Festival Off Avignon 2022 : 11 coups de cœur de la rédaction de franceinfo
Dans le foisonnement de propositions du Off d'Avignon, voici une sélection de spectacles pour tous les publics, qui nous ont touchés ou qui nous ont fait rire.
Le monde paysan, le ré-enchantement de nos vies, la figure du père, la spirale du mensonge, les clichés sexistes dynamités, les invisibles, une Merkel intime et la difficulté d'être un maire écologiste... Les journalistes de franceinfo vous proposent une sélection de spectacles repérés dans le Off d'Avignon.
Coupures
L’histoire : Frédéric est maire d’une petite ville française. Agriculteur et membre d’un parti écologiste, il a beaucoup œuvré au sein de sa commune pour réduire sa consommation d’énergie : construction de pistes cyclables, aides pour favoriser les circuits-courts alimentaires, création d’un festival de musique débranché… Pourtant un jour, il annonce l’installation de la dernière génération d’antennes-relais, énergivores et probablement dangereuses pour la santé, sans consulter les habitants qui l’ont élu… Pourquoi une telle décision ? Les citoyens et associations locales le convoquent pour avoir des explications.
Pourquoi on a aimé : Coupures est une pièce engagée qui questionne le principe même de démocratie. Qui prend les décisions ? Avons-nous vraiment notre mot à dire en tant que citoyen ? Les cinq comédiens jouent chacun plusieurs personnages, avec une énergie folle et beaucoup d’humour. L’auteur de la pièce, Paul-Eloi Forget, interprète le rôle de ce maire coincé entre l’envie de respecter ses valeurs écologistes et le devoir de sauver son exploitation agricole en mauvaise posture. Pendant le spectacle, les transitions ingénieuses et maîtrisées nous font passer d’une scène à une autre en un clin d'œil : la salle de réunion de la mairie, la préfecture, la ferme… Dans Coupures, une nappe peut se transformer en bébé, une chaise en ascenseur, en l'espace de quelques secondes. Les lieux se succèdent, les personnages aussi, sans abîmer la clarté du discours prononcé. En direct sur scène, Lison Favard accompagne la pièce de son violon et renforce les émotions ressenties.
"Coupures", de la compagnie La Poursuite du Bleu, à La Scala Provence (3 rue Pourquery de Boisserin, à Avignon). Du 7 au 30 juillet à 10h. Relâche le 25 juillet.
Changer l’eau des fleurs
L’histoire : Violette Toussaint est garde-cimetière à Brancion-en-Châlon, village de Bourgogne. Elle est souriante, pétillante, et aimée de tous les habitants qui n’hésitent jamais à venir boire un petit verre de Porto chez elle, après avoir fleuri la tombe de leur défunt. Un matin, Julien, un policier marseillais, pénètre dans le cimetière pour y déposer les cendres de sa mère sur la pierre tombale d’un homme qu'il ne connaît. Une rencontre qui marquera la vie de Violette et ébranlera son quotidien routinier.
Pourquoi on a aimé : pour la prouesse d’avoir réussi à condenser un roman de plus de 600 pages en 1h15 de spectacle sans perdre ni la cohérence ni l’émotion de cette riche histoire. Caroline Rochefort, lauréate du Molière de la révélation féminine en 2022, rend son personnage de Violette Toussaint extrêmement attachant, avec son petit accent du sud, sa pudeur et toute sa délicatesse. La scénographie, minimaliste et fleurie, suffit à nous faire voyager au cœur du cimetière coloré de Brancion-en-Châlon. Loin d’être sordide, cette pièce nous fait rire, nous émeut et invite à la réflexion. Le tout rythmé par les chansons de Charles Trenet, guillerettes et entraînantes, dont on ne se lasse pas.
Changer l’eau des fleurs de MATRIOSHKA Productions, mis en scène par Salomé Lelouch, Mikaël Chirinian, au théâtre du chêne noir (8bis rue Sainte-Catherine). Du 7 au 30 juillet, à 15h15. Relâche les 11, 18 et 25 juillet.
Guten Tag, Madame Merkel
L'histoire : Anna Fournier consacre un seul-en-scène formidable à la chancelière allemande, femme austère a priori, à la carrière politique fulgurante. Entourée de tous les politiques qu'elle a croisés, on la suit de la chute du mur de Berlin jusqu’à son départ de la chancellerie, découvrant une femme pragmatique, pince-sans-rire, à l’intelligence politique redoutable.
Pourquoi on a aimé : Une chaise, une veste rouge fluide à col Mao, nous voilà dans l’intimité de Merkel, dans l’antichambre du pouvoir, le plus souvent en discussion avec sa directrice de la communication ou de son chef de cabinet, mais aussi chez elle, avec son mari. Une femme dans un monde d’hommes qui fait preuve constamment de sang-froid, de pondération, de pragmatisme et de ténacité. Anna Fournier est absolument parfaite, jouant, avec un humour ravageur, Merkel et tous les dirigeants qu'elle a cotoyés : de Poutine, qui connaissait sa peur panique des chiens à Macron, en passant par Chirac, Sarkozy, Hollande…
On rit de son franc-parler, de son pragmatisme, de son regard sur la politique française : "La France n’est pas prête d’élire une femme. Même quand elle s’appelle Royal, ils ne votent pas pour elle". C’est savoureux, documenté. On se prend d’affection pour cette Allemande de l’Est, fille de pasteur, scientifique tombée en politique par hasard. "Elle n’aime ni l’argent, ni le sexe, autant dire que dans le paysage politique français, c’est un ovni !". "Maintenant que je suis partie, il manque un adulte dans la pièce", constate la chancelière en quittant le pouvoir. Comment faire rire pendant une 1 heure 20 en brossant le portrait d’une femme, a priori sans charisme, qui a dominé la politique européenne pendant 16 ans ? Anna Fournier l'a fait !
"Guten Tag, Madame Merkel"de et avec Anna Fournier. Théâtre du Train bleu, Avignon 40 rue Paul Saïn. 16h25 (1h20) Du 8 au 27 juillet 2022, relâche les 14 et 21, à 16h25 (1h20)
Pampa festival le 26 août
L’invention de nos vie
L'histoire : Adapté du roman éponyme de Karine Tuil, c’est l’histoire de Sam Tahar, avocat dans un prestigieux cabinet new-yorkais, marié à Ruth Berg, la fille de l’une des plus grandes fortunes du pays. Mais cette réussite repose sur une imposture. Sam s’appelait Samuel, il a emprunté les origines juives de son meilleur ami, écrivain raté. Le voici qui, troublé par son passé, cherche la femme qu’il aimait alors, la belle Nina. Mais on ne sort pas indemne d’un mensonge.
Pourquoi on a aimé : La talentueuse Johanna Boyé, dont on avait beaucoup apprécie Les filles aux mains jaunes et Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty, adapte tambour battant, avec la complicité de Leslie Menahem, le roman de Karine Tuil. Une pièce haletante, construite comme un thriller, sur le mensonge, l’identité, la réussite, l’image de soi. On est embarqué dès la première scène, une fête familiale, dans cette intrigue vertigineuse émaillée de rebondissements. Les scènes s’enchaînent à vive allure dans un élégant et sobre décor composé d’une arche et d’un rideau de fils argentés, figurant tour à tour les strates sociales, la vanité des apparences, l’enfermement. En un battement de cils, on voyage de New York à la banlieue parisienne, d’un loft luxueux au cabinet d’avocat, en passant par un appartement décrépi des cités. Valentin de Carbonnières en Sam à tout le panache, l’arrogance, le charme et l’ambiguïté nécessaires. Les autres comédiens, excellents, interprètent avec un battage remarquable, plusieurs personnages. Un spectacle palpitant servi par une troupe merveilleusement dirigée.
"L’invention de nos vies" d’après Karin Tuil Mise en scène Johanna Boyé. Théâtre Actuel, 80 rue Guillaume Puy, Avignon. Jusqu’au 27 juillet, relâche les 11, 18 et 25 juillet, à 17h30.
La Mâtrue - Adieu à la ferme
L’histoire : C’est un choc. Le travail de toute une vie, de plusieurs vies, qui s’achève. Coline Bardin a 30 ans quand ses parents lui annonce que la ferme familiale va être vendue. Aucun des enfants, les "mâtrus" en patois dauphinois, n’a l’intention de reprendre l’exploitation. A l'occasion de ce nouveau départ, la comédienne et metteuse en scène convoque ses souvenirs et les personnages qui ont peuplé son enfance.
Pourquoi on a aimé : Dans un dispostif ultra-minimaliste, Coline Bardin nous emmène dans les murs qui l’ont vu grandir. Il lui suffit d'une lampe frontale dans le noir, pour nous transporter au beau milieu de la nuit à la recherche d'une vache qui s'est fait la malle. Une fois le jour et l'animal revenus, c'est vêtue d’une cotte de travail et de bottes en caoutchouc, avec pour seuls accessoires une glacière, quelques cigarettes et un "botte-cul" - ce petit tabouret à un pied que l’on s’attache à la taille pour traire les vaches - que la jeune femme évoque son enfance à la ferme en compagnie de ceux qui ont le cuir épais à force de travailler la terre et le bétail. Un portrait sensible et plein de tendresse du monde paysan. Où l'on se réjouit des grandes tablées et des morceaux de tomme offerts comme des sucreries.
"La Mâtrue – Adieu à la ferme", de Coline Bardin, au théâtre du Train bleu (40 rue Paul Saïn à Avignon). Du 8 au 24 juillet, les jours pairs à 16h15.
"Renversante" (jeune public)
L’histoire : L'actrice et metteure en scène Léna Bréban (4 Molière en 2022 pour Comme il vous plaira de Shakespeare) adapte le livre éponyme de Florence Hinckel. Deux jumeaux, un garçon et une fille, s’interrogent sur le monde où ils vivent, dans lequel les genres sont renversés.
Pourquoi on a aimé : Ici, les femmes dominent : impensable qu’un homme devienne par exemple "présidente de la république". Les noms des rues portent des noms de femmes célèbres, les publicitaires utilisent l’homme comme objet de désir pour vendre une voiture, des hommes qui bien sûr s’occupent des enfants. Harcèlement de rue, résultats scolaire, vocations… Sur scène, avec quelques objets et beaucoup de punch, les deux comédiens, Léna Bréban elle-même et Antoine Prud'homme de la Boussinière, démontent avec espièglerie beaucoup d’idées reçues et de clichés sexistes. Sous une forme théâtrale de 30 minutes, pas plus, toujours suivie d’un débat de la même durée, où chacun peut y aller de sa réflexion ou de son anecdote. Une réussite.
"Renversante", mise en scène de Léna Bréban. Présence Pasteur, 13 rue Pont Trouca. Du 7 au 23 juillet 2022 à 10h.
Insuline et Magnolia
L'histoire : Le sensible et vibrant Stanislas Roquette raconte dans un seul-en-scène la découverte, à l’âge de 15 ans, de sa maladie, un diabète de type 1, insulino-dépendant et le traitement à vie qui en découle. Mais c’est aussi le récit d’une renaissance à travers la rencontre de Fleur, solaire et fantasque, qui va lui ouvrir les portes de l’amitié, du théâtre et de la poésie.
Pourquoi on a aimé : Stanislas Roquette raconte avec délicatesse et humour le quotidien d’un ado entre piqures et pic de glycémie : la crainte des complications à long terme, les contraintes alimentaire (lentilles, quinoa et pois chiche), la découverte de la finitude, la maladresse des médecins : "Je ne peux pas guérir ? Non, mais si tu cherches une femme diabétique comme toi, il y a Sharon Stone". La rencontre avec Fleur, comme un nouveau départ, va ré-enchanter sa vie ("Tu as beaucoup de chance d’être accompagné chaque jour par la mort"). Le comédien interprète les deux personnages sans chercher l’imitation. La première partie du spectacle est particulièrement réussie, on suit cet ado fragilisé, en quête d’absolu. On est aussi sous le charme de cette jeune fille qui dit Magnolia à la place de merci et Péloponnèse pour dire au revoir. Dans une deuxième partie, un peu trop longue, se développe une amitié amoureuse entre Fleur et Stanislas, à travers un échange épistolaire, Fleur fait le tour du monde. Le récit finit tragiquement mais débouche sur une vocation : un éloge émouvant aux pouvoirs du théâtre et de la poésie.
"Insuline et Magnolia" de et avec Stanislas Roquette. Théâtre du Train bleu, 40 rue Paul Saïn, Avignon. Jusqu’au 27 juillet, relâche les 14 et 21 juillet, à 14h30 (1h20).
Ulysse de Taourirt
L'histoire : Ulysse c'est le prénom qu'aurait pu porter le père d'Abdelwaheb Sefsaf, tant il était un héros à ses yeux. A travers un récit homérique, le metteur en scène rend hommage à ce père, immigré algérien, qui dans ses rêves lui apparaissait "tel un Atlas portant le monde sur ses épaules". Entre documentaire et questionnement sur l'exil, Ulysse de Taourirt s’inscrit dans la continuité d'un autre spectacle, Si Loin Si Proche, créé en 2018, dans lequel Abdelwaheb Sefsaf évoque la figure de sa mère.
Pourquoi on a aimé : Fidèle à son habitude, Abdelwaheb Sefsaf mêle les mots poétiques et malicieux à la musique, généreuse. Cette fois, s'y s'ajoute aussi le cinéma d'autrefois. Des couleurs, des vibrations et des images saisissantes où se croisent les lieux et les époques. On passe de la Kabylie et de la lutte pour l'indépendance algérienne dans les années 50 aux mines de charbon de Saint-Etienne dans les années 60 et la vie en banlieue dans les années 80. Deux générations et deux pays pour une histoire intime dans laquelle on pleure et on rit aux éclats.
"Ulysse de Taourirt", compagnie Nomade in France, au théâtre 11 Avignon, (11 boulevard Raspail à Avignon). Du 7 au 29 juillet, à 16h25. Relâche les 12, 19 et 26 juillet.
Petit paysan tué
L'histoire : Yeelem Jappain, autrice et metteuse en scène, aborde la détresse du monde paysan au travers d’une histoire vraie, celle d’un éleveur bio réfractaires aux normes agricoles drastiques et à la paperasse administrative. Parce qu’il n’a pas déclaré des veaux nés sur son exploitation, il est sanctionné. Acculé financièrement il sombre dans la dépression et prend la fuite. Retrouvé par les gendarmes, il est blessé mortellement.
Pourquoi on a aimé : La force de la pièce est d’entremêler l’histoire de Baptiste, attachant et fiévreux Clément Chebli, de sa sœur (Julie Roux) et de son beau-frère gendarme (Etienne Durot), avec des témoignages enregistrés d’agriculteurs, simples et poignants. Un très joli décor donne à voir le rythme des saisons, la solitude de l’agriculteur dans une cuisine peu à peu transformé en bureau croulant sous la paperasse. On est touché par le destin de cet homme amoureux de la nature et de son métier qu’il cherche à transmettre à sa petite nièce, Paupiette, dont on entend seulement la voix enfantine. Autre belle idée de mise en scène de Yeelem Jappain : une chorégraphie sur un banc où sont assis les trois personnages (tous d’une belle justesse) qui dit mieux que des mots l’inquiétude et la tendresse qui les unis. Et puis cette intervention de Baptiste devant la Confédération paysanne, à la fois drôle et consternante, où, chiffres et diagrammes à l’appui, il décrit la mainmise des groupes alimentaires sur le monde agricole et la fuite en avant d’une profession, entre subventions, endettement, surproduction et contrôles incessants. Du théâtre citoyen, percutant et bouleversant.
"Petit paysan tué" de Yeelem Jappain. Théâtre des Lucioles, 10 rue du Rempart Saint-Lazare, Avignon.Jusqu'au 27 juillet à 21h45 (1h25).
Deux rien
L’histoire : Assis sur un banc, deux sans-abri attendent. Ils mendient face à un public qui les regarde, sans bouger. Pendant une heure, nous observons ces deux personnages qui s’aiment, se détestent, dansent, rient, pleurent. Deux rien met sous le feu des projecteurs les êtres invisibles qui peuplent les villes, sans user de la parole.
Pourquoi on a aimé : Parce que les deux comédiens et danseurs, Caroline Maydat et Clément Belhache, offrent un très beau moment de poésie. Entre danse et clowneries, le duo fait passer les spectateurs du rire aux larmes sans prononcer le moindre son. Seule la musique composée par Michael Bugdahn enveloppe l’espace scénique et offre un contraste entre l’onirisme des morceaux et la dureté du sujet traité. Le duo ne parle pas mais se fait comprendre sans aucune difficulté. La faim, l’ennui, l’ignorance, le voyeurisme, la solitude, la mort… À travers le mime et la danse, les artistes racontent le présent de ces sans-abri, laissés pour compte.
"Deux rien" de la compagnie Compagnie Comme Si, à l'espace Roseau Teinturiers (45 rue des Teinturiers, à Avignon). Du 7 au 30 juillet, à 10h. Relâche le 26 juillet.
J’appelle mes frères
L’histoire : Au milieu d’un centre commercial, une voiture explose. L’acte est probablement terroriste. Amor, jeune homme d’origine maghrébine, reçoit des appels de ses proches afin de savoir s'il va bien et s’il est à proximité du drame qui a eu lieu. Au milieu de la cohue générale, Amor est perdu : dans un moment pareil, comment prouver son innocence ? Comment faire pour ne pas paraître coupable ?
Pourquoi on a aimé : Joué dans le petit théâtre de la porte Saint Michel, J’appelle mes frères s’articule autour d’une mise en scène simple : quatre chaises sont installées au fond de la scène à côté d’un portant où sont accrochés quelques vêtements. Pas de place pour une course-poursuite ou pour une grande scénographie. Pourtant la magie opère, sobrement, grâce aux talents des quatre comédiens. Lionel Correcher est captivant dans le rôle d’Amor. Il questionne les notions d’identité et d’intégration en temps de crise à l’aide des mots puissants de l’auteur suédois Jonas Hassen Khemiri. Fiona Lévy cueille le public avec le rire et offre des bouffées d’air frais, des respirations dans cette pièce au sujet lourd.
"J'appelle mes frères", de la compagnie du Vent Contraire, au théâtre de la Porte Saint Michel (23 rue Saint Michel, à Avignon). Du 7 au 30 juillet, à 19h. Relâche le 26 juillet.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.