mais il ne peut parler au préfet, concentré sur une conversation téléphonique. Il est 20h20. Le numéro 2 de la préfecture ne reverra plus son patron vivant.

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