Cet article date de plus de douze ans.

A Toulouse, le meeting de Sarkozy vu de la cité d'en face

Le quartier d'Empalot, situé tout près du lieu où le président-candidat tient meeting dimanche, a voté majoritairement pour Hollande. Ses habitants ont du mal à contenir leur ressentiment vis à vis du candidat UMP.

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Les panneaux électoraux situés au coeur du quartier d'Empalot, à Toulouse, où Nicolas Sarkozy a réalisé 10% de voix au premier tour de la présidentielle, le 28 avril 2012. (CHRISTOPHE RAUZY / FTVI)

Deux quinquagénaires promènent un berger allemand et un bichon au pied d'une barre d'immeuble du quartier d'Empalot, à Toulouse. Le bâtiment haut perché fait de la concurrence au mastodonte tout proche, le Stadium, qui cache le Parc des Expositions où Nicolas Sarkozy tient meeting dimanche 28 avril. "Il vient ici mais je voterai pas pour lui, comme la semaine dernière ! affirme le promeneur, Bernard, 53 ans. En cinq ans, il n'a rien fait, je vois pas pourquoi ça changerait." "Il avait promis beaucoup, et rien n'est venu", ajoute son compagnon de promenade.

Le quartier d'Empalot, cité enclavée dans le centre-ville toulousain, est classé "zone urbaine sensible". Créé dans les années 50, cet ensemble de barres oscille aujourd'hui entre le gris-ocre décrépi et le blanc fraichement repeint. Situé en bord de Garonne, il fait face à l'île du Ramier où se tient dimanche l'une des dernières grand-messes du président-candidat. Mais à cet instant là, il y aura bien plus qu'un fleuve, un immense fossé, entre ces lieux voisins. Au premier tour, Nicolas Sarkozy n'a trouvé ici que 10% de votants en sa faveur. Contre presque 45% pour François Hollande, 20% pour Jean-Luc Mélenchon et 13% pour Marine Le Pen.

"On monte les gens les uns contre les autres"

"Sur certains points, il a raison, il y a peut-être trop d'étrangers" tempère Jean-Pierre. Mais la droitisation du discours du candidat UMP ne l'atteint pas. "Le problème, c'est que les immigrés sont tous concentrés au même endroit, ils restent entre eux, il n'y a pas d'intégration possible. Mais on peut arriver à vivre tous ensemble."

Même avis chez Marie-Louise, 79 ans et un accent qui roule. Elle fronce les sourcils en évoquant Marine Le Pen : "Moi, les idées de Le Pen, elles me font peur. Enfant, mon village a été pillé et incendié par les Nazis [à Rimont, en Ariège, le 21 août 1944]. Je ne supporte pas qu'on montre du doigt, qu'on monte les gens les uns contre les autres."

Ici, la tentation de radicaliser le discours ne prend pas. "Sarkozy s'est tiré une balle dans le pied en parlant sans cesse d'immigration, estime Nicky Tremblay, militante associative locale aux tresses colorées. Les gens des quartiers ne sont pas dupes, ils sont conscients de son battage médiatique intempestif et ne tombent pas dans le piège."

"Merah, c'est juste un type qui a pété un plomb"

Cinq semaines auparavant, c'est non loin de là que Mohamed Merah, le tueur au scooter de Toulouse, a frappé. Pour Jean-Pierre, "c'est juste un type qui a pété un plomb". "Bien sûr, tout le monde était choqué sur le coup, explique Nicky Tremblay. Mais rapidement les gens sont passés à autre chose. En une semaine, c'est seulement devenu un événement tragique de plus. Quand la vie est dure, on passe vite à un autre problème."

Au milieu des arcades marchandes placées au centre du quartier d'Empalot, quelques habitants sont comme souvent regroupés au "Point Info" municipal. Sur la table du petit local, du café, un demi-gâteau entamé, et, ce matin là, un supplément politique. "Plutôt que du halal, ils devraient tous parler des vrais problèmes, analyse Christian, 50 ans, chômeur en formation, favorable à Mélenchon au premier tour. Y'a pas de boulot, et les salaires sont trop bas !" se plaint cet habitant d'une cité où le taux de chômage frôle aujourd'hui les 40%. "Moi je trouve qu'aucun des deux candidats ne vaut le coup, avance Emmanuel, 34 ans, manutentionnaire. J'irai voter, mais il n'y aura rien dans l'enveloppe."

Dans un coin Mustapha, 60 ans, d'origine Algérienne, s'indigne : "Pendant la guerre, les Arabes comme mon père se sont battus pour la France. Ils ont droit au respect! ". Pour Fernanda, portugaise de 48 ans, "un immigré est un invité et doit être traité comme tel, mais aussi se comporter comme tel". Mais pas question d'envisager l'immigration choisie, en fonction de critères plus sévères, comme la connaissance de la langue : "Les Français eux-mêmes ne parlent pas bien, plaisante-t-elle. Regardez Sarkozy !"

"Nous, on se débrouille tout seul"

Les débatteurs sont interrompus par une vague de coupe-vent rouges qui traversent la place. Les membres du PS local tractent à tout va dans le quartier, en prévision du meeting en plein air de François Hollande jeudi prochain place du Capitole. Une jeune militante aborde en souriant un groupe de jeunes, attroupés non loin. "On votera Hollande, faut qu'il parte Sarkozy" s'exclame l'un deux. Mais face aux questions de FTVi, un autre rétorque, "on a rien à vous dire, la politique, c'est une mafia ; nous, on se débrouille tout seul".

D'après les habitants, les jeunes du quartier sont imperméables à la politique. "Ils ont pas de boulot, ils y croient plus" avance Eliane, mère de famille presque cinquantenaire. "Ils se sentent stigmatisés en permanence, explique Abdelkrim Makouf, rédacteur pour le journal associatif local Les CoursivesD'ailleurs, après l'affaire Mohamed Merah, beaucoup étaient en colère contre lui, en se disant 'on n'avait pas besoin de ça'. Mais au final, pour eux, ce n'est qu'une stigmatisation de plus."

Le ressentiment contre le pouvoir sortant a donc eu des conséquences politiques à Empalot. "C'est plus un vote contre Sarkozy, pas vraiment pour Hollande, un vote de ras-le-bol, estime Nicky Tremblay, la militante associative. Le changement amènera-t-il quelque chose ? Les gens se disent que ça ne peut pas être pire". Ici, au premier tour l'abstention a été plus forte qu'ailleurs à Toulouse (37% contre 22%).

Mais l'intérêt pour la politique n'y est pas pour autant menacé selon Abdelkrim Makouf, du journal associatif local : "Beaucoup d'habitants sont impliqués dans la vie associative du quartier, qui compte beaucoup de structures et connaît un renouveau urbain ces dernières années. C'est de la politique locale tout ça. En fait, les présidentielles, pour ces gens, c'est juste une autre planète." Dimanche, l'"extraterrestre" Sarkozy sera tout proche. Et si loin à la fois.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.