A Wattrelos, "le mur de la honte" ne "choque pas" les gens du voyage
Dans cette ville du Nord, la polémique grandit autour d'un projet de mur entre une future aire d'accueil pour gens du voyage et un village belge. Sur place, pourtant, les principaux intéressés sont plutôt favorables au projet.
"Je ne comprends rien à ce qu'il se passe avec ce mur !" Porte-parole des gens du voyage installés au bout de la rue de la Martinoire, à Wattrelos (Nord), David Demestre nous reçoit sans hésitation, mi-amusé mi-lassé par le nombre de journalistes qui défilent. Depuis quelques jours, ce quartier tranquille, à la frontière avec la Belgique, bruisse d'une polémique autour d'un "mur de la honte", comme l'ont présenté certains médias. Une séparation en béton doit en effet être érigée autour de la nouvelle aire d'accueil, prévue en 2016, afin de la séparer des habitations du village belge voisin de Herseaux.
Le mur, haut de plus de deux mètres, devrait courir sur une vingtaine de mètres de long. Il y a deux mois, les gens du voyage ont été conviés à une réunion, au cours de laquelle les élus leur ont présenté le projet. Un projet qu'ils ont validé. Les travaux doivent commencer cet été. Alors, dans le camp, on ne comprend guère l'emballement que le mur suscite. "Nous ne sommes pas choqués ! C'est même pour nous qu'ils font ça ! C'est pour notre intimité et pour la tranquillité entre voisins, c'est tout. C'est pour que chacun soit chez soi", assure David Demestre, devant un grand mobil-home en bois. "S'il n'y avait pas de barrière prévue, on en demanderait une pour la sécurité de nos enfants", renchérit l'homme, qui "a vu les plans" et défend "un grand projet pour [eux]".
"L'affaire du mur" a pris une ampleur telle qu'au sein du camp, on frôle la paranoïa. Autour d'une voiture d'où sort un air de guitare, un petit groupe évoque un hypothétique deuxième mur, peut-être côté belge, "mais on ne sait pas où". D'autres "pensaient même qu'on allait être complètement emmurés", soupire David Demestre, qui accuse Alfred Gadenne, le bourgmestre de Mouscron (dont dépend Herseaux), d'être à l'origine de "cette polémique pour rien du tout".
"Mur ou pas mur, nous, on ne veut pas d'eux"
Mais de l'autre côté de la rue – côté belge –, les riverains semblent plutôt contents que l'histoire fasse "enfin" un peu de bruit. Cédric et Victoria vivent à Herseaux depuis cinq ans, date à laquelle les gens du voyage ont été installés sur l'aire actuelle, à Wattrelos. "On nous avait dit que ce serait provisoire. Ils sont encore là." Pour ce couple de Français, installé en Belgique pour "échapper à ces problèmes de délinquance", la présence des "Roms" (sic) dérange.
"Ils s'amusent à tirer à la fronde chez les gens. Certains ont eu leur baie vitrée cassée. Il y a un mois, j'ai chopé deux gamins en train de faire leurs besoins dans le champ au bout de mon jardin. Ça fait bidonville", lâche Cédric, en surveillant ses deux garçons dans le jardin qui donne sur la France. Leurs voisins, André et Dorothée, 76 ans chacun, dont 52 passés dans le quartier, acquiescent, et montrent un éclat sur la toiture de leur véranda, qu'il va falloir changer. Cédric assure passer de nombreux coups de téléphone, chaque mois, à la police. Mais, selon lui, rien n'y fait.
Dans le quartier, quand le projet de déplacer l'aire pour des raisons sanitaires a germé, de nombreux résidents ont signé une pétition afin que le nouveau camp ne se rapproche pas d'eux. Leur requête n'a pas été exaucée. Et la future aire, qui accueillera une petite quinzaine de caravanes, passera de l'autre côté de la butte, un peu plus près de leurs maisons.
Dans le quartier, on ne décolère pas. "On les met près d'une zone belge où il y a des habitations, alors qu'il y a une zone industrielle côté français où il n'y a personne ! s'agace Cédric. Qu'ils mettent un mur ou pas, on s'en fiche : ils feront six mètres et le contourneront, balanceront leurs projectiles par-dessus. Nous, on ne veut pas d'eux, c'est tout."
Des craintes pour la valeur des biens
En face, David Demestre se défend, et critique lui aussi les Belges. "A Mouscron, on est étiquetés. Dès qu'il se passe un truc chez eux, c'est de notre faute !" grince le représentant du camp. Lui réfute les vols, assure que tous les enfants sont scolarisés, et met les points sur les "i" : "Nous ne sommes pas des Roms, mais des gens du voyage. Moi, je suis français, je peux vous montrer ma carte d'identité !"
Sylvie et Frédéric, propriétaires d'une maison en brique tout près du camp, côté français, confirment n'avoir guère de problèmes avec eux, seulement avec les enfants "qui s'amusent à tirer sur les oiseaux avec des cailloux". "Mais il suffit d'aller rouspéter auprès des parents et c'est réglé."
Le couple, plus nuancé que ses voisins belges, explique toutefois comprendre certaines craintes des résidents. Beaucoup se préoccupent de la valeur immobilière de leurs biens, et craignent que la présence du camp ne la fasse baisser. Depuis trois semaines, Sylvie et Frédéric tentent de revendre leur domicile. Ils quittent Wattrelos pour raisons professionnelles. Et, pour l'instant, les visites sont rares.
Les potentiels acheteurs, séduits par la maison, repartent refroidis par la proximité de l'aire d'accueil. "Désolé, mais vu l'endroit, ça ne me convient pas", admet l'un d'eux par texto. "Je les comprends. Moi aussi j'aurais été vigilant si j'avais dû acheter au moment où les gens du voyage étaient déjà là, reconnaît Frédéric, pasteur de métier. Mais ce n'aurait pas été par peur. Je me serais simplement dit que revendre allait être plus difficile." Si le mur était déjà construit, cela faciliterait peut-être la tâche. Il doit passer juste devant leur jardin. "Comme ça, on ne verra rien, c'est mieux."
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