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A Roybon, partisans du Center Parcs et zadistes se mènent une guerre des nerfs

A quelques kilomètres du plateau du Vercors, le village de Roybon est agité par la contestation autour du projet de Center Parcs. L'inquiétude grandit chez les habitants, qui craignent des débordements de la part des zadistes.  

Article rédigé par Tatiana Lissitzky
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Sur le chantier du futur Center Parcs à Roybon (Isère), le 3 décembre 2014, les travaux sont à l'arrêt depuis deux jours.  (TATIANA LISSITZKY / FRANCETV INFO )

A 5 heures du matin, mercredi 3 décembre, en pleine forêt de Chambaran, sur les routes qui encerclent le bois des Avenières, lieu de construction du futur Center Parcs, se joue un étrange ballet… Près du village de Roybon (Isère), des phares de voitures s'allument brusquement au détour d'un chemin, des silhouettes émergent de la brume. La température est de -3°C et ils sont une dizaine de zadistes à sillonner les routes alentours pour vérifier les allées et venues. 

Leur but : empêcher la reprise des travaux sur le site et bloquer l’accès du chantier aux ouvriers. Après Sivens et Notre-Dame-des-Landes, la forêt de Chambaran, l’une des plus grandes d’Isère, est devenue en trois jours l'hôte d'une nouvelle "zone à défendre" (ZAD). La contestation enfle autour du projet de nouveau Center Parcs, qui doit s'étendre sur plus de 200 hectares. Le site, dont l’ouverture est toujours prévue en 2017, pourra accueillir près de 6 000 personnes dans un village clôturé où un millier de bungalows, ainsi que des commerces et des restaurants, entoureront une bulle transparente géante maintenue artificiellement à 29°C, avec plusieurs piscines, jacuzzis et saunas.

"Les zadistes veulent nous pousser à la faute" 

A l’entrée du site, des vigiles cagoulés barrent l'accès au chantier. Ils sont sur le qui-vive. Ce matin, les conditions sont particulièrement difficiles : impossible de distinguer la moindre silhouette tant le brouillard est dense. A 7h30, les phares de trois voitures percent enfin la nuit : les entrepreneurs et leurs ouvriers sont là. Ils sont accompagnés d’un huissier mandaté par la direction de Center Parcs et chargé de constater les éventuelles entraves aux travaux. Equipés de bombes lacrymogènes et de matraques, les vigiles escortent les bûcherons dans la forêt. Ils resteront auprès d’eux toute la journée.

Pour les responsables du chantier, la journée est un test. Si les zadistes ne se manifestent pas, les machines pourront revenir. Tous les engins ont dû être évacués après les violences des deux derniers jours. Les entrepreneurs racontent la façon dont les zadistes, venus en nombre, sont montés sur les machines, quitte à se mettre eux-mêmes en danger. "C’est ce qu’ils veulent, nous pousser à la faute, dénonce François Brun-Buisson, directeur d'une scierie. Il faut à tout prix que l’on garde notre calme, même s’ils nous caillassent ou qu’ils essaient de brûler nos machines."

En plein cœur de la forêt de Roybon, c’est une véritable guerre des nerfs qui se joue. "On a capté les fréquences de talkies-walkies qu’utilisent les zadistes. Ils ont une cartographie quadrillée de la zone, ils se cachent, nous observent, nous comptent, ou notent nos déplacements." Pour l'instant, les zadistes ont l'avantage. Jeudi 4 décembre, ils bloquaient de nouveau le chantier.

"Nous resterons jusqu'à l'abondon définitif du projet"

Installés 3 kilomètres plus loin, une cinquantaine d'entre eux squattent, depuis dimanche 30 novembre au soir, la maison forestière de la Marquise, mise en vente par l'Office national des forêts (ONF). Ils en ont fait leur base arrière et l’ont renommée la Maquizad.

Les zadistes bloquent l'accès à la zone qu'ils occupent, près de Roybon (Isère), le 3 décembre 2014.  (TATIANA LISSITZKY/ FRANCETV INFO)

 

Accès barricadés, mirador de fortune dans les arbres, les zadistes en contrôlent l’accès 24 heures sur 24. Leur objectif : "Rester ici jusqu’à l’abandon définitif du projet." Pour Yann, jeune zadiste d’une vingtaine d’années, chargé de la communication du groupe, le projet de Center Parcs "accumule toutes les bêtises de notre société : gâchis environnemental, corruption politique, gaspillage de l’argent public et financiarisation de la société au profit d’une multinationale."

Les zadistes guettent l'arrivée des forces de l'ordre du haut d'un mirador en bois, à l'entrée de leur zone d'occupation, près de Roybon (Isère), le 3 décembre 2014. (TATIANA LISSITZKY/ FRANCETV INFO)
 

Mais la lutte est aussi "l’occasion de retrouver des amis, d’en rencontrer de nouveaux et de vivre une expérience collective en s’organisant autour d’un lieu, dans lequel on puisse vivre, dormir, manger, se reposer et discuter", précise-t-il.

Leurs moyens d’action ? Etre présents au quotidien et empêcher la poursuite des travaux. Ils prévoient notamment une retraite aux flambeaux et une distribution de vin chaud samedi 6 décembre. 

"Une chance inouïe pour le village, qui se meurt"

Mais les zadistes sont loin de faire l’unanimité auprès des habitants. Mardi 2 décembre, deux cents Roybonnais, chefs d’entreprise, commerçants, élus, agriculteurs ou employés, se sont réunis dans l'ancienne cantine du collège, fermé depuis cinq ans, et devenu le symbole de la désertification rurale. Rarement une réunion publique n’avait été aussi agitée dans ce village perdu entre Grenoble et Valence.

Le village de Roybon (Isère) affiche son soutien au futur projet du Center Parcs, le 2 décembre 2014. (TATIANA LISSITZKY / FRANCETV INFO)

 

Les zadistes concentrent nombre d’inquiétudes - "Qui sont-ils ?" - et aussi beaucoup de colère - "Des illuminés, chômeurs et marginaux". "Mais où est l’autorité de l’Etat, quand les hors-la-loi font la loi ?" s'indigne un agriculteur. "Il faut les faire partir par tous les moyens", lance une femme. 

Beaucoup de villageois tiennent au projet du Center Parcs : "Une chance inouïe pour le village qui ne comprend plus que quatre commerces et qui se meurt." Ils reprennent les arguments du groupe Pierre et Vacances : "Un projet respectueux de l’environnement, qui s’étend seulement sur 0,42% de la superficie totale de la forêt." "Le projet est tombé à pic et va redonner vie à la région et créer des emplois", souligne Christian Luciani, président de l’association Vivre en Chambaran, qui anime la réunion. 

Le projet prévoit en effet 697 créations de postes et d'importantes retombées fiscales pour les collectivités locales. Pour le maire (UDI) de Roybon, Serge Perraud, "il subit une prise d’otage écologique et politique". Il dénonce notamment le revirement de Jean-Jack Queyranne, président socialiste de la région Rhône-Alpes, longtemps favorable au projet, qui demande désormais la suspension des travaux face à la montée de la contestation.

Réunion publique organisée par l'association Vivre en Chambaran, le 2 décembre 2014 à Roybon (Isère). (TATIANA LISSITZKY / FRANCETV INFO)

Lors de la réunion publique de Roybon, les habitants se félicitent du soutien de Jean-Pierre Barbier, député UMP de l'Isère, qui a dénoncé, mardi 2 décembre à l’Assemblée nationale, le comportement des zadistes. Ils se réjouissent aussi de la prise de position du ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, qui a assuré qu’il ferait appliquer le droit "avec la plus grande netteté".

"Roybon, c'est dix fois la zone humide impactée de Sivens"

Mais tous les habitants ne soutiennent pas le projet. C’est le cas de Bertrand, de l’association Pour les Chambarans sans Center Parcs (PCSCP). L’association, qui soutient ouvertement les zadistes, conteste les chiffres donnés par Center Parcs, "selon lequel seuls 76 hectares de zone humide seront impactés. En réalité, il s’agit plutôt de 110-120 hectares. Roybon, c'est dix fois la zone humide impactée de Sivens." La Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna), la Fédération de pêche de la Drôme ainsi que la PCSCP ont déposé plusieurs recours auprès du tribunal administratif de Grenoble, qui seront examinés le 12 décembre.

Les villageois en faveur du projet, eux, ne veulent pas attendre cette date et discutent des moyens d’action pour défendre le chantier. "Une marche pacifique dimanche 8 décembre", mais aussi des précautions à prendre : "Ne pas entrer directement en confrontation avec les zadistes, faire attention aux réseaux sociaux et, surtout, se faire entendre autant que les opposants."

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